Acheter à manger, l’autre raison qui pousse les Vénézuéliens vers Trinité-et-Tobago

trinidad et tobago

Un commerçant vénézuélien sur un marché de Guiria, au Venezuela, le 19 décembre 2020 © AFP Yuri CORTEZ

Güiria (Venezuela) (AFP) – En tentant la périlleuse traversée vers l’archipel voisin de Trinité-et-Tobago, nombre de Vénézuéliens rêvent de laisser derrière eux un pays en crise. Mais d’autres cherchent d’abord à acheter à manger à meilleur marché, au risque d’y perdre la vie.

Plus d’une centaine de migrants ont péri depuis 2018 en tentant de rejoindre Trinité, une des deux îles de ce pays insulaire de 1,3 million d’habitants situé juste en face des côtes du nord-est du Venezuela.

Parmi la trentaine de personnes ayant péri lors du dernier naufrage survenu en décembre, certains passagers souhaitaient juste faire quelques achats de nourriture en prévision des fêtes de Noël et du Nouvel an.

L’embarcation avait une capacité de huit passagers, mais, selon les autorités, 41 personnes ont embarqué à Güiria, ville d’environ 40.000 habitants où les départs clandestins en direction de Trinidad, à quelque 80 km de là, sont fréquents.

« Ils étaient partis acheter de la nourriture pour les fêtes de fin d’année », raconte Julio Pottella, un mécanicien de bateaux de 51 ans qui a perdu deux neveux dans la tragédie. Leur corps ont été récupérés en mer après que des pêcheurs ont donné l’alerte à la suite de la découverte de premiers cadavres.

« Ils avaient prévu d’envoyer la nourriture dans des bateaux qui apportent des colis, ils voulaient acheter 10 sacs de farine, 5 de riz, 3 à 4 bidons d’huile, 4 ou 5 caisses de poulet. C’est moins cher d’acheter là-bas, même en payant le transport, que d’acheter ici et la nourriture est de meilleure qualité », explique M. Pottella à l’AFP.

L’inflation incontrôlée (+4.000% sur un an) que subit le pays sud-américain frappe encore plus durement les villes isolées comme Güiria, située à 650 kilomètres de Caracas.

Le mauvais état des routes, la pénurie chronique d’essence et les pots-de-vin exigés par les autorités en chemin, font renchérir les prix des produits en provenance de la capitale ou des grandes villes, dénoncent les commerçants.

« Pour de nombreux commerçants de Güiria, c’est plus rentable d’acheter des produits trinidadiens que vénézuéliens », explique Kevin, 37 ans, qui possède un étal sur un marché local, faute de pouvoir se payer un commerce.

Pendant des décennies, les Trinidadiens se rendaient dans ce port jadis prospère pour se promener ou faire des achats. Aujourd’hui, les flux se sont inversés : les Vénézuéliens tentent d’émigrer ou d’y acheter au meilleur prix.

Les Trinidadiens arrivaient tous les 15 jours « sur un grand ferry ». « Ils achetaient de la nourriture, des produits de nettoyage, des vêtements, ils prenaient tout à Güiria », raconte à l’AFP une habitante qui souhaite rester anonyme.

A présent, il n’y a plus de ferry et ce sont les Vénézuéliens qui empruntent cette route dangereuse pour acheter des produits destinés à la revente ou à leur propre consommation.

Selon Kevin, une caisse de 15 kilos de poulet à Trinidad coûte 15 dollars. « C’est un dollar le kilo, alors qu’au Venezuela, c’est 2,1 dollars le kilo », explique-t-il avec le reçu en main. Un sac d’oignons « me coûte 50 dollars si je l’achète à Caracas, avec 50 dollars je peux acheter jusqu’à quatre sacs à Trinité ».

Les traversées sont cependant moins nombreuses en raison des restrictions imposées par la pandémie de Covid-19, et des contrôles renforcés depuis le dernier naufrage.

Julio Pottella, meurtri par le deuil, se désole de la « mauvaise situation » du Venezuela qui oblige tant de gens à quitter le pays de 28 millions d’habitants. Son fils fait partie des 25.000 Vénézuéliens qui ont fui vers Trinité-et-Tobago. Et des membres de sa famille vivent dispersés dans d’autres pays, le plus souvent « illégalement ».

Selon l’ONU, plus de cinq millions de Vénézuéliens ont quitté leur pays depuis 2015, en raison de la grave crise politique et économique qui secoue le pays.

« Regardez moi bien », dit Julio Pottella, « je pesais 117 kilos il y a deux ans, aujourd’hui j’en pèse 72. La faim nous tue. Cette ville est un enfer ».

© AFP

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