Avons-nous tous un écolo qui sommeille en nous ? Sommes-nous condamnés à regarder la planète brûler sans aucune solution ? Cette semaine, notre journaliste se demande comment agir pour l’écologie dans son cadre professionnel. À travers la série estivale L’Odyssée bas carbone, GoodPlanet Mag’ questionne les contradictions, les choix et les solutions apportées à la crise écologique. Des nouvelles manières de voyager, du sport à la mode en passant par ceux qui tentent de changer le monde du travail de l’intérieur sans oublier ceux qui sont écolos jusque dans la mort, L’Odyssée bas carbone explore comment, individuellement ou collectivement, des personnes aux profils variés tentent de répondre à leur manière aux enjeux de l’époque.
88 % des salariés affirment que la transition écologique est un sujet important dans leur entreprise selon une étude pour LinkedIn et l’ADEME réalisée par l’institut CSA en 2021. Face aux effets du changement climatique, de plus en plus de Français prennent conscience de l’urgence d’agir. Les engagements personnels ont-ils leur place en entreprise ? Face à l’impératif de transformation des modes de production et de consommation, avez-vous déjà pensé à agir pour l’environnement dans la sphère professionnelle ?
« Quand on regarde un peu l’histoire de l’écologie politique, elle a plus été sur une stratégie de sortie à l’égard du domaine de la production et du monde de l’entreprise », analyse Gauthier Delozière. Il rédige une thèse sur Repenser les frontières du travail – enjeux philosophiques et politiques d’une conception environnementale du travail. Il faut attendre le Mouvement pour le Climat et la fin des années 2010 pour que « des personnes, aux profils très spécifiques, notamment des ingénieurs, déclarent vouloir aller dans des entreprises qui s’engagent dans une forme de transition ».
Le doctorant qui travaille sur la question des bifurcations observe que les individus souhaitant allier militantisme environnemental et travail se tournent plus vers des postes dans le secteur public ou associatif. « Peut-être que le monde de la grande entreprise est perçu comme un lieu où l’on n’a pas de prise sur l’organisation du travail ou sur la détermination des objectifs ? ».
Repenser le contrat de travail pour favoriser l’engagement ?
Face à cette problématique, le syndicat Printemps écologique propose de mettre en place un « contrat naturel ». Pour l’organisation syndicale, le contrat de travail, dans sa forme actuelle, implique un lien de subordination faisant de l’entreprise « un des espaces les plus difficiles pour s’engager, parce qu’il n’est pas prévu pour ça » selon Anne Le Corre co-fondatrice du syndicat.
L’idée du contrat naturel serait donc d’avoir « un contrat moral par rapport à ce qui est produit par l’entreprise et la façon dont elle le fait et un droit de regard sur son organisation ». Mais la syndicaliste conçoit que ce contrat naturel « est un petit peu idéaliste ».
Loi Pacte et enjeux environnementaux en entreprise
Pourtant, en 2019, le législateur a semblé vouloir aller dans ce sens en adoptant la loi Pacte. Cette dernière introduit dans le Code civil l’idée que « la société [ici au sens d’entreprise, NDLR] est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Mais deux ans après son entrée en vigueur, le Rapport Rocher observait déjà un échec de la loi Pacte dans son ambition de réconcilier économie et transition environnementale et sociale.
Ce bilan effectué pour le ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance, concède que « si le monde économique détient une responsabilité majeure dans les dégradations écologiques, il peut également jouer un rôle clé dans les solutions à apporter pour réorienter l’économie vers la conservation de la nature ». Face à de telles ambitions répétées, il est pourtant à déplorer que la loi pacte interdise tout recours en justice contre une entreprise ne la respectant pas.
« Les bifurcations pour motif écologique sont sans doute appelées à se multiplier dans les années à venir »
« Il y a quelques entreprises qui ont essayé de faire sans la transition écologique et qui n’ont pas été pénalisées. On voit donc un retour en arrière sur la transition écologique et sociale qui est assez important », observe Anne Le Corre. Ainsi, les enjeux économiques continuent de prendre plus d’importance, au détriment de la transition environnementale et sociale. Cependant, la quête de sens au travail reste présente chez certains salariés. Face à cette situation, Thomas Coutrot et Coralie Pérez parlent de « conflit éthique environnemental ». C’est-à-dire, le sentiment de faire un « travail qui a des conséquences négatives sur l’environnement ». Selon l’enquête Conditions de travail de 2019, 7 % des Français éprouveraient ce sentiment. Les deux chercheurs continuent en estimant que « les bifurcations pour motif écologique sont sans doute appelées à se multiplier dans les années à venir ».
La bifurcation professionnelle est le choix fait par Anthony Viaux. L’ancien pilote de ligne commence par une prise de conscience passive. Depuis le cockpit de son avion, il observe les conséquences du changement climatique. « Je voyais au fil des années les glaciers qui devenaient de plus en plus noirs. Je voyais en permanence des feux de forêt », se souvient le pilote qui pourtant, avoue passer par une phase de déni. « C’est plus facile de rester dans une routine que de changer ses habitudes. » Mais l’ex-pilote commence à se questionner un peu plus lorsqu’il entame des études de naturopathie en 2018 qui lui « ouvrent les yeux sur pas mal de choses ». « J’ai commencé à réaliser que le métier que je faisais de pilote de ligne n’était pas forcément cohérent avec mes convictions écologiques ».

Après le confinement, Anthony Viaux commence à s’imaginer bifurquer. Bien que certains de ses collègues trouvent son choix inutile affirmant que « ça ne sert à rien de partir, on va te remplacer », le pilote repenti estime que le système actuel de l’aviation dépend trop des énergies fossiles et n’est pas aujourd’hui changeable. Face à une « remise en question trop grande du système », le pilote de ligne « n’a pas le choix » et change de voie pour s’aligner avec ses valeurs personnelles. Aujourd’hui, malgré l’abandon de son « rêve de gamin » et le renoncement à « un bon salaire », Anthony Viaux se dit « heureux », réaligné avec lui-même.
« Tout le monde n’a pas la possibilité de changer de métier »
Même si les histoires comme celle d’Anthony Viaux sont très médiatisées, les bifurcations sont encore loin d’être la norme. La syndicaliste Anne Le Corre rappelle que « tout le monde n’a pas la possibilité de changer de métier ». Certaines personnes font le choix de rester dans leur entreprise, se situant à l’intersection du monde de l’entreprise et du militantisme. Ils sont ceux que les sociologues appellent des « radicaux tempérés ». Pour Gauthier Delozière, « ils décident de rester dans l’entreprise parce qu’ils ont des gains matériels et symboliques à le faire tout en essayant d’apporter des éléments de militantisme au sein de la société ».
C’est le cas de Nicolas, membre d’un collectif écologique qui a choisi de rester dans sa boite. « Ça fait 26 ans que je suis dans la même entreprise. Je suis forcément attaché à elle. Je pense qu’il faut aussi faire changer les grandes entreprises. »
Des Collectifs de salariés qui agissent pour l’environnement
Changer les entreprises de l’intérieur s’avère l’un des objectifs des Collectifs, ils regroupent des réseaux de salariés mobilisés pour l’environnement. Nicolas [les personnes identifiées uniquement par leur prénom souhaitent préserver leur anonymat] est membre cofondateur d’un collectif créé il y a deux ans dans sa société. « On s’est aperçus qu’on avait déjà des engagements individuels, éventuellement des engagements associatifs ou locaux dans nos communes. Pour nous, ça nous manquait d’aligner ces différents engagements avec ceux de notre vie professionnelle ». Les Collectifs ne sont pas là pour remplacer la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) mais pour servir d’accélérateur de leur transition écologique.
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Pour Paul Chalabreysse, membre de l’association Les Collectifs créée il y a quatre ans par 27 collectifs, ces derniers interviennent en complément des politiques de RSE, pour « boucher le trou dans la raquette d’une stratégie qui existe déjà ». Ainsi, les collectifs doivent, « proposer des choses et ne se cantonner à interroger ».
Pour Nicolas, « Il faut arriver à faire en sorte que, collectivement, on se mette dans l’action, pas seulement dans le constat ». Se mettre dans l’action pour un collectif passe par des missions de sensibilisation comme les ateliers Fresque du Climat. À l’occasion d’un de ces ateliers, Mina rejoint le collectif de son entreprise de conseils en stratégie.

Mina est la preuve que, si les collectifs sont plus présents dans les secteurs d’activité de l’énergie et de l’industrie, ils s’implantent dans des structures et domaines d’activité très variés. « Beaucoup de salariés sont intéressés par ces questions environnementales en entreprises, notamment avec des angles sur lesquels peuvent appuyer les collectifs ». Paul Chalabreysse des Collectifs fait ici référence aux questions d’évolution du secteur et de l’entreprise du salarié ou encore de pérennité de cette dernière. Le collectif auquel appartient Nicolas a par exemple réussi à faire intégrer aux selfs des différents sites des repas végétariens aux menus.
Mina comme Nicolas témoignent d’un bon accueil par leurs collègues des démarches portées par les collectifs engagés dans la transition de leur société. « Même si les gens n’avaient pas le temps de s’investir dans le groupe collectif, la plupart nous soutenaient », affirme Mina. Pour elle, la seule raison qui expliquerait de potentielles tensions serait une mauvaise gestion. « Évidemment, il faut bien s’harmoniser avec une direction RSE déjà en place pour être sûr qu’elle n’ait pas l’impression qu’on marche sur ses plates-bandes ou qu’on dise qu’elle fait un mauvais travail. »
« On a une reconnaissance officielle de l’ensemble de l’entreprise. »
Nicolas, fait foi d’une bonne entente entre sa direction et le collectif. « On avait déjà des contacts plutôt site par site avec les directions qui nous avaient autorisés à faire nos ateliers de sensibilisation. Mais là, on a une reconnaissance officielle de l’ensemble de l’entreprise. » Dans sa compagnie, l’action du collectif présent sur plusieurs sites français dépasse les frontières et se trouve également à l’international en Italie, aux États-Unis et en Amérique du Sud.

L’entente avec la direction dépend de chaque entreprise, voire de chaque site. « Il y avait sur un des sites une direction qui était un petit peu plus frileuse et qui nous a demandé quelle était notre légitimité pour continuer de faire des actions sur son site. », se souvient Nicolas. Les initiatives des collectifs dépendent ainsi de l’accord de la direction des entreprises. Paul Chalabreysse explique que certains collectifs se trouvent dans des situations plus difficiles que d’autres avec une hiérarchie moins encline à les recevoir. Dans cette situation les collectifs ne se présentent pas comme un contre-pouvoir, mais bien comme un « accélérateur de la transition écologique de leur boite ».
Printemps écologique, le syndicat pour la transition environnementale
Une autre manière de militer pour l’environnement au travail est de rentrer dans un syndicat. Si leurs modes de fonctionnement diffèrent – les collectifs ne sont par exemple pas tributaires d’une élection – syndicats et collectifs sont, pour Paul Chalabreysse, « complémentaires ». Nicolas a préféré faire partie d’un collectif pour « avoir une relation plus neutre » et « facile » avec la direction. Les syndicats ont, dans l’imaginaire collectif, des relations plus orageuses avec les directions, Paul Chalabreysse rappelle qu’ils sont « cadrés par la loi » ce qui leur confère « l’intérêt de protéger leurs membres ».
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En 2020, le syndicat Printemps écologique naît de la volonté d’un collectif de salariés issus de différentes entreprises qui se rassemblent pour faire face à l’urgence climatique. Son objectif est alors de « passer un peu à la vitesse supérieure pour établir des rapports de force dans leur entreprise et pousser la transition écologique » explique Anne Le Corre.
« On va plus loin que la loi. »
En plus de protéger ses membres et d’avoir une plus grande légitimité en ayant des délégués élus au sein du CSE, un des avantages recherché dans le syndicat est d’avoir un temps consacré à la transition écologique pendant les heures de travail consacrées aux missions syndicales. En effet, les membres de collectifs agissent sur leur temps personnel contrairement aux syndiqués.
Le pouvoir de l’action collective
Malgré cette plus forte protection et champs d’actions, Anne Le Corre témoigne d’une arrivée du syndicat Printemps écologique dans les entreprises plus musclées que celle d’un collectif : « Il y a à la fois des entreprises où ça se passe assez correctement et des entreprises qui ont peut-être une stratégie un peu plus anti-syndicale qui se traduit régulièrement par du contentieux devant un tribunal judiciaire. » Ce qui n’empêche pas les syndicats de se battre pour mener leurs actions notamment au travers d’accords collectifs. La co-fondatrice du Printemps écologique prend l’exemple de l’industrie pharmaceutique : « Ils ont signé un accord collectif qui oblige l’entreprise de la pharmacie à avoir une stratégie de décarbonation C’est hyper intéressant parce que là, on va plus loin que la loi. »
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Mais que le salarié choisisse la forme syndicale ou du collectif pour militer, tous témoignent d’une cohésion de groupe donnant de la force et dépassant les seuls enjeux écologiques. Anne Le Corre s’estime « très chanceuse » de faire partie du syndicat : « je travaille avec beaucoup de personnes hyper courageuses qui s’engagent et qui ont des valeurs très fortes. Elles pensent que, finalement, on doit s’organiser collectivement entre salariés pour porter des sujets. »
Nicolas lui, estime que, face à l’agrandissement du collectif, l’une des missions principales est de « faire en sorte que chacun puisse trouver des engagements sur lesquels il a envie d’œuvrer ». Mina, elle, estime avoir survécu au turnover de son ancienne entreprise grâce au collectif qui l’a « aidée lors des périodes difficiles » en lui apportant « des amis ». Gardant un très bon souvenir de ce collectif comme « safe place pour pouvoir s’exprimer » et « réservoir d’énergie incroyable », Mina souhaite créer un collectif dans sa nouvelle entreprise.
Vous venez de lire le troisième épisode de la série L’Odyssée bas carbone.
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Pour aller plus loin :
Le documentaire Le nid et l’oiseau du syndicat Printemps écologique.
La formation en ligne Passeport Collectif par Les Collectif.

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