Quatre ans après sa victoire, le collectif « L’Affaire du Siècle » attaque de nouveau l’Etat en justice. Les fissures dans les maisons ou la moisissure dans les logements sont des conséquences des risques climatiques peu pris en compte par le gouvernement et au cœur des démarches du collectif. L’enjeu est de taille car près de deux tiers des Français sont exposés à un risque climatique.
Le 8 avril 2025, regroupés dans le collectif l’Affaire du Siècle, 14 demandeurs dont Oxfam France et Notre Affaire à Tous, se saisissent de la justice pour une meilleure protection de l’Etat face aux risques climatiques. C’est la première fois dans l’Union européenne qu’un Etat est attaqué sur le manque d’adaptation de ses territoires. « Dans un cadre où l’Etat ne protège pas suffisamment la population face aux risques climatiques qui s’aggravent et se multiplient, c’est important de pouvoir faire valoir nos droits » avance Elsa Ingrand de l’association Notre Affaire à Tous.
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62 % de la population française est exposée aux risques climatiques, selon le Ministère de la transition écologique. Vagues de chaleur, sécheresses ou encore inondations, pour pallier aux conséquences du réchauffement climatique l’Etat met en place, en mars 2025, un troisième Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC-3). C’est ce plan qui est dans le viseur de l’Affaire du Siècle. Un autre reproche fait à l’Etat est l’absence de prise en compte des « populations les plus vulnérables, ou celles qui vivent dans les territoires ultra-marins ».
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L’Affaire du Siècle utilise la démarche juridique pour faire reconnaitre par l’État les droits des citoyens et défendre en justice le climat. Dans ce nouveau dossier, elle s’est associée à des associations portant des revendications comme le combat contre les injustices climatiques. Parmi ces associations, on retrouve l’association Urgence Maison Fissurées ou encore GHETT’UP qui œuvre pour une justice sociale et climatique en faveur des jeunes des quartiers populaires.

« Un devoir de citoyen »
Ce recours n’a pas vocation à indemnisation précise Elsa Ingrand. L’objectif des requérants est de « mettre en avant ce qui leur arrive à eux et à plein d’autres personnes qui sont dans la même situation, de pouvoir donner des visages au changement climatique ». Pour Mohamed, représentant de l’association Urgence Maisons Fissurées, il s’agit avant tout d’un « devoir de citoyen, on pense à nos enfants, à comment ils vont vivre demain ». De la génération de ses enfants, Salma étudiante de 23 ans participe également au recours pour « montrer à quel point quand on vit des situations d’inégalité sociale, on est beaucoup plus impacté par le changement climatique ».
« Le changement climatique favorise le développement des moisissures chez nous »
Salma fait partie de l’association GHETT’UP et vit dans un logement social parisien avec sa mère et son frère. Très rapidement, l’appartement se remplit de moisissure. « C’est une conséquence de sa mauvaise isolation. Le changement climatique favorise le développement des moisissures chez nous », explique l’étudiante.

Les moisissures, produisent des spores dont la prolifération est favorisée par l’humidité. Mais, la sécheresse ne suffit pas à en venir à bout. Associées à un climat froid en hiver, les moisissures peuvent être à l’origine d’infections respiratoires aigües. « Mon petit frère a développé une maladie chronique », s’inquiète Salma. Mais en plus des conséquences physiques, l’étudiante parle également d’un contrecoup psychologique. « J’ai eu énormément d’anxiété, mon lit était à un mètre d’un mur rempli de moisissure. » Face à cette situation, Salma affiche un sentiment d’impuissance. « Comme on n’a pas des moyens financiers très importants, la seule chose qu’on peut faire c’est nettoyer nos murs nous-même et continuer d’être exposés aux conséquences sur notre santé ».
« Pour être indemnisé par l’assurance il faudrait d’abord être reconnu en état de catastrophe naturelle »
Mohamed témoigne également d’une incapacité à fuir la situation. Suite aux sècheresses et aux fortes pluies qui ont touché la Sarthe ces dernières années, des fissures ont commencé à apparaître sur sa maison. « Quand c’est arrivé je ne comprenais pas ce qu’il se passait. Ma maison ne vaut plus rien. Je suis obligé de rester sur place, je n’ai pas les moyens d’aller habiter ailleurs », résume l’informaticien de 65 ans.

Pour tenter de lutter, Mohamed fonde l’Association Urgence Maison Fissurées avec d’autres sinistrés en novembre 2019. L’association se heurte aux refus des assurances. Pourtant, la loi stipule que les contrats d’assurance protègent des « effets des catastrophes naturelles ». « Pour être indemnisé par l’assurance, il faut d’abord être reconnu en état de catastrophe naturelle. », continue Mohamed. « On laisse les gens livrés à eux-mêmes, personne ne les aide » déplore le sarthois d’après qui, il est souvent difficile d’obtenir une reconnaissance.
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Plus de 10 millions de maisons individuelles exposées aux risques de fissure
La question de la prise en charge des risques climatiques par les assurances est également au cœur du recours. « On croit en l’Etat et à sa capacité à faire évoluer le système assurantiel » affirme Elsa Ingrand de l’association Notre Affaire à Tous.
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Sur le sujet des assurances, la situation semble évoluer. Lundi 14 avril 2025, le gouvernement a annoncé un plan pour venir en aide aux municipalités qui ont été privées d’assurance ou qui ont dû souscrire des contrats incluant des primes ou franchises jugées exorbitantes ces dernières années, notamment en termes de risques climatiques. « C’est important comme première étape, mais il faut que ça aille plus loin et que ce soit inclus dans le PNACC-3 » soulève Esla Ingrand.
« un nouveau PNACC-3 qui soit plus ambitieux, financé et avec un calendrier »
Une autre demande du collectif est le réajustement de l’aide MaPrimeRénov’ mise en place en 2020. Pour le collectif Notre Affaires à Tous, il s’agit d’une « prime qui ne prend pas suffisamment en compte la situation des températures en été ou encore le risque de retrait-gonflement des argiles ».
Une action qui s’étale dans le temps
L’Etat dispose de deux mois pour répondre à la demande préalable dans laquelle le collectif l’enjoint « de publier un nouveau PNACC-3 qui soit plus ambitieux, financé et avec un calendrier ». Ne s’attendant pas à avoir une réponse suffisante de la part du législateur, le collectif se prépare à déposer une requête formelle devant le Conseil d’Etat. « On devrait avoir un jugement d’ici un an ou un an et demi », estime Notre Affaire à Tous.
« visibiliser les injustices climatiques, sera déjà une victoire »
En attendant, le collectif espère mettre une certaine « pression sur les décideurs et décideuses politiques pour les faire agir et prendre conscience de la réalité. » Pour Mohamed, très inquiet de la suite « on est déjà dans la catastrophe environnementale ». Mais face aux inquiétudes liées au changement climatique, ce recours créé chez certains un nouvel espoir. Pour Salma, si son association Ghett’Up et les autres demandeurs arrivent par ce recours à « visibiliser les injustices climatiques, ce sera déjà une victoire. »
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