Sécheresse, frénésie de barrages: le niveau du Mékong au plus bas

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Photo aérienne du fleuve Mekong dans le district de Pak Chom, dans la province de Loei, dans le nord-est de la Thaïlande, avec la rive laotienne sur la gauche, le 31 octobre 2019 © AFP Lillian SUWANRUMPHA

L’un des grands fleuves nourriciers réduit à une mince rivière: le niveau du Mékong, vital pour 60 millions d’Asiatiques, est au plus bas sur de larges pans, une situation critique imputable à la sécheresse et exacerbée par la construction frénétique de barrages.

Refuge, après l’Amazone, de la biodiversité aquatique la plus importante du monde (1.300 espèces de poissons), le fleuve est habituellement gonflé d’eau en cette fin de la mousson.

Mais cette année, son lit a laissé place par endroits à des amas de roches rougeâtres et à une multitude de bancs de sables sur lesquels la végétation commence à pousser.

Cette situation, qui pourrait avoir des conséquences dévastatrices sur la reproduction des poissons, est particulièrement alarmante du nord de la Thaïlande aux plaines du Cambodge, soit sur plusieurs centaines de kilomètres.

Le lac Tonlé Sap au Cambodge, relié au Mékong, est aussi touché. Des pêcheurs constatent actuellement « une réduction de 70% des prises de poissons », relève Brian Eyler, directeur du programme Asie du Sud-Est au Stimson Center, un centre de réflexion de Washington, et auteur des « Derniers jours du puissant Mékong ».

Sécheresse record

Le niveau du fleuve est « historiquement très bas même comparé à la sécheresse historique de 1992 », reconnaît, dans un communiqué à l’AFP, le secrétariat de la Mekong River Commission (MRC), l’agence intergouvernementale de gestion du fleuve. Et la situation « est appelée à se détériorer » avec le début de la saison sèche.

A Nong Khai, à la frontière entre le Thaïlande et le Laos, l’eau atteint péniblement un mètre ces derniers jours, contre six mètres les années précédentes à la même période, d’après la MRC.

En cause: le manque de précipitations tombées ces derniers mois, un climat sec aggravé par le phénomène météorologique El Nino et exacerbé par le changement climatique.

Mais les experts pointent aussi du doigt la multitude de barrages hydroélectriques, construits en amont en Chine et au Laos sur le Mékong et ses affluents.

Dernier en date, Xayaburi, au nord du Laos. La construction de ce méga-barrage de 4,5 milliards de dollars par une entreprise thaïlandaise fait controverse depuis des années. Malgré cela, il est entré en service mardi.

« Batterie de l’Asie du Sud-Est »

Enclavé au cœur de la péninsule indochinoise, dépourvu du moindre accès à la mer et de tissu industriel, le Laos mise en effet sur ses nombreux cours d’eau pour appuyer ses ambitions: devenir « la batterie de l’Asie du Sud-Est ».

44 barrages, notamment financés par la Chine et la Thaïlande, sont déjà opérationnels dans le pays. 46 autres vont bientôt sortir de terre.

En retenant l’eau, ces structures « ont pu contribuer au niveau particulièrement bas du Mékong », relève la MRC, qui précise toutefois ne pas disposer de données chiffrées pour quantifier le phénomène.

Mais pour Brian Eyler, la responsabilité des exploitants est sans appel.

« Cet été, lorsque la sécheresse a commencé à sévir, les opérateurs de Xayaburi ont effectué des tests qui ont exacerbé la situation en aval », assure-t-il, dénonçant « le secret et l’anarchie la plus totale » dans la construction et la gestion des retenues d’eau au Laos.

Contacté, CKPower, l’exploitant de Xayaburi, n’a pas souhaité faire de commentaires. En juillet, il avait démenti que ces tests soient à l’origine de l’assèchement du fleuve.

En attendant, dans la province thaïlandaise de Loei, frontalière avec le Laos, les pêcheurs sont inquiets des répercussions sur leurs moyens d’existence.

« Je ne veux plus que des barrages soient construits », soupire Sup Aunkaew, en lançant un regard sur sa maigre prise du jour. « Mais nous ne pouvons pas vraiment nous opposer à leurs plans », souligne-t-il.

Au final, les experts s’interrogent aussi sur la pertinence des barrages.

Si la sécheresse sévit de plus en plus dans la région à cause du changement climatique, ils auront en effet moins de raison d’être, car le manque d’eau leur fera produire de moins en moins d’électricité.

Ces pays ont donc « bien plus intérêt à se tourner vers le solaire, l’éolien, la biomasse et le gaz naturel », estime M. Eyler.

Plus de 100 barrages sont déjà opérationnels dans le bassin du Mékong en Chine, au Laos, en Thaïlande et au Vietnam. Des dizaines sont encore en construction.

© AFP

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