« Tous ignorants »: la vie sans école dans les villages lacustres du Venezuela

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Une salle de classe vide, dans l'école d'Ologa, au Venezuela, le 6 septembre 2021 © AFP Federico PARRA

Ologá (Venezuela) (AFP) – Les pupitres sont entassés les uns sur les autres dans une salle sombre et poussiéreuse. L’école d’Ologa, village sur pilotis isolé sur le lac de Maracaibo (ouest du Venezuela), est fermée depuis plus de 4 ans et ses enfants ne sont plus scolarisés.

Et si les autorités ont annoncé une rentrée des classes en octobre après un an de suspension en raison de la pandémie de Covid-19, l’école d’Ologa n’ouvrira pas ses portes.

« Seul un de mes huit enfants sait lire et écrire. On est tous des ignorants. Les enfants ne vont plus à l’école parce qu’elle est fermée », se désole Angel Villasmil, pêcheur de 58 ans, en démêlant son filet.

Le taux d’alphabétisation au Venezuela dépasse les 97%, selon l’Unesco. Mais la crise touche durement le village, déjà défavorisé par sa situation géographique à plusieurs heures de bateau de la ville de Puerto Concha, au sud du lac.

Jadis considéré comme un des pays les plus riches d’Amérique du sud grâce à son pétrole, le Venezuela a vu son produit intérieur brut (PIB) chuter de 80% depuis 2013, notamment en raison de la baisse de sa production et des cours du pétrole, mais aussi de la mauvaise gestion et de la crise politique.

Dans les zones reculées comme à Ologa, l’essence est rare et les services publics ont quasiment disparu.

Sinistrés de toutes parts

Auparavant, les instituteurs pouvaient profiter gratuitement des allers-retours des pêcheurs ou des bateaux de touristes pour venir au village. Aujourd’hui, avec la crise et la pénurie de carburant, les navettes se font rares.

Les salaires dérisoires dans ce pays touché par l’hyper-inflation n’incitent pas non plus les enseignants à s’éloigner de leurs familles. Un fonctionnaire ne touche pas plus que l’équivalent de cinq dollars par mois.

La dernière institutrice a fini par partir « en raison du problème d’essence », assure sous couvert de l’anonymat un enseignant qui a travaillé dans la zone.

Pour les villageois, l’école est désormais un doux souvenir qu’on entretient.

Andrea, 12 ans, se souvient avec nostalgie de son école située sur un petit îlot en forme de croissant de lune au milieu de la mangrove où on entendait, raconte-t-elle, le bruit des animaux, notamment les chats-tigres (Leopardus tigrinus). La récréation et les jeux autour de la balançoire accrochée aux arbres lui manquent.

« J’aimerais que ma maîtresse revienne, je n’ai pas appris à lire », dit-elle.

Agée de 21 ans, Maria Villasmil, une des filles d’Angel, évoque aussi avec tristesse l’école disparue : « la maîtresse m’a appris beaucoup de choses et notamment à lire et à écrire. J’aimerais que ma fille apprenne aussi. Ici beaucoup d’enfants voudraient apprendre mais il n’y a pas d’école ».

Sa fille Sheira a 3 ans et sa mère a peu d’espoir qu’elle se retrouve prochainement dans une salle de classe.

« La vie est dure en ce moment », souligne Francisco Romero, né il y a 67 ans dans le village.

Il partage sa petite maison avec neuf membres de sa famille. La fumée du feu de bois remplit sa demeure, les bouteilles de gaz n’arrivant plus au village depuis longtemps.

« J’ai mal aux poumons. On est sinistrés de toutes parts. Essence, électricité, gaz… On a de l’eau quand il pleut. Sinon, on va la chercher au lac », se plaint-il.

De plus, les eaux sont polluées par des nappes de pétrole qui se sont échappées des centres d’extraction au nord-est du lac, une des principales zones de forage du brut vénézuélien.

Le village vit presque en autarcie. De temps à autre, des commerçants viennent échanger du poisson contre de l’essence ou de la farine.

« Beaucoup d’habitants sont partis pour pouvoir scolariser leurs enfants », mais la crise « les a obligés à revenir » dit Francisco Romero. « La vie sur terre (loin du lac), ce n’est pas pareil. Ici tu peux pêcher et tu manges. Là-bas, si tu n’as pas un centime tu ne manges pas ».

© AFP

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