Les aborigènes de Taïwan comptent sur la justice pour protéger leurs traditions

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De jeunes aborigènes Bunun en habits traditionnels lors d'une fête dans le village de Chishang, à Taïwan, le 30 avril 2021 © AFP Sam Yeh

Comté de Taitung (Taiwan) (AFP) – C’est normalement aux esprits que Tama Talum, un aborigène Bunun, adresse ses prières avant de partir traquer les bêtes sauvages dans les montagnes de Taïwan. Mais depuis quelques jours, c’est surtout la justice taïwanaise qu’il implore car cette tradition ancestrale de la chasse est menacée.

Tama Talum, 62 ans, faisait la semaine dernière partie des centaines de membres de sa tribu à avoir participé au Mala Hodaigian, la fête annuelle des chasseurs et du gibier, au cours de laquelle on chante des prières et on offre aux esprits de l’alcool de riz et des noix de bétel.

Cette année, tous avaient en tête la décision que la justice doit rendre vendredi, dont les implications risquent d’être très lourdes pour les peuples aborigènes de l’île.

Au-delà des seules libertés de Tama Talum, l’enjeu est de savoir si les limitations de chasse imposées aux Aborigènes ne sont pas tout simplement discriminatoires, et donc anticonstitutionnelles.

« Pour les Aborigènes, la chasse est une question de survie, c’est notre culture », explique ce chauffeur routier à la retraite dans sa maison du Comté de Taitung, où il vit notamment avec sa mère âgée de 99 ans.

Le contentieux remonte à huit ans. Parti chasser, il est arrêté pour avoir abattu un Muntjac de Formose, un type de cerf, et un saro de Taïwan, une espèce de caprin endémique.

Inculpé pour possession d’une arme illégale et chasse d’une espèce protégée, il est condamné à trois ans et demi de prison.

Pour les tribus aborigènes de l’île, l’affaire a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase après des décennies de restrictions.

« Le tribunal devrait reconnaître que la chasse fait partie de notre culture, et pas dire que c’est un délit », résume Dahu, 42 ans, un ami de Talum.

Les chasseurs aborigènes ne sont autorisés à utiliser que des armes à feu de fabrication maison, ce qui, disent-ils, est dangereux. Ils ne peuvent chasser que les jours fériés, restriction très mal tolérée.

De recours en recours, l’affaire a atteint la Cour suprême qui a confirmé la peine de prison.

Les haute juridiction a cependant pris la décision rare de saisir la Cour constitutionnelle pour dire si les règles actuelles ne violent pas les droits des Aborigènes.

Et pour ces derniers, une décision en leur faveur pourrait permettre enfin de changer les choses après des années d’injustice.

L’affaire a suscité l’inquiétude d’organisations de défense de l’environnement et de protection de la faune. Mais les aborigènes affirment qu’un équilibre peut être trouvé.

« Nous chassons pour manger, pas pour vendre la viande et nous faire de l’argent », explique Talum, qui a commencé à chasser avec son père à 11 ans. « Ce n’est pas comme si nous allions chasser tous les jours et que nous étions sur le point d’exterminer les animaux. »

– Laissés-pour-compte –

D’après les anthropologues, les aborigènes de Taïwan ont migré de Malaisie ou d’Indonésie. Leurs langues et coutumes sont beaucoup plus proches de celles du Pacifique et de l’Asie du Sud-Est que de la Chine.

Le sentiment d’être des laissés-pour-compte remonte à la perte de leurs droits ancestraux sur la terre, déjà menacés par l’arrivée d’immigrants chinois il y a 400 ans.

Ces terres sont aujourd’hui en grande partie classées parc naturel, ce qui provoque des disputes sur la chasse et la pêche.

A l’instar des populations autochtones d’Australie ou d’Amérique, les Aborigènes de Taïwan ont été décimés par les vagues d’immigration successives, puis ont souffert de discriminations sous la colonisation japonaise et la dictature du Kuomintang.

Ils ne représentent plus que 2,5% de la population et sont marginalisés. Leurs salaires sont moins élevés que le reste de la population, leur santé moins bonne et ils sont davantage touchés par le chômage.

L’île est cependant devenue ces dernières années l’une des démocraties les plus progressistes d’Asie.

En 2016, la présidente Tsai Ing-wen, premier chef d’Etat taïwanais à avoir du sang aborigène, avait tenté d’apaiser les tensions en présentant les premières excuses jamais adressées aux peuples indigènes pour les injustices subies au fil des siècles.

Piya, professeur de danse traditionnelle âgée de 27 ans, explique qu’une victoire en justice sur la chasse ne serait qu’un début, compte tenu des nombreux combats pour plus de justice qui doivent encore être menés.

« Nous sommes les premiers à avoir vécu à Taïwan et nous demandons le respect mutuel. »

© AFP

Un commentaire

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    • Méryl Pinque

    Nul et non avenu : la vie des animaux prime sur les traditions, en tout lieu de la planète.
    Cet homme est chauffeur routier. Qu’il ne nous fasse pas croire qu’il a besoin de chasser pour vivre…
    Encore des revendications communautaires qui piétinent les droits fondamentaux des animaux.