Au Japon, des « usines à légumes » en ville pour remplacer la campagne

usines à légume

Des rangées de laitues produites artificiellement dans des "usines à légume", le 12 novembre 2019 à Kyoto © AFP/Archives CHARLY TRIBALLEAU

Des salades cultivées par des automates sous des lumières artificielles: aux abords de villes japonaises sortent de terre des « usines à légumes » automatiques pour combler les manques d’une campagne dépleuplée et à la merci de catastrophes naturelles à répétition.

C’est un banal bâtiment au milieu d’une zone industrielle et pôle de recherche, entre Kyoto et Osaka, dans l’ouest du Japon. Rien de l’extérieur ne laisse imaginer que grandissent dans ces locaux de la société Spread quelque 11 millions de pieds de laitues par an (30.000 expédiés par jour) avec seulement 25 employés.

Tout se joue derrière une vitre, dans une salle aseptisée, pleine de très grandes, longues et larges étagères. Des automates y transbahutent des salades d’un espace à l’autre, à longueur de journée. Au fur et à mesure qu’elles grossissent, elles rejoignent des emplacements dont les conditions de luminosité, de température, d’hygrométrie, sont adaptées au stade de leur croissance. Ce, sans pesticide ni terre, mais avec de l’eau enrichie de nutriments.

Avec le Danemark, le Japon est depuis des décennies un pionnier du laborieux développement des « usines à légumes en lumières artificielles ». Des géants comme Panasonic, Toshiba, TDK ou Fujitsu s’y sont risqués, avec plus ou moins de bonheur, en convertissant des lignes de production de semi-conducteurs en « fermes verticales » et en concevant des éclairages, capteurs et autres technologies dédiées.

« Pas de perte »

Reste que Spread, dont la maison-mère est à l’origine une firme de logistique de primeurs, est une des rares à avoir su rentabiliser l’affaire.

« Au début, les salades avaient du mal à se vendre, mais cela a été relativement aisé de se créer une bonne image de marque pour attirer le client, car nous pouvons produire une même qualité au même prix tout au long de l’année », explique Shinji Inada, le patron de l’entreprise.

Le secret ? « Nous avons peu de perte » et les produits, que l’on trouve facilement dans des supermarchés de Kyoto mais aussi de Tokyo, se conservent longtemps.

Il a fallu des années pour mettre au point ce système automatique.

Dans une autre usine de Spread plus ancienne à Kyoto, d’où sortent 21.000 pieds par jour, ce sont quelque 50 salariés qui déplacent les plants, « une tâche dure », reconnaît une employée.

M. Inada dit s’être interrogé sur la pertinence écologique de tels systèmes avant de lancer l’activité, mais d’autres raisons l’ont aussi motivé.

Fraises, tomates

« Avec la pénurie de main-d’oeuvre, la faible rentabilité du secteur agricole et la baisse de la production, je sentais la nécessité d’un nouveau système de production », dit-il. La moyenne d’âge des agriculteurs japonais est de 67 ans.

« C’est vrai que nous utilisons plus d’énergie comparé à une culture au soleil, mais nous avons en revanche une productivité plus importante à superficie égale », justifie-t-il.

Les saisons ne comptent pas: en ferme verticale, on produit huit fois par an la même espèce de salade. Quant à la quantité d’eau, à 98% réutilisée en circuit fermé, elle est minime par rapport au volume utilisé en culture traditionnelle.

« Avec toutes ces astuces, j’estime que nous contribuons à une agriculture durable pour notre société », tranche le patron.

Spread commence à reproduire le même schéma ailleurs au Japon, pour rapprocher davantage le lieu de production du lieu de consommation: une usine est en construction à Narita, près de Tokyo, dans la préfecture de Chiba, sinistrée cette année par deux puissants typhons. D’autres sont en projet.

L’étranger est aussi dans la ligne de mire.

« On peut facilement exporter notre système de production dans un pays très chaud ou, inversement, au climat froid, pour y cultiver des salades ».

Avec la construction d’une usine à laitues de la même dimension (32.000 pieds par jour), dans la préfecture de Fukushima, Mitsubishi Gas Chemical espère rejoindre bientôt Spread dans ce secteur dit de la « smart-agri » où sont aussi employés des dispositifs de surveillances distants et des drones.

Pour le moment, le Japon compte environ 200 usines à laitues closes en lumière artificielle, mais la majeure partie de petite taille. Selon la société d’étude spécialisée Innoplex, il y en aura 400 en 2025.

Les salades sont ce qu’il y a de plus facile à produire dans ces conditions artificielles. Mais, fraises, tomates et autres produits pourront aussi être cultivés de la sorte, avec des systèmes contrôlés par ordinateur.

© AFP

4 commentaires

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    • Elias Opportun C GUIVI

    C’est vraiment révolutionnaire. Ce genre de révolution doit être dupliquée ailleurs dans le monde pour permettre à l’agriculture de se libérer des vicissitudes du climat que l’homme a contribué à détruire.

      • evy

      Bonjour. Rien ne remplacera jamais les bienfaits d’un légume qui a poussé dans la terre et sous le soleil. L’hydroculture utilise aussi des produits dangereux.

        • Michel CERF

        Exact .

        • Francis

        La solution minérale qui alimente les plantes en hydroculture est composée des mêmes nitrates, sulfates et phosphates de potassium, calcium, magnésium et oligo-éléments qui sont qualifiés d’engrais chimiques parce que solubles quand ils sont utilisés dans les champs. C’est l’occasion de rappeler la grande erreur que fait l’agronomie officielle depuis 150 ans.
        Oui, les minéraux doivent être solubles dans l’eau pour être absorbés par les racines. Sauf que depuis les 300 millions d’années que les végétaux ont conquis les terres émergées, il a fallu qu’ils se débrouillent pour extraire des roches les minéraux insolubles qui s’y trouvent.
        L’azote provenait uniquement de l’atmosphère, oxydé sous forme de nitrates par les orages et ramenés au sol par la pluie. C’est aussi le cas pour le soufre rejeté par les volcans et ramené au sol sous forme de sulfates par la pluie.
        La nature a donc inventé pour les minéraux solides contenus dans les roches de multiples procédés qui permettent aux plantes de se nourrir. Le premier, ce sont les acides racinaires, entre autres l’acide sulfurique avec lequel les racines rongent les silicates du granite pour en extraire les ions positifs, K, Ca et Mg et aussi transformer le phosphate tricalcique et le phosphate de fer en phosphate soluble.
        Puis sont apparues les symbioses avec les bactéries et les champignons. Les plantes les nourrissent en leur donnant des sucres exsudés par les racines et en échange reçoivent du nitrate par les bactéries fixatrices de l’azote de l’air et du phosphate solubilisé par les mycorhizes.
        Ensuite ce sont les bactéries minéralisatrices qui transforment en nitrates les protéines de la matière organique morte (les feuilles mortes) que les champignons ont pu transformer entre-temps en humus et en phosphate soluble aussi celui de la matière organique. D’autant plus qu’une nouvelle forme de matière organique est apparue: les déjections des animaux. Leur recyclage fait partie du cycle de la vie. C’est bien pour ça qu’une menace de famine généralisée provoquée par l’épuisement des mines de phosphates, menace invoquée par des journalistes, ne relève que d’un sensationnalisme médiatique malhonnête (et habituel).
        Un sol vivant est en lui même une station d’épuration. Le problème, c’est que la science officielle ne vient de le découvrir que très récemment, et que ses préconisations d’épandages d’engrais solubles pour compenser les prélèvements de minéraux par les récoltes ont court- circuité les mécanismes biologiques. Surtout les mycorhizes, qui sont les plus fragiles ainsi que les champignons humifères dont les filaments sont détruits et mis au soleil par le travail du sol.
        Sans oublier que cet humus fabriqué par les champignons, en plus de son rôle de réserve de minéraux sert aussi de colle pour maintenir ensemble toutes les particules de limon, de sable qui sans lui sont emportées par le ruissellement de l’eau de pluie.
        Dans le cas de l’hydroculture, le court-circuit est obligatoire, puisque par définition il n’y a pas de sol. Ce sont les scientifiques qui doivent dire si les légumes produits de cette façon ont les mêmes qualités nutritionnelles que ceux produits en sol naturel.