Pendant 4 mois, l’ingénieur Corentin de Chatelperron et la designeuse Caroline Pultz ont habité dans un appartement low-tech. Dans un logement transformé en une biosphère urbaine, tous deux ont pu adopter un mode de vie en synergie avec la nature. Situé dans la ville de Boulogne-Billancourt, cet appartement dessine un autre futur, compatible avec les limites planétaires grâce à ses aménagements low-tech. À l’occasion de la sortie d’une série documentaire, d’un livre, et de l’ouverture d’une exposition reconstituant une partie de l’Appart du futur, Corentin partage son retour d’expérience.
Aujourd’hui, plus d’un humain sur deux vit en ville. En 2050, il s’agira des deux tiers de la population selon l’ONU. Après avoir créé une biosphère sur une plateforme flottante en Thaïlande, puis dans un désert au Mexique, c’est au tour d’un appartement standard de devenir un terrain d’expérimentation pour la low-tech. En choisissant un appartement représentatif de la vie de millions de citadins, cette expérience a démontré qu’il était possible de développer une technologie utile, durable, et accessible en ville.
Offrir des alternatives accessibles
« Hier, des enfants, la plupart sans filtre, m’ont demandé pourquoi je faisais ça. On entend dire qu’il faut que nos modes de vie changent, mais je trouve qu’on ne propose pas de solutions. Ce manque de solutions a été un moteur pour moi », se confie Corentin de Chatelperron. En réponse à ce manque, les low-tech se sont multipliées dans l’appartement témoin. On y retrouve des toilettes vivantes et une douche champignonnière dans la salle de bain, une cocotte du futur et un bar à herbes aromatiques dans la cuisine, ou encore un broyeur mécanique pour les déchets.

Cette expérience a aussi été pensée pour être financièrement abordable, pour toucher le plus de personnes possibles. Le design de tous les objets ont été réfléchis pour être simple, puis ils ont été fabriqués avec des matériaux abordables, comme le bloc de chanvre bio sourcé pour le lit.
L’alimentation a été le plus gros défi, avec un budget de 6€50 par jour. « Ça nous a pris des semaines, pour trouver des recettes permettant de manger bio, local, de saison, nutritif et appétissant », dit Corentin de Chatelperron, en rappelant que cette somme quotidienne correspond au budget de personnes aux revenus modestes ou à celui des étudiants. Pour y remédier, les deux habitants ont travaillé une demi-journée dans une ferme, tout en avouant que cette solution était probablement une des moins accessibles pour les personnes actives.
Pour être accessible, vivre dans une biosphère urbaine ne devait pas être chronophage. Si travailler à la ferme peut prendre trop de temps, ce n’est pas le cas de l’appartement où presque tout a été automatisé. Fourni en énergie par des panneaux solaires, le « cerveau », un microcontrôleur, commandait chaque équipement électrique. Finalement, la gestion de l’écosystème leur prenait « moins de 5 minutes par jour, pas plus qu’un animal domestique », selon l’ingénieur. Il s’agit principalement de changements d’habitude, comme préparer les repas plus en avance car la cuisson est plus lente.
La vie low-tech, ce n’est pas l’autarcie mais des liens
Ce modèle n’est qu’à ses débuts. En effet, la forte densité de population en ville pourrait être une force, pour le rendre encore plus accessible. « Ce mode de vie est possible, ce n’est pas chaque appartement en autarcie, mais un groupement de personnes qui fonctionnent ensemble », insiste Corentin, confiant en la création d’un réseau qui permettrait de diviser ou rendre collectives les tâches.
Des résultats désirables
La majorité des objectifs ont été atteints pendant cette expérience. L’Appart du futur a permis de diminuer par 10 les besoins en eau et par 15 les besoins en électricité, tout en ne produisant aucun déchet. Des résultats satisfaisants, basés sur les recommandations du GIEC. D’autres résultats, plus difficilement quantifiables, ont bel et bien été ressentis, comme pour la santé physique et mentale. « Les gestes du quotidien prennent plus de sens », est une des conclusions marquantes des habitants de l’Appart du futur.
Malgré ce changement de vie radical, un résultat a pris de cours les participants comme les chercheurs. Alors que le GIEC préconise des émissions de carbone ne dépassant pas 2 tonnes par personne à l’année, Corentin et Caroline auraient respectivement émis en une année 2,2 tonnes. « On pensait avoir de la marge, mais 2 tonnes est vraiment un objectif ambitieux. Cela demande de revoir également les services publics que nous utilisons », explique Corentin.
Réinventer nos imaginaires
L’Appart du futur a pour ambition d’être désirable, en montrant sa convivialité et tous ses avantages, qui vont au-delà des inquiétudes environnementales. Ce concept, comme la low-tech, a une dimension fédératrice, grâce au partage des compétences et des savoirs. Des projets de sciences participatives menés durant ces 4 mois ont prouvé que la low-tech était accessible à une large partie de la population. Corentin a été frappé par la motivation que ces projets ont engendrée : « on s’est rendu compte que beaucoup avait envie de changer leur mode de vie, et ça leur a donné un cadre. C’est passé de marginal, à un projet puissant car collectif ».
Mais, la concrétisation de modes de vie, voire d’une société reposant sur les low-tech demeure encore un horizon. Aujourd’hui, il existe des freins économiques et légaux, car de nombreuses low-tech ne sont pas commercialisées, mais aussi réglementaire, comme avec les biodigesteurs interdits en bas des immeubles. Auxquels un frein culturel se rajoute. Aujourd’hui, le vivant (bactéries, champignons, insectes) est rejeté des villes, un travail d’éducation permettrait de changer la vision qu’on en a afin de mieux les intégrer au quotidien. « Il faut qu’il y ait l’envie de devenir la NASA des low-tech, ce n’est pas une version finale mais un nouveau champ d’exploration, dont on a pu valider le concept », conclut Corentin.
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