La limite planétaire de l’acidification des océans serait déjà dépassée. Sur les 9 limites planétaires à ne pas franchir afin d’assurer l’habitabilité de la planète, l’acidification des océans figurait parmi les 3 derniers seuils qui n’avaient pas encore été atteints. Du moins, c’est ce qu’on pensait jusqu’à la publication d’une étude dans la revue Global Change Biology début juin. Dans ces travaux au titre sans équivoque Ocean Acidification: Another Planetary Boundary Crossed (Acidification des océans : une autre limite planétaire franchie), les chercheurs affirment que la limite aurait été atteinte depuis au moins 5 ans. En absorbant davantage de dioxyde de carbone (CO2), émis par les activités humaines, les océans s’acidifient, ce qui affecte les espèces marines, notamment celles à coque, comme les mollusques et les coraux. Les auteurs de l’étude rappellent que « l’acidification des océans a été identifiée dans le cadre des limites planétaires comme un processus planétaire dont approcher la limite pourrait conduire à des changements environnementaux inacceptables. »
Des océans plus sensibles à l’acidification
Ainsi, les auteurs de ces travaux affirment que depuis 2020, le niveau moyen d’acidification des océans a déjà dépassé la marge d’incertitude sur la limite concernée. Leur analyse a été étendue aux eaux profondes des océans. Elle révèle que jusqu’à 60 % des eaux profondes (en dessous des 200 mètres de profondeur) a déjà dépassé la limite planétaire, contre plus de 40 % pour les eaux de surface de l’océan. « Ces changements aboutissent à un déclin significatif des habitats propices aux espèces marines basées sur la calcification biogénique », expliquent les chercheurs. « Ce qui se traduit par une réduction de 43 % de l’habitat des récifs coralliens tropicaux et subtropicaux, jusqu’à 61 % pour les ptéropodes polaires et 13 % pour les bivalves côtiers. »
La limite planétaire de l’océan, un outil de compréhension qui ne reflète pas la diversité des situations
L’indicateur de suivi de la limite planétaire de l’océan n’est pas le pH qui mesure l’acidité, mais l’état de saturation de l’eau de mer en carbonate. « Quand le pH diminue la concentration en carbonate se réduit aussi. Le carbonate sert aux organismes qui calcifient c’est-à-dire qui fabriquent une coquille ou un squelette calcaire grâce au carbonate qu’ils trouvent dans l’océan », précise l’océanographe Jean-Pierre Gattuso.
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L’acidification peut également fragiliser les coquilles ou les squelettes des organismes marins. Jean-Pierre Gattuso, qui est directeur de recherche CNRS au Laboratoire d’océanographie de Villefranche, salue les vertus pédagogiques des limites planétaires comme outil de suivi de l’état de l’environnement et comme moyen d’alerter le grand public. Le scientifique, qui travaille sur l’acidification, n’a pas contribué à l’article publié dans Global Change Biology. Il explique toutefois que dans le cas de l’acidification des océans « déterminer un niveau de pH, ou là en l’occurrence un niveau de concentration en carbonate de l’eau de mer, au-delà duquel ce serait la catastrophe est extrêmement difficile. En effet, l’acidification n’évolue pas à la même vitesse dans toutes les mers et tous les océans. Elle augmente plus vite dans l’Arctique et dans l’océan australe. » Les concentrations de carbonate peuvent aussi fluctuer selon les saisons. De plus, la sensibilité des espèces au phénomène n’est pas identique. Le chercheur rappelle qu’« en raison des interactions entre la chaleur de l’eau et l’acidification, l’océan du futur ne sera pas soumis à une seule variable, mais à une combinaison de variables. »
« L’acidification des océans peut avoir un impact sur d’autres espèces », constate Jean-Pierre Gattuso qui donne l’exemple des saumons du Pacifique Nord qui, à certains moments de l’année, se nourrissent à 70 % voire 90 % de ptéropodes, des petits mollusques. « Leur coquille étant très fragile, on s’interroge sur leur survie à l’avenir », précise l’océanographe de Villefranche. La réduction des populations de ces derniers pourrait perturber la chaîne trophique et l’écosystème.
Tout n’est pas encore joué concernant l’acidification des océans
L’augmentation de l’acidité des océans est une des répercussions des émissions de gaz à effet de serre. Elles affectent directement un milieu. Elles menacent d’impacter une grande partie de la chaîne alimentaire océanique. Néanmoins, « cette limite peut évoluer en fonction des trajectoires d’émissions de gaz à effet de serre », affirme Jean-Pierre Gattuso. « Si on respecte l’Accord de Paris, cette acidification va se stabiliser. C’est la bonne nouvelle ». Ainsi, le niveau d’acidification pourrait redescendre sous la limite, à condition de réduire les rejets de CO2. « Le respect des objectifs de l’Accord de Paris sur le climat stoppe la hausse des températures de l’eau, qui est une menace encore plus directe pour les océans, et l’acidification. Cela ne veut pas dire qu’on revient pour autant aux températures et au pH de l’ère préindustrielle. Cela prendra des siècles. »
Les limites planétaires, au nombre de 9, ont été conceptualisées parle Stockholm Resilience Centre en 2015. Selon ce dernier, 6 d’entre elles ont déjà été dépassées. Elles donnent des critères à respecter afin de maintenir la planète habitable pour les êtres vivants. En ce qui concerne l’acidification, le Stockholm Resilience Centre n’a pas, pour le moment, revu son évaluation.
Article édité le 23 juin 2025 à 11H afin de rectifier une erreur sur un nom d’espèce marine et vroggier un usage inapprpoprié du terme « acide » dans un intertitre.
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Pour aller plus loin
L’article en anglais Ocean Acidification: Another Planetary Boundary Crossed
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2 commentaires
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Matthias Heilweck
Une petite « coquille » dans la rédaction de cet article: les ptéropodes sont bien de petits mollusques marins; par contre les théropodes sont, ou plutôt étaient des dinosaures terrestres et n’ont rien à faire ici.
Ceci dit, Jean-Pierre Gattuso a raison de préciser que la sensibilité des espèces au phénomène de moindre alcalinité n’est pas identique. Depuis le début de l’ère industrielle, la biomasse globale des coccolithophores (des micro-algues pourvues de plaques calcaires) a augmenté au point d’accroitre les dépôts de ces coccolithes de 40% au fond des mers.
Julien
Bonjour
Effectivement, une erreur de notre part. Nos excuses, nous l’avons rectifié, nous vous remercions de votre vigilance et de l’avoir protée à notre connaissance.
La rédaction