Le skipper Vincent Riou engagé avec la Fondation GoodPlanet : « avoir une navigation éco-responsable implique de se débrouiller pour tout faire à la voile »

Vincent Riou se prépare pour la douzième édition de la Route du Rhum ©Robin Christol

Vincent Riou se prépare pour la douzième édition de la Route du Rhum ©Robin Christol

Il y a vingt ans, Vincent Riou remportait le Vendée Globe. Aujourd’hui, le skipper navigue sous les couleurs de la Fondation GoodPlanet. Dans cet entretien, Vincent Riou revient sur les enjeux environnementaux qui touchent les océans, le monde de la voile et de la course au grand large.

En plus du Vendée Globe, vous avez à votre actif, six Transat Jacques Vabre, trois Solitaires du Figaro ou encore une Route du Rhum. Comment allier courses au grand large et défis environnementaux ?

On est un peu des sentinelles parce qu’on va dans des endroits où peu de personnes vont. Nous, les skippers, sommes bien conscients qu’il se passe des choses sur la planète car on observe pas mal de phénomènes en mer. Pour donner un petit exemple, en 30 ans, j’ai vu le trafic maritime augmenter considérablement. Du coup, on a cette sensibilité et l’envie de la partager à notre communauté.

« On est un peu des sentinelles parce qu’on va dans des endroits où peu de personnes vont. »

En plusieurs décennies de navigation en mer, que constatez-vous de l’évolution de l’environnement dans les océans ?
Au niveau de la pollution des océans, ça dépend des régions du monde. Je crois que la pollution est vraiment le marqueur de l’homme. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’en Atlantique Nord et plus proche des côtes européennes, on s’est nettement améliorés. La pollution visible dans les océans y est moins importante que par le passé. Par contre, il y a d’autres endroits de la planète comme les régions d’Asie, où les matières plastiques présentes dans l’eau se sont multipliées.

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Un rapport à la mer qui façonne la prise de conscience écologique

Qu’en est-il des collisions en mer dont on entend beaucoup parler et qui font l’objet de critiques surtout lorsqu’il s’agit de la faune marine ?

Lorsqu’on navigue, que ce soit sur un navire de commerce ou à la voile, c’est compliqué de surveiller en permanence la surface de la mer. Le bateau peut se retrouver à rentrer en collision avec ce qu’on appelle des OFNIS, des objets flottants non identifiés. Dans ces OFNIS, il y a plusieurs catégories. Il y a une catégorie d’OFNIS qui sont à leur place dans les océans et ce sont les animaux marins. Quand on se retrouve à entrer en collision avec un mammifère ça nous embête beaucoup. On sait tous que les grands mammifères sont hypers importants pour la biodiversité et qu’il faut les préserver au maximum.

« Il y a une catégorie d’OFNIS qui sont à leur place dans les océans et ce sont les animaux marins. »

Après, il y a pas mal de déchets qui sont rejetés dans la nature. Les grands fleuves rejettent assez régulièrement des morceaux de bois. Puis, il y a tout ce qui est pollution liée à l’homme, c’est-à-dire tout ce qui provient du littoral, tout ce qui est jeté dans la mer et tout ce qui est perdu par le transport maritime.

« Il y a une grosse prise de conscience de tout le milieu. »

Maintenant, nous, on essaye d’appréhender au mieux cette problématique. Nous avons développé des systèmes de surveillance avec des caméras infrarouges pour limiter nos collisions. La course à la voile reste avant tout un jeu, il faut remettre les choses à leur place. Donc, si un marin se retrouve à avoir une avarie parce qu’il a tapé un container, il peut se dire que « ce n’est pas très grave, ça ne touche que le domaine du sport ».

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On compte aujourd’hui 90 espèces de cétacés sur l’ensemble de la planète. Comment naviguer tout en prenant en compte les espèces qui vivent dans les océans ?

Aujourd’hui, des mesures sont prises directement dès l’organisation du parcours de la course. Toutes les zones avec des forts regroupements en mammifères sont ainsi interdites à la navigation dans les courses. Après il y a des fois où, pour rejoindre les continents, les participants se retrouvent quand même obligé de passer sur des endroits où il y a beaucoup de mammifères, mais il existe des solutions pour réguler. The Transat, la transat anglaise en solitaire, qui arrive sur les côtes américaines, a sa ligne d’arrivée avant le plateau occidental. Les bateaux sont obligés de rejoindre les Etats-Unis à vitesse réduite pour justement éviter les collisions. Il y a une grosse prise de conscience de tout le milieu.

Le Spi Oues-France du 18 avril 2025 est la première courses de l'année pour Vincent Riou à bord du Class40 Pierreval - Fondation GoodPlanet - photo droits réservés
Le Spi Ouest-France 2025 est la première courses de l’année pour Vincent Riou à bord du Class40 Pierreval – Fondation GoodPlanet – photo droits réservés

Est-ce que militer pour une course au grand large plus durable ne revient pas à jeter une bouteille à la mer dans ce milieu cantonné à la recherche de la performance sportive ?

La voile a cette spécificité d’évoluer dans un milieu naturel hostile à l’homme. On fait de la compétition, mais on a réussi à garder certaines valeurs. Ce n’est pas la compétition à tout prix. Les marins sont formatés tout petits à s’intéresser à autre chose qu’à la compétition. Aujourd’hui l’approche protection de l’environnement entre dans les habitudes. Je crois que les marins font vraiment attention à l’endroit sur lequel ils naviguent.

« La voile a cette spécificité d’évoluer dans un milieu naturel hostile à l’homme. »

On essaye surtout de montrer l’exemple et de sensibiliser les citoyens, les entreprises et plus globalement l’ensemble de la société. C’est un tout petit rôle, il faut être humble. Si chacun se mobilise à son niveau pour essayer de faire évoluer les mentalités, cela vaut la peine de se battre.

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Une navigation éco-responsable est possible

Si vous deviez donner un conseil pour une navigation éco-responsable à un jeune skipper, ce serait lequel ?

Avoir une navigation éco-responsable implique de se débrouiller pour tout faire à la voile. Depuis 15 ans, je me force, après toutes les transats, à reprendre mon bateau et à rentrer avec. Le plus impactant dans notre sport, c’est lorsqu’après une course, il faut ramener les bateaux via transport maritime et la gestion des courses qui finissent loin de chez nous. Alors qu’on fait une course à la voile, ramener 10 personnes en avion n’a aucun sens.

Le Class40 de Vincent Riou a la particularité de ne disposer que d'un seul safran et d'un volet sur la quille ©Robin Christol
Le Class40 de Vincent Riou a la particularité de ne disposer que d’un seul safran et d’un volet sur la quille ©Robin Christol

Je pense qu’on a la chance de vivre de notre passion, de côtoyer des espaces naturels extraordinaires. Du coup, vis-à-vis de l’ensemble de la société, il faut essayer d’être exemplaire. Cela ne veut pas dire ne rien faire. Il faut comme pour tout le reste, pondérer les choses et essayer de trouver les bonnes solutions.

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Qu’est-ce que la pratique sportive de la voile peut apporter au verdissement du transport maritime ?

L’aspect technologique de la course peut, nous l’espérons, être transposés à d’autres problématiques maritimes. Si aujourd’hui, on recommence à parler de transport à la voile ce n’est pas un hasard.

« Si aujourd’hui, on recommence à parler de transport à la voile ce n’est pas un hasard. »

Toute l’intelligence développée pour faire en sorte que les bateaux aillent plus vite ou puissent se déplacer plus longtemps à la voile se décline dans le monde du transport maritime. C’est encore embryonnaire. Pourtant il suffit de constater l’impact carbone du transport maritime sur la planète, pour se dire qu’il s’agit d’une problématique essentielle. Nous les skippers nous réjouissons tous de participer à des projets. Moi par exemple, j’ai travaillé pour SolidSail qui fabrique des voiles pour des cargos avec des chantiers navals de Saint-Nazaire.

Quand on voit les milliers et les millions de litres de fioul lourd qui sont dépensés aujourd’hui pour transporter de la marchandise de Chine en Europe ou aux Etats-Unis, il y a une vraie aberration là-dedans. Il y a des marchandises qui n’ont pas besoin de voyager à 30 km/h, qui peuvent très bien voyager à 10 km/h. Il y a moyen, en réapprenant à prendre son temps, de faire voyager tout ce fret-là de manière beaucoup moins impactante pour l’environnement.

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La voile implique d’une certaine manière d’aller plus lentement que le permettent les énergies fossiles tout en étant confronté aux éléments. N’y a-t-il pas quelque chose de philosophique sur notre rapport au temps ?

On vit avec les éléments et les éléments dictent la vitesse, ce qu’on va pouvoir faire, voire même les endroits où l’on va pouvoir naviguer. Dès qu’on fait des déplacements qui sont plutôt longs, ça va au-delà des prévisions. Donc quand les skippers partent en mer pour traverser l’Atlantique, ils ne savent jamais à quel moment ils vont arriver alors qu’aujourd’hui les gens ont des horaires partout. D’ailleurs, un des secrets pour être heureux en mer s’avère d’être capable de se déconnecter avec le temps. C’est impossible de rester connecté au temps comme on peut l’être à terre et c’est un des trucs les plus compliqués à gérer chez les jeunes marins ou quand on n’a pas été en mer depuis très longtemps.

« Un des secrets pour être heureux en mer s’avère d’être capable de se déconnecter avec le temps. »

Un regard lucide sur la troisième Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC-3)

Quelles attentes nourrissez-vous pour l’UNOC-3 en juin ?

C’est toujours difficile de dire ce qu’on attend d’un événement comme celui-là. J’aimerais bien qu’il s’y passe énormément de choses. Je suis très convaincu de la gouvernance des océans. Tant qu’il n’y aura pas de gouvernance sur les océans, on ne pourra pas progresser. Je reste cependant toujours un peu sceptique. C’est d’ailleurs un peu le problème des personnes comme moi qui font ça depuis longtemps. Il y a des moments où l’on finit par manquer d’enthousiasme. Ça ne veut pas dire qu’on lâche l’affaire. On sera là et on va essayer de pousser pour que ça aille dans le bon sens.

« Je suis très convaincu de la gouvernance des océans »

Aujourd’hui, j’ai envie d’aider les ONG comme la Fondation GoodPlanet, et d’essayer de trouver des solutions qui fonctionnent. Par exemple sur le transport maritime à la voile ou assisté par la voile, il y a un vrai écho qui donne envie de s’investir là-dedans.

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Justement, depuis juin 2024 vous naviguez avec une voile GoodPlanet, pourquoi soutenir la Fondation ?

Ça fait longtemps que je mène des actions avec des ONG. Je suis sensible à toutes ces problématiques depuis de nombreuses années. Quand mon partenaire m’a proposé de porter les couleurs de la Fondation GoodPlanet, j’ai dit oui tout de suite, ça me semblait naturel.

Quels sont vos projets à venir sous les couleurs GoodPlanet ?

Cette année, avec mon équipe, nous allons faire la TRANSAT CAFE L’OR au mois de novembre qui relie Le Havre et la Martinique. C’est une saison bien chargée qui me ramènera en décembre en Europe puisque l’allée est en course et le retour en convoyage. L’objectif final du projet avec la Fondation GoodPlanet est d’aller chercher un podium sur la Route du Rhum l’année prochaine.

Propos recueillis par Madeleine Montoriol avec Julien Leprovost

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