Alimentation : l’UE défend sa stratégie contre le lobby agricole

Moissonneuse-batteuse en action à Ebersbach-Musbach, dans le sud de l'Allemagne, le 1er août 2018 © dpa/AFP/Archives Felix Kästle
Moissonneuse-batteuse

Bruxelles (AFP) – Bruxelles défend farouchement sa stratégie pour la sécurité alimentaire qui vise notamment à sabrer l’usage des pesticides, face à l’hostilité de la puissante organisation agricole Copa-Cogeca, qui craint, comme Paris, un effondrement des rendements.

La stratégie « De la ferme à la fourchette », dévoilée en mai 2020 par la Commission européenne, devrait être validée mardi dans ses grandes lignes par les eurodéputés à Strasbourg.

Avec plusieurs objectifs à échéance 2030: réduire de moitié l’usage de pesticides et de 20% celui d’engrais, baisser de 50% les ventes d’antimicrobiens pour les animaux d’élevage, ou encore consacrer un quart des terres cultivées à l’agriculture biologique (contre 8,5% en 2019).

Ces propositions, qui doivent encore faire l’objet de propositions législatives pour devenir contraignantes, sont dénoncées par la fédération des syndicats agricoles européens (Copa-Cogeca), majoritaire.

L’organisation, à l’unisson du gouvernement français, se réfère à des prévisions du ministère américain de l’Agriculture, mais surtout à une étude du JRC, le service scientifique de la Commission, publiée mi-août.

Ce rapport projette des baisses de rendements de 10% à 15% pour les céréales, oléagineux, viandes bovine et porcine, selon divers scénarios intégrant « De la ferme à la fourchette »… tout en précisant ne fournir que des projections « indicatives », sur des modèles incomplets.

« J’espère que les esprit chagrins ou qui ne souhaitent pas ouvrir les yeux vont définitivement le faire », avait réagi fin septembre le ministre français de l’Agriculture Julien Denormandie, soulignant le risque d’un « non-sens en termes de souveraineté et d’environnement ».

Pour la Copa-Cogeca, « l’impact sera une réduction sans précédent de la capacité de production de l’UE et des revenus des agriculteurs, tandis que les baisses d’émissions carbone réalisées seront effacées » par les besoins d’importations de pays moins « verts ».

Opposée à tout objectif contraignant de réduction des pesticides, la fédération mène une campagne « intensive » auprès des eurodéputés, selon plusieurs parlementaires.

« Etude sciemment cachée«  ?

L’organisation s’est également indignée d’informations de presse indiquant que le rapport était prêt dès janvier: la Commission a justifié le retard de publication par des difficultés à intégrer des variations, comme l’évolution de la consommation.

L’exécutif européen a « sciemment caché son étude interne », accuse Anne Sander, eurodéputée PPE (droite), s’alarmant de « l’affaiblissement de notre souveraineté alimentaire et d’une déstabilisation des marchés ».

Dans sa riposte, Bruxelles a détaillé lundi les critères de sa stratégie ignorés par le JRC : fonds pour le bio, essor des biopesticides, meilleure sélection des variétés, standards durcis pour les importations, changements attendus de consommation…

« Nous allons mener des études d’impact » avant toute proposition législative, car « les modèles existants sont incapables d’intégrer les évolutions de la demande, ni les pertes de production en raison du changement climatique et d’une biodiversité dégradée » si on n’agit pas, a souligné lundi la commissaire européenne Stella Kyriakides.

Les évaluations brandies par le Copa-Cogeca « sont basées sur l’agriculture conventionnelle, en monoculture, (…) mais avec des pratiques agro-écologiques comme le mélange de variétés, on n’observe pas ces baisses de productivité », renchérit l’eurodéputé vert Benoît Biteau.

« Et si on n’utilise plus de pesticides et d’engrais de synthèse, on fait dégringoler les coûts de production qui plombent les revenus des agriculteurs », assure-t-il.

Pragmatisme

Ciblé, CropLife, vaste organisation représentant l’agrochimie (dont les géants Bayer, DuPont, Syngenta…), assure que ses membres investissent massivement dans les biopesticides et agite le spectre d’une Europe dépendante des importations alimentaires si sa production s’effondre.

« Quelle naïveté! Produire moins, c’est produire de la faim », abondait récemment la présidente de la FNSEA et dirigeante du Copa, Christiane Lambert.

« Le Pacte vert ne provoquera pas la famine! », rétorque l’eurodéputé socialiste Eric Andrieu, rappelant que « l’Europe autosuffisante sur le plan alimentaire est un mythe, elle est déjà importatrice nette en quantité ».

Pour lui, la sécurité alimentaire passe par une « diversification » des approvisionnements auprès de pays aux mêmes normes de production que l’Europe.

Pour autant, le récent compromis entre eurodéputés et Etats sur la future Politique agricole commune (PAC), qui sera voté en novembre au Parlement européen, n’intègre pas les objectifs de « La ferme à la fourchette ».

« Ce sera une gageure de rendre les deux cohérentes » et de surveiller l’enveloppe de la PAC « pour éviter qu’un lobbying important n’essaye de déconstruire, voire d’enterrer la stratégie » de sécurité alimentaire, avertit M. Biteau.

©AFP

3 commentaires

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    • Philippe CERF

    La FNSEA quelle merdier des irresponsables des voyous tout simplement. Nous comptons sur l Europe pour freiner toutes ces méthodes destructrices du vivant. On garde un peu d espoir. Il n y’a pas que le pognon dans la vie.

    • michel CERF

    J’allais tenir les mêmes propos que Philippe , il ne faut rien attendre d’intelligent des syndicats agricoles , encore moins de la FNSEA et de sa Présidente .

    • Francis

    L’agriculture conventionnelle en monoculture n’existe pas, la diversité d’assolement fait déjà partie de l’éco-conditionnalité de la PAC. Si on n’utilise plus de pesticides ni d’engrais de synthèse, cela fait dégringoler la production tout court, le rendement lamentable du blé bio en 2021 le prouve une fois de plus. On ne fait pas une politique agricole avec le yaqu’à-fautqu’on arrogant d’écolos de salon.