Au Liban, la crise économique provoque un timide retour à la terre

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Le Libanais Hassan Trad inspecte des fruits du dragon dans une ferme près du village de Kfar Tibnit, le 22 novembre 2021 © AFP Joseph EID

Sinay (Liban) (AFP) – Thurayya a passé toute sa vie dans le quartier de Beyrouth où elle est née. Mais lorsqu’une succession de crises a rendu la capitale libanaise invivable, elle a décidé d’expérimenter la vie rurale.

« Vivre en ville est devenu épouvantable », dit à l’AFP cette jeune femme de 28 ans, dans une plantation luxuriante du Liban sud, où s’alignent les avocatiers.

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« La violence larvée de la vie urbaine vous pompe toute votre énergie, vous prend votre argent… c’en était trop ».

Une crise économique sans précédent, la pandémie de coronavirus et l’explosion meurtrière au port de Beyrouth l’an dernier ont terni l’attrait cosmopolite de la capitale.

Certains de ses habitants ont choisi de revenir dans leurs villes et villages d’origine, où ils peuvent vivre à moindre coût et renouer avec un héritage agricole oublié.

En octobre, Thurayya s’est installée dans la maison de deux étages bâtie par son père dans le village de Sinay.

Elle a sauté le pas quelques semaines après que son propriétaire à Beyrouth l’a avertie qu’elle quadruplait son loyer, alors que les factures du générateur privé, qui compense les longues heures de coupures de courant, et les coûts de transport ont explosé.

« Ça n’avait plus aucun sens pour moi de rester à Beyrouth », dit la jeune femme. « La ville est plongée dans le noir, il y a des ordures partout et on ne se sent pas en sécurité », ajoute-t-elle, estimant que la capitale est devenue une ville « hostile ».

Lorsqu’elle ne travaille pas à distance pour une association à but non lucratif, elle passe son temps sur les terres familiales, apprenant à savoir si les plantes ont soif ou déterminant au toucher si les fruits sont mûrs.

Elle a appris sur Youtube comment tailler les arbres et a harcelé les agriculteurs locaux pour apprendre comment s’occuper d’une parcelle de terrain dont elle espère avoir la charge un jour.

« Nous sommes sur le point de commencer la nouvelle saison et je suis très excitée. Je veux suivre toutes les étapes, de la plantation des semences à la récolte », dit la jeune femme.

 ‘Une vie étouffante’

Dans un pays où aucun recensement officiel n’a été mené depuis 1932, il existe peu de données sur un éventuel retour à la vie rurale.

Selon la banque libanaise Blominvest, un pic a été enregistré l’an dernier dans le nombre de permis de construire hors de Beyrouth. Information International, un cabinet de conseil, estime que plus de 55.000 personnes sont revenues dans les zones rurales.

L’ONU-Habitat Liban a indiqué à l’AFP que certains maires et chefs de municipalités avaient signalé une augmentation du nombre de personnes qui s’installent dans leurs localités, mais indiqué qu’il n’y avait pas de chiffres disponibles.

« L’absence de plans de développement rural et le fait que le Liban est hautement centralisé devraient décourager une contre-urbanisation à long terme », a estimé cependant Tala Kammourieh de l’unité d’analyse et de politique urbaines de l’agence.

Labourant un champ escarpé dans le village de Kfar Tibnit au Liban-Sud, Hassan Trad dit qu’il évite désormais la vie « étouffante » à Beyrouth, où il a résidé pendant 18 ans.

« Mon retour au village est une échappatoire à trois crises », dont la crise des ordures et l’effondrement économique, déclare cet homme de 44 ans en dispersant des graines de thym.

 Enraciné

Ce graphiste freelance qui travaille à distance pour un quotidien local a commencé à s’éloigner de la capitale en 2016, mais la pandémie et l’explosion d’août 2020 l’ont convaincu de s’installer à plein temps dans son village.

Hassan explique que les frais de scolarité de trois de ses quatre enfants représentent la moitié de ce qu’il payait en ville, et surtout, qu’il a développé une activité agricole qui constitue un supplément de salaire.

Avec ce retour à la terre, « mon sentiment d’appartenance au village est plus fort », dit-il.

Gravement blessé dans l’explosion au port de Beyrouth qui a détruit sa maison, l’écrivain Ibrahim Nehme s’est pour sa part réfugié au Liban-Nord dont il est originaire.

« Une explosion qui m’a fait perdre le contact avec ma terre m’a finalement amené à réaliser à quel point j’étais connecté à ma terre », a écrit dans un récent essai cet homme de 35 ans qui a passé des mois à se rétablir.

En juin, il a quitté Beyrouth et loué un chalet au bord de la mer, à une vingtaine de minutes en voiture des oliveraies de sa famille, à Bechmezzine.

« Je suis enraciné ici », dit-il. « J’ai ces oliviers, je devrai m’en occuper un jour, et cela veut dire que je dois commencer à apprendre les ficelles du métier ».

© AFP

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