Pour les Angolaises, la double peine du changement climatique

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Mousaka Fernanda dans un champ qu'elle cultive près de Lubango, le 15 février 2020 © AFP Osvaldo Silva

Lubango (Angola) (AFP) – C’était la corvée qu’elle redoutait le plus. Chaque fois que sa mère lui ordonnait de chercher de l’eau pour arroser les récoltes familiales, là-haut dans les montagnes du sud de l’Angola, Tehandjila Quessale se raidissait imperceptiblement.

Quitter l’école. Trois heures de marche. Se glisser dans la file d’attente au point d’eau. Et puis attendre pour remplir son seau, souvent jusqu’à la nuit. Une épreuve.

Et pour Tehandjila, 16 ans, le plus dur restait encore à faire. Regagner son hameau des alentours de Lubango, la capitale de la province de Huila. « J’avais peur des attaques de garçons », se souvient l’adolescente. Au moins deux filles qu’elle connaît ont été violées au retour du puits.

Comme si la sécheresse qui fissure la terre et la faim qui serre les estomacs ne suffisaient pas, les femmes de la province de Huila vivent aussi dans la peur de l’agression.

Ces dernières semaines, les pluies torrentielles qui ont lessivé la campagne des alentours lui ont apporté un peu de répit. Tehandjila peut désormais trouver de l’eau à une source toute proche de la petite maison de pierres qu’elle partage avec sa mère et ses six frères et sœurs.

Mais la pluie a aussi détruit la récolte de la famille et fait ressurgir le spectre de la famine.

Elle menace aujourd’hui 45 millions de personnes dans toute l’Afrique australe, selon les dernières évaluations de l’ONU.

Dans la province de Huila, les égarements de la météo ont poussé la plupart des hommes hors de leurs villages pour aller chercher du travail à Lubango. Et laissé aux femmes la lourde responsabilité de nourrir les enfants.

« Le changement climatique a un impact considérable sur la vie des femmes », résume Florbela Fernandes, du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP).

L’ONU estime qu’elles constituent jusqu’à 80% des bataillons des déplacés par le réchauffement de la planète.

« A chaque crise, on constate que les groupes déjà les plus vulnérables sont ceux qui souffrent le plus », poursuit la représentante du FNUAP en Angola, « ces situations les exposent encore plus à la violence et aux abus ».

Les ONG opérant dans la province de Huila ont recensé plusieurs cas de femmes ou jeunes filles contraintes à des relations sexuelles en échange d’argent ou de nourriture.

Les pressions de l’environnement ne sont pas seules en cause. « C’est aussi une question de culture », estime Florbela Fernandes, « dans la plupart des pays africains, ce sont les filles et les femmes qui assument l’essentiel du travail à la maison ».

Le père de Tehandjila a trouvé un emploi de gardien à Lubango, mais il n’en fait guère profiter sa famille.

« Quand il revient à la maison, il est confronté à la faim. Alors il fait ce qu’il veut et moi, je me débrouille », lâche son épouse Mousaka Fernanda, 47 ans, en désherbant, les pieds dans la boue, son petit lopin de maïs.

« Les enfants ne demandent rien à leur père », ajoute-t-elle, « c’est à leur mère qu’ils réclament de quoi manger ».

Et ce n’est pas une mince affaire. Depuis des années que la sécheresse frappe la région, Mousaka Fernanda s’en sort en troquant son « macau », une liqueur locale qu’elle fabrique avec du sorgho, contre un peu de nourriture. Un gros kilo de maïs pour deux coupes de « macau ».

De quoi calmer la faim de la famille quelques jours seulement.

Alors quand sa fille aînée, Domingas, a appris qu’elle était enceinte, sa mère l’a pressée d’épouser le père de son enfant pour aller vivre avec lui.

« Ma mère ne voulait pas d’une bouche en plus à nourrir », explique la jeune femme de 19 ans, « moi j’étais contre ».

Le compagnon de Domingas Quessala a depuis quitté le foyer pour prendre un emploi dans la fabrique de jus de fruits de la ville voisine de Humpata. Désormais seule, la jeune maman confie elle aussi subir le harcèlement et les « agressions » des garçons pendant ses corvées d’eau.

« Les filles sont les premières victimes des séparations familiales », constate Anaina Lourenço, de l’ONG World Vision International. « Elles finissent par être obligées d’aider leurs mères et, très souvent, arrêtent leurs études ».

Dans un petit village de l’autre côté de la vallée, Cristina Canaino, 14 ans, a ainsi déserté les bancs de son école en 2018, lorsque son père a quitté sa famille de cinq enfants.

« Il est parti à la ville chercher du travail à cause de la sécheresse », raconte son épouse Ceu Jacinta, 32 ans, « on ne l’a pas revu depuis ». Elle n’a eu d’autre choix que de faire travailler sa fille Cristina dans un champ pour une poignée de kwanzas.

Ici aussi, les pluies ont récemment détruit une partie des récoltes de la famille et le ciel ne semble pas vouloir s’éclaircir. « S’il continue à pleuvoir, on ne pourra même pas ramasser un peu de maïs », redoute Ceu Jacinta.

Comble d’infortune, l’humidité a fait s’écrouler le toit de chaume de leur hutte. « Si mon mari était resté là », se lamente la cheffe de famille, « je ne pense pas que tout ça serait arrivé ».

© AFP

Un commentaire

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    • Maitei

    Une autre preuve des dégâts de la domination masculine, d’années et années de colonisation. Le viol est « systémique » et si on fouille dans nos histoires…
    – les pensionnats de la honte du Québec
    – le viol systématique des femmes impliquées/conscientes, durant la guerre d’algérie
    – el « chineo », le viol systémique des enfants – garçons ou files – en amérique latine, par les blancs, continue d’être la règle: ils le méritent.

    GOODPLANET – quand prendrez-vous partie dans vos articles?
    Vous mélangez tout, c’est désespérant…