Aux arbres, citoyens ! : dans le Morvan, des résistants achètent la forêt pour la sauver

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Parcelle de bois coupés dans le Morvan près de Dun-Les-Places, le 3 septembre 2021 © AFP/Archives JEAN-PHILIPPE KSIAZEK

Dun-les-Places (France) (AFP) – « Il faut sauver ce qui peut encore l’être »: dans le Morvan, des citoyens rachètent des forêts traditionnelles de chênes, hêtres et autres châtaigniers pour empêcher leur destruction au profit d’arbres résineux, plus rentables mais « catastrophiques » pour la biodiversité.

Plus rien ne se dresse sur la colline dénudée. Au milieu de l’ancienne forêt devenue désert, la statue de Saint Marc, où les randonneurs se reposaient à l’ombre, garde dorénavant un cimetière de troncs couchés attendant d’être ramassés.

« C’est une catastrophe écologique et visuelle », enrage Régis Lindeperg, de l’association Adret Morvan qui lutte contre l’enrésinement. Dans cette parcelle du Vieux Dun (Nièvre), une vingtaine d’hectares d’épicéas viennent d’être coupés.

« Les coupes rases libèrent du carbone, assèchent les sources et appauvrissent les sols, ce qui empêche plus d’une ou deux replantations. Les sylviculteurs scient la branche sur laquelle ils sont assis », raille M. Lindeperg.

« En un siècle, on aura tout grillé », abonde Frédéric Beaucher, qui défend la « vraie » forêt, de feuillus, contre les rangs d’oignon de pins « plus proches du champ de maïs » en terme de biodiversité, selon Régis Lindeperg.

Contre les « planteurs de résineux », qui représentent selon lui une bonne partie des propriétaires forestiers ou des sylviculteurs du Morvan, M. Beaucher a créé en 2015 Le Chat Sauvage, un groupement forestier de citoyens prêts à acheter des feuillus, et ainsi « sauver ce qui peut encore l’être ». « On a maintenant 120 hectares de forêts et plus de 500 sociétaires ».

Roger Denis est de ceux-là. En 45 ans de médecine de campagne à parcourir le Morvan, ce retraité de 69 ans a vu « le paysage se modifier » et a investi plus de 10.000 euros dans le Chat Sauvage.

Jadis marginaux, les résineux représentent 47% des 155.000 hectares de forêts du Morvan, selon des chiffres de 2016 du Parc naturel régional (PNR).

Et « le phénomène s’accélère », assure Jean-Sébastien Halliez, maire PS de Brassy (Nièvre). « Sur la commune, il existe peut-être une dizaine de coupes rases. Il y a une dizaine d’années, il n’y en avait qu’une de temps en temps ».

« Une goutte d’eau »

Entre 2005 et 2016, 4.270 ha de feuillus ont été rasés et 10.860 ha de résineux plantés, selon le parc régional.

C’est que le calcul est simple, explique Tristan Susse, expert forestier: le pin Douglas, résineux préféré dans le Morvan, « produit 400 m3 l’hectare, à 60-70 euros le m3, le feuillu 100 m3 et pour 50 euros le m3 en moyenne ».

Le cours du Douglas a de plus quasiment doublé en deux ans, notamment en raison de la mode des constructions en bois.

« Si on ne fait rien, on ne voit pas ce qui empêcherait l’enrésinement total du Morvan », avertit Sylvain Mathieu, président du PNR et vice-président PS de Bourgogne-Franche-Comté en charge de la forêt.

« La seule solution est une loi interdisant les coupes rases, comme en Suisse », répond Lucienne Haèse, 80 ans et figure historique du mouvement. En 2003, cette pionnière a créé à Autun (Saône-et-Loire) le Groupement forestier pour la sauvegarde des feuillus du Morvan (GFSFM), premier du genre en France.

Aujourd’hui, le GFSFM, en charge du sud du Morvan, a 350 ha et 970 sociétaires. Avec Le Chat Sauvage, son petit-frère dans le nord, cela fait moins de 500 ha.

« Oui, c’est une goutte d’eau », reconnaît M. Beaucher. « Mais cela permet d’interpeller. Et ça fonctionne: il y a une prise de conscience ».

De plus en plus de petits propriétaires vendent leurs forêts aux groupements citoyens « pour qu’elles échappent à l’enrésinement », affirme Mme Haèse.

Et certains forestiers assurent avoir évolué, comme la Société forestière, qui gère 6.900 ha dans le Morvan.

« Depuis deux ans, la Société forestière n’a programmé aucune transformation de feuillus en résineux au sein du parc du Morvan », affirme ainsi Amaury Janny, directeur pour la région centre. La surface de monocultures de résineux va même « diminuer », selon lui, car les replantations vont dorénavant se faire avec un « mélange de trois essences » et non plus seulement du Douglas par exemple.

©AFP

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3 commentaires

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    • michel CERF

    Un exemple à suivre .

    • Paul

    Belle initiative militante et partisane. Forestier dans le Morvan je souscris à la beauté enchanteresse des forêts feuillues mais quelle méconnaissance sur les forêts résineuses systématiquement parées d’une haine viscérale exacerbée par de volontaire caricature, exagération, fausse information … Quel mépris pour tous les forestiers qui œuvrent quotidiennement à l’entretien, l’adaptation et l’exploitation des forêts et qui fournissent d’innombrables services à l’ensemble de la société…

    • Elaine Fichter

    Faire une levée de fonds…