Cyril Dion à Emmanuel Macron : « Tenir parole, pour un président de la République, c’est le socle de nos démocraties »

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Cyril Dion lors de la Convention Citoyenne sur le Climat. © Yann Arthus-Bertrand

Dans une tribune publiée samedi 5 décembre dans le Monde, Cyril Dion répond à Emmanuel Macron suite à l’interview que le Président a donné à Brut. Cyril Dion rappelle au Président de la République son engagement à présenter « sans filtre » les propositions formulées par la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC). Expérience inédite de démocratie participative inédite dans notre pays, la Convention a vu 150 citoyens tirés au sort travailler pendant plusieurs mois à élaborer une feuille de route concrète afin de permettre de réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre de la France. Nous republions ici, avec l’amiable autorisation de Cyril Dion, qui est par ailleurs un des garants de la CCC,, son texte initialement paru dans le quotidien le Monde.

Monsieur le Président,

Puisque vous m’avez apostrophé avec une certaine véhémence dans votre live pour le média Brut [vendredi 4 décembre], je me permets de vous adresser ici une réponse.

Vous semblez touché que je vous ai « aidé » et qu’aujourd’hui je vous critique. Vous me traitez « d’activiste » comme si c’était un gros mot. Vous dites que je ne suis pas « honnête », que je fais une « caricature ». Au-delà de la perplexité que m’évoque cette morgue à mon endroit dans la bouche du président de la République, il me semble que c’est vous qui ne respectez pas la parole que vous avez donnée. Et que c’est préoccupant pour plusieurs raisons.

En février 2019, je suis effectivement venu, avec Marion Cotillard, vous proposer d’organiser une assemblée citoyenne pour le climat, reprenant la proposition que nous vous avions faite avec le collectif des « gilets citoyens » le 23 janvier dans Le Parisien. Pourquoi ? Parce que depuis quarante ans, tous les gouvernements savent pertinemment que le dérèglement climatique existe, en connaissent les causes, les conséquences et les remèdes.

Opérer des changements systémiques

Pourtant, depuis quarante ans, leur réponse à cette urgence vitale pour l’humanité est indigente. Elle l’est pour plusieurs raisons. D’abord parce que des groupes d’intérêt (l’exemple le plus célèbre est celui d’Exxon aux Etats-Unis) ont pesé de tout leur poids pendant des années pour semer le doute sur la réalité du phénomène. Ensuite parce que notre modèle économique fondé sur une croissance sans limite s’accorde mal avec la frugalité que la crise écologique demande. Enfin, parce que c’est très compliqué. Les changements à opérer sont systémiques, massifs. Opérer le virage écologique implique de bouleverser nos sociétés. Certains y voient l’occasion d’un monde meilleur. D’autres la perte d’une forme de confort, de certains acquis, de leurs emplois…

Chacune des parties prenantes de notre société cherche légitimement à défendre ses intérêts. C’est la cacophonie et le tiraillement. Bien souvent, les élus en quête de réélection cherchent à contenter tout le monde et ont rarement le cran d’aller aussi loin que la situation le demanderait. Ils se rabattent donc sur le plus petit dénominateur commun : des mesures tièdes, en demi-teinte, rarement à la hauteur de l’enjeu. Ce fut le cas du Grenelle de l’environnement, de la loi EGalim sur l’agriculture et l’alimentation, de la plupart des COP climat. Résultat, la catastrophe est maintenant à nos portes et il sera bientôt trop tard pour éviter le pire.

Nous avons parlé de tout cela. Et je vous ai partagé une conviction : pour surpasser ces difficultés, nous avons besoin de modèles démocratiques innovants, qui permettent une véritable délibération des Français, dans leur diversité, pour trouver des solutions justes et efficaces, acceptables par le plus grand nombre. On accepte plus facilement une décision difficile que l’on a participé à prendre qu’une décision imposée d’en haut, par un gouvernement.

Le mécanisme proposé était le suivant : une assemblée de Français tirés au sort, représentatifs de toutes les réalités du pays, auditionne des experts incontestables sur la science, puis des parties prenantes de toute la société (entreprises, ONG, syndicats, élus, etc.). Ils délibèrent à ciel ouvert (tout est accessible en ligne) et formulent des propositions qui sont ensuite soumises au reste des Français par référendum ou, au minimum, au Parlement.

Simulacres de démocratie participative

J’ai été très clair avec vous : pour que cette initiative démocratique fonctionne, il est indispensable que vous vous engagiez à reprendre les propositions issues de la délibération des citoyens « telles quelles » pour les soumettre aux Français ou aux députés. Pour une raison simple. Depuis des années, des responsables politiques organisent des simulacres de « démocratie participative ». Les citoyens sont consultés et ensuite les élus n’en font, très souvent, rien. Des experts sont mandatés, travaillent d’arrache-pied (comme lors du Grenelle de l’environnement, comme le Haut Conseil pour le climat), puis leurs recommandations sont ignorées, détricotées, affaiblies par le phénomène décrit plus haut. Là, il s’agit d’autre chose : faire participer les citoyens à la décision. Renouveler un pacte démocratique affaibli et parfois même piétiné par le nombre de promesses non respectées.

Le 25 avril 2019, après des mois de discussions entre l’Elysée, le ministère de la transition écologique et des membres des « gilets citoyens », vous avez annoncé la création d’une assemblée citoyenne composée de 150 citoyens tirés au sort. Vous avez déclaré : « Ce qui sortira de cette convention sera, je m’y engage, soumis sans filtre soit au vote du Parlement, soit au référendum, soit à application réglementaire directe. »

Le 10 janvier, vous avez rendu visite aux membres de la convention. Vous êtes revenu sur cette notion de « sans filtre » et avez déclaré : « Si à la fin de vos travaux vous donnez des textes de loi, des choses précises, là je m’engage à ce qu’ils soient donnés ou au Parlement ou au peuple français tels que vous les proposerez. » C’est le cas pour de très nombreuses propositions. Le 29 juin, vous nous avez reçus dans les jardins de l’Elysée. Vous avez une nouvelle fois été très clair sur le débouché des propositions de la convention : « Je vous confirme que j’irai au bout de ce contrat moral qui nous lie en transmettant la totalité de vos propositions à l’exception de trois d’entre elles.»

De mon côté, je me suis engagé, si vous ne respectiez pas votre parole, à me manifester et à être le garant du respect de votre engagement auprès des citoyens. Cet engagement, c’est vous qui l’avez pris. Personne nous vous y a obligé. C’était d’ailleurs extrêmement courageux de votre part.

« Les détricotages se multiplient »

Vous avez également donné aux citoyens de la convention un « droit d’alerte ». Depuis plusieurs mois maintenant, de nombreuses alertes vous sont adressées, sont adressées à vos conseillers à l’Elysée, à la ministre de la transition écologique.

Des mesures qui devaient être transmises sans filtre aux parlementaires sont modifiées et parfois amoindries par le gouvernement, d’autres que vous aviez dit retenir sont finalement écartées, dont l’une – un moratoire provisoire sur la 5G – que vous avez rejetée en déclarant ne pas croire dans « le modèle amish » et ne pas vouloir revenir « à la lampe à huile »…

Malgré ces alertes, les détricotages se multiplient. Ils ont été analysés par le Réseau Action Climat. Parallèlement, des députés s’alarment de ne pas pouvoir participer à la concertation avec les citoyens, qui avait été promise. J’ai donc relevé le niveau d’alerte et lancé une pétition pour vous appeler à respecter votre engagement. Elle a déjà été signée, au moment où je vous écris, par plus de 321 000 personnes.

Ce que nous – signataires de cette pétition – vous demandons n’est ni un « sketch », ni une trahison, ni une « solution de fainéant », mais simplement de tenir parole. Nous vous le demandons aujourd’hui car c’est en ce moment qu’ont lieu les arbitrages de la grande loi climat qui doit reprendre le plus grand nombre des propositions de la convention citoyenne. Et qu’elle pourrait être la plus ambitieuse que la France ait jamais connue.

Nous vous le demandons parce que les climatologues misent sur un réchauffement de 3 à 7 °C d’ici à la fin du siècle et que notre planète pourrait devenir partiellement inhabitable.

Nous ne vous donnons pas de leçons

Parce que l’avis du Conseil d’Etat donne trois mois à votre gouvernement pour justifier que la trajectoire de réduction à l’horizon 2030 pourra être respectée.

Parce que le Haut Conseil pour le climat a rappelé maintes fois que la France ne tient pas ses objectifs pour respecter les accords de Paris.

Parce que « sans mesures urgentes, la crise climatique pourrait saper les progrès des cinquante dernières années en matière de santé publique, perturbant des millions de vies et submergeant les systèmes de santé », prévient une étude publiée le 3 décembre par la revue britannique The Lancet.

Nous ne vous donnons pas de leçons. Nous savons que tout ceci est complexe. C’est justement pour cela que les citoyens ont travaillé depuis un an à proposer un plan robuste « dans un esprit de justice sociale ».

Par-dessus tout, nous vous le demandons, parce que nous croyons toujours, même si c’est un peu vieux jeu, que tenir sa parole, pour un président de la République, c’est le socle de nos démocraties.

Cyril Dion à Emmanuel Macron : « Tenir parole, pour un président de la République, c’est le socle de nos démocraties »
publié dans Le Monde le samedi 5 décembre 2020

À lire aussi

Cyril Dion appelle à sauver la Convention Citoyenne pour le Climat dans une pétition

Plusieurs sites Internet proposent de s’informer de leur évolution :

– le site Les 150 #sansfiltre consacré au suivi des 149 mesures de la Convention Citoyenne pour le Climat
par l’association Les 150
– la page dédiée, Tableau de suivi de la mise en œuvre des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat, sur le site du ministère de la Transition écologique
– la page proposée par le Réseau Action Climat qui opère le suivi de la mise en oeuvre des 14 marqueurs de la Convention Citoyenne pour le Climat

11 commentaires

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    • Jean Grossmann

    Vu le réchauffement climatique en cours les mots « homme d’action » me semblent mieux adaptés au besoin actuel d’homo sapiens que le mot « activiste ».

    Une fois le moment de colère passé les propos de Monsieur Dion semblent raisonnables et il appartient maintenant à notre président d’y répondre en nous mettant en copie

    Ceci en proposant la nature des actions que nous allons être obligées de prendre pour atténuer la dérive climatique en cours plutôt que de l’aggraver.

    Au plus profond de moi-même et en tant qu’ingénieur hydraulicien, je suis convaincu que c’est en proposant une forme d’action orientée vers la « Solar Water Economy » mettant l’eau et le soleil sur le devant de la scène que l’exécutif a le plus de chance de se faire entendre de la majorité. Ceci dans la mesure où cette orientation permet en préservant nos écosystèmes de satisfaire nos besoins en énergie en préservant le climat. Ceci dans des conditions qui resteraient acceptables à la fois sur le plan social et pour notre économie. Ceci en laissant de côté à relativement brève échéance le nucléaire et la combustion des produits fossiles. Lorsque je dis relativement brève échéance il s’agit de une à deux générations tout au plus.
    Le problème est qu’il va falloir travailler et que les conditions actuelles sur le plan sanitaire ne sont pas idéales

    • Henri DIDELLE

    LA CCC, CA NE PEUT PAS MARCHER DANS UN PAYS OU ON VOTE 50/50

    1. Allègre disait  »méfiez-vous des consensus ». Ca n’est pas parce beaucoup sont d’accord qu’ils ont raison. Exemples.
    – Demandez aux gens si il faut baisser le prix de l’essence. Ils vous diront OUI alors que c’est une erreur vis-à-vis du climat. La consommation d’énergie et inversement proportionnelle au prix.
    – à Grenoble, il y a 30 ans un référendum populaire a voté pour le tram d’extrême justesse (52/48). Aujourd’hui ce serait plutôt (98/2) et pourtant le tram a failli ne pas se faire. Comme quoi…
    2. On ne peut pas appliquer 145 mesures comme ça d’un coup de baguette magique. Ce groupe aurait mieux fait de proposer 10 mesures prioritaires.
    3. Où avez-vous qu’un Président pourrait être en mesure d’appliquer 145 mesures au pied levé et sans filtre ?
    Je trouve qu’il fallait être un peu naïf pour y croire….

    • michel CERF

    Je partage ces deux commentaires , espérons que notre Président tiendra parole dans la mesure du possible car gouverner le Peuple Français ce n’est pas une mince affaire !

    • Guy J.J.P. Lafond

    Avec l’aide de leurs amis francophones partout sur le Globe, le peuple français peut amorcer un mouvement mondial que nos amis anglophones et allophones partout sur le globe ne pourront pas continuer d’ignorer encore bien longtemps. Moi, Canadien-francophone (Québécois), je vous suis de l’autre côté de l’Atlantique et je suis aussi un homme d’action. Pour votre info, le 27 avril 2016 j’avais écrit à notre premier ministre, le très honorable Justin Trudeau. Cette lettre est resté toujours sans réponse de lui. Et depuis, tant de choses me sont arrivées.
    À suivre,
    À nos vélos, citadins du monde!
    t: @GuyLafond

    • Guy J.J.P. Lafond

    Avec l’aide de leurs amis francophones partout sur le Globe, le peuple français peut amorcer un mouvement mondial que nos amis anglophones et allophones partout sur le globe ne pourront pas continuer d’ignorer encore bien longtemps. Moi, Canadien-francophone (Québécois), je vous suis de l’autre côté de l’Atlantique et je suis aussi un homme d’action. Pour votre info, le 27 avril 2016 j’avais écrit à notre premier ministre, le très honorable Justin Trudeau. Cette lettre est restée toujours sans réponse de lui. Et depuis, tant de choses me sont arrivées.
    À suivre,
    À nos vélos, citadins du monde!
    t: @GuyLafond

    • janine favre

    Sauver la vie sur terre semble incompatible avec la bannière de nos gouvernants qui sacrifient l’avenir à la prospérité (fugace)du monde de la finance

    • vero

    Sachant qu’il est déjà trop tard nous n’avons en effet pas d’autres choix que de passer à l’action et pour cela nous devons TOUS être confiant-e, les choses ne conviendront pas à chacun-e de nous, le haut de la pyramide tremble par peur de perdre argent, biens, pouvoir peu importe. Comment peut-on omettre l’importance de la biodiversité des espèces en tout genre, végétales et animales, de la qualité des terres, des eaux, c’est ce qui fait que nous sommes en vie, vous dirigeants ou pseudo-dirigeants aurez encore beaucoup d’argent, de biens et de pouvoir même sur une planète propre et respectée, alors lâchez et innovons ensemble ! : ) Il est temps pour nous, le bas de la pyramide, de contribuer avec coeur vers tous les possibles qui se profilent à l’horizon.

    • Sylvie L

    La convention citoyenne a voté ( en vote bloqué et non mesure par mesure!!!) des propositions qui sont un mélange de choses précises et d’autres très vagues (yakafaukin). Reprendre sans filtre est tout simplement infaisable et Cyril Dion le sait très bien. Il est donc de mauvaise foi.
    Par ailleurs la convention citoyenne a soigneusement évité la seule chose qui mène à coup sûr à la baisse drastique des émissions : le prix du carbone. Enfin la convention citoyenne est incapable de dire si elle a rempli son contrat : la somme des actions proposées peut elle mener à -40%? Elle ne le dit pas et il faut que le gouvernement fasse cette étude. Alors de qui se moque Cyril Dion? Du coup on peut s’interroger sur les arrières pensées d’un homme qui apostrophe le Président sur un sans filtre qui n’est ni réaliste ni efficace.

    • michel CERF

    Tenir sa parole est essentiel , mais parfois les circonstances imposent de changer d’avis , à mon sens le socle de la Démocratie ce sont les élections .

    • DAOUD

    Bonsoir !

    • DAOUD

    Bonsoir !
    ne pensez-vous pas que la question des dérèglements climatiques ne pourrait être prise en charge qu’au niveau unversel?
    pour notre association une partie ou étape du dérèèglement climatique pour l’EURPE et L’AFRIQUE peut trouver un début de solution pour la sauvegarde du Bassin Méditérranée dans le reboisement au Sud de cette Mer. A+