Avons-nous tous un écolo qui sommeille en nous ? Sommes-nous condamnés à regarder la planète brûler sans aucune solution ? Cette semaine, notre journaliste se demande comment s’inscrire dans le cycle du vivant une fois mort. Elle questionne ainsi les rites funéraires de notre société tout en renseignant sur les nouvelles pratiques dans ce domaine pour, pourquoi pas, être écolo jusque dans la mort. À travers la série estivale L’Odyssée bas carbone, GoodPlanet Mag’ questionne les contradictions, les choix et les solutions apportées à la crise écologique. Des nouvelles manières de voyager, du sport à la mode en passant par ceux qui tentent de changer le monde du travail de l’intérieur, L’Odyssée bas carbone explore comment, individuellement ou collectivement, des personnes aux profils variés tentent de répondre à leur manière aux enjeux de l’époque.
En France, 646 000 personnes sont décédées en 2024. Bien que le choix du rite funéraire et du devenir de sa dépouille relèvent autant d’un choix de société que d’une décision intime, les options pour le faire de manière écologique restent limitées, voire inexistantes en France. Trois choix se sont alors ouverts à elles : l’inhumation, la crémation et le don de leur corps à la science. Les deux premières, plus classiques, possèdent une empreinte carbone non-négligeable. Mais, alors à quoi bon œuvrer de son vivant pour un monde plus vert si, une fois passé l’arme à gauche, on n’a pas d’autre choix que de polluer ?
On est tous concernés par la mort. Il en va de même du réchauffement climatique. Pourtant, la question de l’impact sur l’environnement de nos rites funéraires reste de niche. Peut-être parce que nous ne sommes plus là pour nous soucier de notre impact ? « Quand on pense à changer la société, à agir pour le climat, on ne pense pas forcément à faire quelque chose une fois décédé », estime Pierre Berneur le président de l’association Humo Sapiens qui milite pour un droit à la terramation en France. Quoi qu’il en soit, « ce n’est pas du tout dans les préoccupations des professionnels du funéraire », témoigne Martin Julier-Costes, sociologue des approches anthropologiques de la mort.
« La terramation, c’est-à-dire le compostage humain, peut être un formidable levier de changement. »
Certains se posent la question d’une approche de la mort plus écologique et pourquoi pas d’ancrer la mort dans le cycle du vivant. C’est le cas de l’association Humo Sapiens. À l’origine d’Humo Sapiens, il y a une vision, celle qu’ « on peut habiter le monde en harmonie avec l’ensemble du vivant », d’après son président Pierre Berneur. Il précise : « cette vision se retrouve à travers une conviction : la terramation, c’est-à-dire le compostage humain, peut être un formidable levier de changement ». Si le terme de « compostage humain » est assez connoté, le chercheur à l’Université de Lille Damien Charabidze préfère parler « d’enterrement végétal ». Les enterrements végétaux n’ont pas pour vocation de remplacer les procédés funéraires plus classiques que sont l’inhumation et la crémation, mais d’offrir une troisième option funéraire.
Devenir de l’humus et changer les récits collectifs
Toute droit venue des Etats-Unis, la terramation vise à transformer le corps humain en humus. « Elle est directement inspirée du processus naturel qui est à l’œuvre depuis des centaines de millions d’années. Dans les écosystèmes naturels, la vie se nourrit de la mort. Les deux sont vraiment indissociables », analyse Pierre Berneur. « Quand j’ai découvert le compostage humain, je me suis dit que c’était vraiment un symbole très puissant de changement », affirme-t-il avant de développer les raisons qui l’ont poussé à croire en ce projet. « J’ai envie de croire à un autre récit de société où l’humain s’affirmerait comme membre de la communauté du vivant. Quand j’ai cherché un projet qui viendrait incarner ce récit-là, je n’ai pas trouvé mieux que le compostage humain qui nous permet, matériellement, mais aussi symboliquement, de nous inscrire en tant qu’humain dans le cycle du vivant. »

La terramation n’est pas l’unique manière de créer de l’humus humain. L’association Humusation France milite, elle, pour une légalisation de l’humusation en France. La terramation est un procédé qui se déroule en milieu confiné et dure environ 1 à 3 mois. L’humusation, quant à elle, prend une année en milieu ouvert au contact direct d’éléments naturels. Ainsi, l’humusation est un terme et un processus précis, qui correspond à une marque déposée, quand la terramation est un terme plus générique.
« L’humusation, permet vraiment de faire en sorte que la vie continue à se perpétuer. »
Si les procédés qu’elles défendent diffèrent, les deux associations partagent la vocation de repenser le rapport au vivant et d’inscrire une démarche écologique dans les rites funéraires. Pour Florence Valdés, présidente d’Humusation France, « l’humusation permet vraiment de faire en sorte que la vie continue à se perpétuer. Certes, ce n’est pas sous la même forme, mais la vie continue, et en générant le moins de pollution possible ».
Pourtant, les deux associations font face à différents obstacles. Le premier est un frein social. Repenser la mort ne concerne pas seulement les défunts, mais également les proches endeuillés. « La fille d’un monsieur que je connais bien qui souhaite se faire humuser lui a dit “je ne vois pas comment je pourrai venir me recueillir si tu te fais humuser” », se souvient Florence Valdés. C’est pourquoi son association propose la création de « forêt du souvenir », c’est-à-dire « pour celles et ceux qui le souhaitent, faire pousser un arbre à la mémoire du défunt ».
Les « forêts du souvenir »
Dans l’imaginaire, ces forêts du souvenir ne sont pas nouvelles. Bien que cette pratique soit interdite, certaines personnes demandent à ce que leurs cendres soient dispersées au pied d’un arbre. Un site Internet italien propose également de devenir un arbre. Martin Julier-Costes met en garde contre les raccourcis : on ne peut pas devenir un arbre. « C’est très beau, un mort qui fait renaître un arbre. Ça fonctionne sur l’imaginaire. Mais biologiquement parlant, non, cela ne marche pas. On peut planter un arbre autour, à côté, au nom de ou à l’image du défunt, etc. Mais concrètement, mettre la graine dans le cadavre du défunt ne fonctionne pas, la graine pourrit », explique-t-il.

Un autre paramètre à prendre en compte dans la création de forêts cinéraires est celui de la pérennité. En 1998 à Pluneret dans le Morbihan, un acteur privé crée un « jardin de mémoire » dans lequel les cendres de quelque 800 défunts sont accueillies aux pieds des arbres. Mais l’entreprise fait faillite et le jardin n’est plus entretenu. Lors de la liquidation judiciaire de l’entreprise en 2021, l’association des propriétaires des arbres craint une déforestation du jardin. Finalement, en 2024, la commune reprend la gestion du site. Une reconnaissance du caractère inaliénable du lieu et de sa fonction s’avère donc indispensable pour permettre aux défunts de reposer en paix et aux proches de pouvoir se recueillir.
« L’idée est de produire une terre funéraire moins nocive pour l’environnement. »
Aujourd’hui, les cimetières manquant de place, la solution des arbres n’est pas la seule à être imaginée. « L’idée est de produire de l’humus, une terre funéraire moins nocive pour l’environnement qui est de l’humus qu’on pourra laisser dans le cimetière pour le reverdir, pour qu’il y ait des espaces naturels, qu’il y ait des plantes, des prairies », espère Damien Charabidze. Pour le chercheur, un arbre par défunt est un objectif difficilement réalisable au vu du manque de place dans les villes et les cimetières, toutefois « il n’y a pas que les arbres, il y a les arbustes, il y a les fleurs… ». Que l’humus serve à un arbre ou une plante, il s’agit de ramener de la vie dans le cimetière, pas de faire pousser des choses comestibles comme « des tomates pour les ramener chez soi », précise Damien Charabidze. Ce qui atténue la question de polluants présents dans les dépouilles des défunts, comme les médicaments.
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Les enterrements végétaux, un chemin semé d’embuches
Un autre frein commun à l’humusation et la terramation est la législation française. En droit français, tout ce qui n’est pas interdit par la loi est par extension légal. Dans le domaine funéraire, c’est l’inverse. Transformer le corps humain en humus n’est donc pas autorisé en France, et ce, peu importe le procédé. Le législateur donne deux arguments lors de ses échanges avec Humusation France pour motiver le refus de légaliser ces pratiques. Le premier est celui du respect à la dignité du corps du défunt. « Je ne sais pas pourquoi ils évoquent cet aspect, parce que l’humusation n’est en rien contraire au respect et à la dignité du corps du défunt, bien au contraire », s’étonne Florence Valdés.
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Le second frein à cette légalisation est la question du statut accordé à l’humus. « On accorde un statut aux cendres, on ne voit pas pourquoi on n’accorderait pas le même statut une fois que le corps est transformé en humus », continue la présidente de Humusation France. Pour elle, il s’agit alors de « faux problèmes » qui pourraient être débattus au Parlement. Encore faudrait-il que le sujet soit inscrit à l’agenda politique.
Le compostage humain, une science qui patine
Enfin, un dernier obstacle à la légalisation de la terramation et de l’humusation est le manque d’expérimentations sur le sujet. En France, il est compliqué d’obtenir l’accord de l’Etat pour mener des expériences sur le corps humain. « C’est une spécificité aussi de la France. Par rapport aux pays anglo-saxons, on a très peu d’outils sur l’analyse de la dégradation des cadavres humains. Dans les pays anglo-saxons, notamment aux États-Unis, mais aussi en Australie, ils ont ce qu’ils appellent des body farms, c’est-à-dire des laboratoires, qui permettent d’étudier la dégradation des cadavres. Du coup, ils ont pu faire avancer la recherche en science médico-légale et funéraire. En France, rien de tout ça. C’est vraiment très complexe de faire des tests sur les cadavres humains », explique Pierre Berneur.
46 % des Français se déclarent prêts à recourir à la terramation
En attendant, les premiers essais sur des brebis ont débuté sur un terrain de recherche situé en périphérie du cimetière-crématorium de l’Orme à Moineaux en Essonne les 25 et 26 juin derniers. « J’ai conçu ce projet de recherche avec pour objectif de répondre à une demande qui était formulée par la société civile au sens large et portée par l’association Humo Sapiens », se souvient Damien Charabidze, le chercheur en charge de l’étude. Un sondage Opinionway pour l’association Humo Sapiens montre que 46 % des Français se déclarent prêts à recourir à la terramation.
« Ce que les Français souhaitent, c’est quelque chose qui se rapproche de l’enterrement traditionnel. »
Mais si aux Etats-Unis le procédé de terramation est réalisé dans de grandes cuves métalliques sur le même principe que du compost rotatif complètement hors-sol, « ce que les Français souhaitent, c’est quelque chose qui se rapproche de l’enterrement traditionnel. C’est-à-dire une fosse creusée dans un cimetière, dans laquelle on vient déposer un cercueil qui est ensuite recouvert. Dans notre cas, on remplace la terre par de la matière végétale. On garde un emplacement physique pour venir se recueillir », ce qui pour Damien Charabidze justifie les expériences en cours en France.
Les résultats de l’expérimentation menée par Damien Charabidze, chercheur à l’Université de Lille avec Humo Sapiens et l’Université de Bordeaux, devraient être connus au deuxième semestre 2026. « Pendant un an, on ne va rien toucher. On vérifie la température, que l’humidité dans le sol est bonne. D’ici un an, on ira ouvrir ces sépultures, et regarder l’état de décomposition sur les animaux », explique-t-il. La moitié des brebis a été enterrée dans des conditions classiques avec de la terre, l’autre l’a été en utilisant du broyat végétal. Des expériences sur des corps humains sont prévues en Australie à l’automne prochain. « C’est presque plus simple d’aller faire ces expériences en Australie, au Canada, aux Etats-Unis, sur des humains, que d’essayer de les faire en France sur une brebis ou sur un cochon », regrette-t-il.
Envie d’ailleurs ?
En attendant les résultats des tests et la légalisation des procédés, certains pourraient être tentés d’aller se faire humuser aux Etats-Unis ou en Allemagne où ces pratiques funéraires sont légales. Pourtant, cette solution ne semble pas idéale comme l’explique Florence Valdés : « d’un point de vue pratique, c’est très risqué. Parce que justement, si on fait plus de 50 kilomètres dans un corbillard, la société de pompes funèbres est obligée de recourir à un thanatopracteur qui va faire des soins de conservation, donc utiliser des produits de conservation qui vont être totalement incompatibles avec l’humusation. »

Un autre problème soulevé par la présidente d’Humusation France est l’interdiction de rouvrir le cercueil une fois le défunt mis en bière. Or, l’humusation se fait en « plein air ». Cette obligation de recourir à un cercueil pose donc un problème en termes de compostage humain. Damien Charabidze estime que « le cercueil créé un obstacle entre l’environnement et le corps. Le cercueil finit par se détériorer, mais ça prend du temps. Pendant ce temps-là, au lieu d’avoir la décomposition d’un corps en présence d’oxygène, qui est le principe de l’enterrement végétal, on a une putréfaction, c’est-à-dire une décomposition du corps en l’absence d’oxygène, dans un environnement qui est fermé, ce qui pose des problèmes ensuite, pour la fin de la décomposition. »
Un enterrement avec crémation représente 148 aller-retour Paris-Marseille en TGV
La terramation et l’humusation demeurent pour l’instant interdites en France, il ne reste plus que trois choix possibles : l’inhumation, la crémation et le don de son corps à la science. Si peu de recherches existent sur le sujet, la Chambre Syndicale Nationale de l’Art Funéraire (CSNAF) a publié une étude sur l’impact carbone des rites funéraires. On y apprend que ce qui émet le plus est la cérémonie. La taille de l’assemblée, la distance parcourue par les proches pour assister à la cérémonie, mais également le type de repas choisi et l’origine des articles funéraires jouent sur ces données.
Toujours selon cette étude, l’inhumation (620 kgCO2e) émet moins de CO2 que la crémation (649 kgCO2e). Ce qui peut s’expliquer par le processus de crémation. 23 % de ses émissions proviennent effectivement de la combustion du gaz. Pourtant, le nombre de crémations augmente ces dernières années.
Pour réduire l’impact environnemental des fours crématoires, une équipe du CNRS travaille sur une nouvelle forme de crémation, le projet Crémathelio. « L’idée de ce projet est de faire de la crémation solaire. Elle repose sur des héliostats c’est-à-dire des miroirs réfléchissants qui concentrent la lumière solaire pour créer une sorte de rayon lumineux. Vous brûlez le corps, mais vous n’utilisez pas la même source d’énergie pour le brûler », éclaircit Martin Julier-Costes. Crémathélio, porté par des laboratoires de recherche comme PROMES et CESOR, permettrait donc de tendre vers la neutralité carbone en abandonnant les énergies fossiles au profit du solaire. Encore faut-il qu’industriels et législateur s’emparent du sujet.
Vous venez de lire le cinquième épisode de la série L’Odyssée bas carbone.
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Pour aller plus loin :
La fiche technique pour comprendre l’Humusation proposée par Humusation France.
L’étude d’acceptation de la terramation en France proposée par Humo Sapiens.
mis à jour le 28/08/2025

4 commentaires
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Alain Uguen
Cyberaction : Humusation
https://www.cyberacteurs.org/cyberactions/humusation-7292.html
Stéphane LAGASSE
https://www.floreffeentransition.be/humusation-3-eme-mode-de-sepulture/
Elle existe aussi en Belgique, avec les même obstacles juridiques et peut-être aussi beaucoup de manque à gagner par les entreprises funéraires et les communes …
En donnant mon corps à la science, le problème n’est-il pas simplement reporté ?
Le film japonais « Departure » me semble inspirant : donner plus d’importance aux soins de la dépouilles pour, ensuite, laisser la nature faire son travail. Une localisation posthume me semble moins nécessaire mais elle pourrait être maintenue symboliquement dans des cimetières traditionnels plus sobres et jardinés.
patrick
dans le livre peut encore manger des bannanes de Mike Berners-Lee il est explique que le principal impact CO2 de l’enterrement c’est le voyage des gens pour s’y rendre
patrick
pourquoi prendre pour reference un voyage en TGV paris marseille sachant que l’electricite en france est tres decarbonnee? 1 paris-marseille= 2,6kg co2e donc 148 trajests = 385kg co2e soit un peu plus qu’un aller retour paris marseille en avion….