Marie Albert, randonneuse en solitaire : « dormir seule dans la forêt, c’est un message fort qui n’est encore pas normal aujourd’hui »

Le Guide féministe de la rando solo est illustré par Myrlène Dagnet

Le Guide féministe de la rando solo est illustré par Myrlène Dagnet

Depuis presque 10 ans, Marie Albert parcourt les sentiers de France en solitaire. L’idée de partir seule en forêt pour randonner ou même camper en pleine nature peut inquiéter plus d’une femme. Dans son livre Le guide féministe de la rando solo paru le 8 mai aux éditions Voyages Gallimard, la journaliste Marie Albert donne ses conseils pour dépasser sa « peur du grand méchant loup ». Pour GoodPlanet Mag, l’aventurière, en plus de partager des conseils pour toutes et tous puissent se lancer dans le voyage en solo, revient sur le sens féministe et écologique qu’elle donne à sa pratique de la randonnée et les impacts de la crise climatique sur cette dernière.

Tout d’abord, qu’est-ce que le Survivor Tour et d’où vous est venue l’idée ?

J’ai parcouru le chemin de Compostelle entre 2016 et 2019. Je faisais des étapes chaque année. J’ai voulu donner un sens politique à ma marche. À l’époque, on parlait beaucoup des féminicides. Donc j’ai dédié les 700 derniers km de mon chemin de Compostelle, jusqu’à St Jacques en Espagne, aux victimes de féminicide. Chaque jour, je pensais à une femme tuée par son ex ou son conjoint en France et je racontais son histoire sur les réseaux sociaux. À l’époque, ça avait intéressé du monde et je voyais que ça donnait plus de visibilité au sujet.

« J’ai eu l’idée du Survivor tour, un tour de France contre les violences sexistes. »

Lorsque je suis arrivée à Compostelle en 2019, je me suis demandé quelle marche faire par la suite. J’ai réalisé que je ne connaissais pas si bien que ça mon pays et que ce serait intéressant de faire le tour de la France le long des côtes et des frontières. Plus tard, chez moi à Paris, j’ai eu l’idée d’un tour de France d’une survivante puisque j’ai subi des violences sexistes et sexuelles. Ainsi, j’ai eu l’idée du Survivor tour, un tour de France contre les violences sexistes. Pendant ma marche, je me réapproprie l’espace public en tant que femme seule et je me défends des potentielles violences sexistes que je pourrais subir sur le chemin. Le fait de dormir seule en tant que femme dans la forêt, dans l’espace public, c’est un message fort qui choque et qui n’est encore pas normal aujourd’hui. J’ai commencé le Survivor Tour en 2020 par étapes. Chaque été, je fais plusieurs mois. Là, j’ai fait à peu près 4 500 km. J’en suis à la Méditerranée.

« Le fait de dormir seule en tant que femme dans la forêt, dans l’espace public, c’est un message fort qui choque et qui n’est encore pas normal aujourd’hui. »

Combien de temps vous faut-il pour finir ce tour de France ?

J’en ai effectué la moitié. Je suis partie de Dunkerque dans le Nord. Il faut encore que je fasse toutes les Alpes et que je remonte jusqu’à Dunkerque. Il me reste, je pense, encore cinq ou six ans facile.

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Pourquoi et comment voyager seule

Pourquoi choisir de randonner seule ?

Parce qu’en tant que femme, on n’est pas censée être seule et passer du temps avec soi-même. On est censée s’occuper des autres. Et donc la solitude, c’est une façon de se réapproprier notre propre plaisir et notre corps et de ne dépendre de personne, personne ne compte sur nous. Se retrouver dans la nature va être un moment où on existe que pour nous-même. On se sent libre, suffisante, on n’a pas besoin d’être plus.

« La solitude, c’est une façon de se réapproprier notre propre plaisir et notre corps et de ne dépendre de personne »

C’est aussi une façon de prendre confiance en soi. Quand on fait de la randonnée avec d’autres personnes, on peut se dire « ah, mais si j’ai réussi cette étape ce n’est pas grâce à moi, c’est parce que j’étais avec tel homme qui a mené la randonnée et qui m’a montré comment marcher ». Alors qu’en réalité, quand j’ai commencé à marcher seule et à dormir seule, c’est moi qui l’ai fait toute seule sans que personne ne me montre comment y arriver. Je trouve que c’est empouvoirant.

Marie Albert à déjà parcouru 4500km de Dunkerque à Arles et fait un tour du monde en cargo ©Marie Albert
Marie Albert à déjà parcouru 4500km de Dunkerque à Arles et fait un tour du monde en cargo ©Marie Albert

Cela vous a conduit à écrire le Guide Féministe de la rando solo. Quels conseils donneriez-vous à une femme qui voudrait se lancer dans la randonnée solitaire mais n’ose pas ?

Je donne toujours le même conseil. C’est de partir de chez soi et de faire un tour dans son quartier et dans sa campagne puis de voir si on arrive à s’orienter sans téléphone.

« Marcher ça peut être juste en ville pendant 20 minutes. »

Ça peut être vraiment cool pour prendre en confiance en soi parce qu’au début on se dit « nan je vais pas partir sur une grosse rando car c’est trop long, c’est trop dur ». Pour moi marcher ça peut être juste en ville pendant 20 minutes. On n’est pas obligé de faire une énorme randonnée. Il y  a plein de femmes qui se disent qu’elles n’ont pas de sens de l’orientation. Mais si on part dans son quartier sans téléphone, on finit forcement par retrouver son chemin.  On connait un petit peu son quartier. Des fois c’est un peu difficile mais ça fait travailler le cerveau. Et puis y aller petit à petit, faire des petites distances, y aller tranquille, c’est trouver sa zone de confort. Je raconte ça dans le livre.

Vous conseillez une tente verte pour « se fondre dans la forêt », et de porter des vêtements sombres « pour ne pas vous faire remarquer », pourquoi autant vouloir se fondre dans le décor ?

J’ai envie d’un côté d’occuper l’espace public, notamment de montrer ce que je fais sur les réseaux sociaux et d’écrire ce livre. Mais d’un autre côté en tant que femme seule, je risque de subir des violences sexistes et sexuelles parce que je ne suis pas censée être là, parce que je défie l’ordre établi, le patriarcat. Potentiellement, il y a donc des mecs qui peuvent m’agresser. Quand je dis de se cacher pour le bivouac ou avec les vêtements, c’est pour ne pas se faire déranger. Plus on est discrète et moins on se fait déranger. Mais bon, les vêtements, ça ne me rend pas invisible.

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C’est plutôt pour le bivouac que j’aime bien être invisible parce qu’on ne sait jamais. Je ne connais jamais vraiment l’endroit où je plante la tente. La plupart des forêts sont privées en France. Théoriquement, je n’ai même pas le droit de dormir là sans demander l’autorisation. Je ne peux pourtant pas souvent demander l’autorisation parce que je ne sais pas qui est le propriétaire donc je me cache pour être tranquille.

L’enjeu de la rando solo au féminin est aussi écologique

Parmi vos conseils pour une randonnée écologique, vous recommandez de ne pas s’éloigner des sentiers, pourquoi ?

On peut s’éloigner des sentiers pour bivouaquer parce qu’il faut se cacher. Néanmoins, quand on randonne, il y a vraiment cette idée de ne pas abîmer l’environnement. Le sentier est fait pour être piétiné. En effet, si on pose le pied à côté du sentier, on va forcément détruire les insectes, on va forcément abîmer des plantes. Ce n’est pas utile et c’est dangereux pour la biodiversité. C’est contradictoire de faire de la randonnée pour l’écologie et d’en même temps massacrer l’environnement.

« C’est contradictoire de faire de la randonnée pour l’écologie et d’en même temps massacrer l’environnement. »

Vous écrivez « marcher seule c’est aussi assister aux conséquences de la crise climatique ». Quels sont les impacts du changement climatique que vous observez lors de vos randonnées ?

La première idée qui me vient n’est pas vraiment la crise climatique, mais ça va avec. Ce sont les déchets. J’en vois tout le temps. Ça peut être des déchets de randonneurs et randonneuses comme le papier hygiénique ou du plastique.

« Jeter un trognon de pomme dans la nature n’est pas bon »

Les randonneurs laissent aussi leurs déchets alimentaires en pensant qu’ils sont compostables. Mais j’ai appris récemment que jeter un trognon de pomme dans la nature n’est pas bon. Il n’a rien à faire là parce que la pomme ne vient pas d’ici. La présence de ces déchets d’apparence anodine peut tout dérégler. Surtout que souvent ce ne sont même pas des pommes bio.

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Après, en termes de conséquences il y a la sécheresse dans les cours d’eau. Je subis également les canicules en montagne ou n’importe où. Maintenant il y a des canicules partout tout le temps.

Vous marchez depuis 2016, en pratiquement 10 ans est-ce que votre pratique a changé ?

Oui, parce qu’au début je n’avais aucun mal à partir pendant l’été. Maintenant, je ne peux quasiment plus partir pendant durant cette saison parce qu’il fait trop chaud. Je suis obligée de m’adapter. Par exemple, cette année, je pars sur la Méditerranée en septembre parce qu’en juillet et aout ce n’est pas possible. Parfois, je suis contrainte de me lever à cinq heures du matin pour randonner parce que même en septembre il fait trop chaud.

« Dans la randonnée il n’y a pas que la température qu’on prend en compte il y a aussi le soleil. »

Pour éviter les fortes chaleurs, je suis obligée de changer les périodes de marche. Mais dans la randonnée il n’y a pas que la température qu’on prend en compte il y a aussi le soleil. C’est-à-dire que s’il fait nuit à 18 heure, je ne peux plus poursuivre ma marche. Je bivouaque, donc je ne peux pas me coucher à 18 heures. Je ne peux pas camper l’hiver ou alors il faut vraiment être motivé. Je me retrouve surtout à  bivouaquer au printemps et à l’automne. Le problème avec ces deux saisons est qu’il  pleut beaucoup. C’est plus si facile de randonner.

Quelle est votre plus belle randonnée ?

J’aime bien le tour du Cotentin par le GR223. C’est un sentier qui fait le tour de la Normandie en passant par Cherbourg. J’ai déménagé à là-bas pour me rapprocher de cet endroit.

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Ce sentier est super sympas parce qu’il ne prend que quelques semaines à se faire. C’est long, mais moins que la Bretagne par exemple. Les paysages sont très variés, il n’y a pas grand monde et il ne fait pas trop chaud. On passe des plages du Débarquement aux falaises du cap de la Hague. Il y a un endroit qui s’appelle le Nez de Jobourg qui est un de mes endroits préférés sur Terre. J’ai eu un coup de cœur.

Quand bien même vous pratiquez la « rando solo » dans votre livre, Le Guide Féministe de la rando solo, vous racontez certaines de vos belles rencontres faites en chemin. Sommes-nous vraiment seuls lorsque l’on randonne ? 

En randonnée c’est particulier parce que soit on fait un chemin assez connu où l’on rencontre d’autres personnes, soit sur des sentiers qui ne sont pas connus ou qui n’existent pas on se trouve soi-même. Sur les sentiers peu connus, je fais des rencontres mais ce ne sont pas des personnes que je vais voir sur plusieurs jours.

Parfois j’aime bien faire des randonnées  connues où je sais que je vais voir du monde que je recroise d’étape en étape. Puis d’autres fois j’aime bien ne voir personne.

Madeleine Montoriol

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Pour aller plus loin

Le guide de la rando solo par Marie Albert aux éditions Voyages Gallimard. À noter aussi chez la même autrice : La Puissance.

La Ruée minière au XXIe siècle Enquête sur les métaux à l’ère de la transition, par Celia Izoard, éditions Le seuil

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