Les pesticides, le dossier empoisonné de l’agriculture

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Un agriculteur répand des produits phytosanitaires sur sa parcelle à Méteren, dans le Nord, le 7 août 2017 © AFP/Archives Philippe HUGUEN

Paris (AFP) – Ils tuent pucerons, « mauvaises herbes » et aussi des nuées d’insectes pollinisateurs: les pesticides sont considérés comme un « moyen de production » par une majorité d’agriculteurs qui refusent de s’en passer « sans solution alternative » dans une France qui veut voir leurs usages considérablement réduits d’ici 2030.

Parmi les diverses revendications agricoles, les céréaliers ont déclaré la guerre au projet gouvernemental de réduire de moitié l’usage des pesticides d’ici 2030 (par rapport à 2015-2017), estimant avoir déjà réduit leurs usages « de 46% en 20 ans ».

 Où se situe la France?

Dans le monde, l’usage de pesticides ne cesse d’augmenter depuis 1990. En Europe, il a augmenté de 4% en 2021 et de moins de 1% par rapport à 1990, quand elle bondissait sur cette dernière période de 191% sur le continent américain. En France, elle a augmenté de 7% en 2021 mais diminué de 29% par rapport à 1990.

« La France se classe depuis longtemps dans la moyenne des pays de l’UE en ce qui concerne les quantités de substances actives utilisées ramenées à l’hectare » avec 3,44 kilogrammes par hectare, derrière les Pays-Bas, premier consommateur européen (10,8 kg/ha), l’Irlande et l’Italie (plus de 6 kg/ha) ou l’Allemagne (4 kg/ha), selon un rapport parlementaire.

Du « progrès » au « poison »

Après la Seconde Guerre mondiale, les pesticides apparaissent comme un « progrès » qui a permis de tourner la page des grandes crises de la fin du 19e siècle comme le mildiou de la pomme de terre en Irlande.

Sécurisés, les rendements se sont envolés jusqu’à la fin des années 90, puis ont stagné. Et pourraient se réduire sous l’effet des crises climatiques.

« Quand on utilise massivement des pesticides, on génère des résistances. Donc si on ne fait rien, de toutes façons les pesticides vont perdre leur efficacité », explique Christian Huyghe, directeur scientifique agriculture à l’Inrae.

Avec le Grenelle de l’environnement fin 2007, la France fixe un objectif de réduction de 50% de l’usage des pesticides de synthèse en 10 ans. Les deux plans successifs mis en œuvre, Ecophyto 1 et 2, se sont soldés par des échecs.

Mais une dynamique est lancée. En 2014, des produits phytopharmaceutiques sont interdits dans les jardins et espaces publics.

L’année suivante est confiée à l’agence sanitaire Anses, outre sa mission de contrôle, la charge de l’autorisation de mise sur le marché des pesticides. Depuis, la grande majorité des molécules les plus toxiques (CMR1 et 2), qualifiées de « poison » par les ONG environnementales, ont été retirées.

Logiques contraires

Le plan français Ecophyto 2030 cherche aussi à préserver la compétitivité en cherchant des solutions alternatives à 75 molécules – représentant « 79% des volumes vendus en France en 2022 », selon l’Inrae – qui sont les plus exposées à un risque de retrait du marché dans les 5-7 prochaines années.

Mais pour Eric Thirouin, représentant des producteurs de blé, « on va dans le mur »: « A partir du moment où on remplace un produit efficace, mais considéré comme nocif, par un produit moins efficace, on est obligé de le passer plus souvent dans les champs ».

Pour le chercheur de l’Inrae, il faut sortir de cette « logique par substitution » et « explorer des systèmes légèrement différents ».

« Par exemple, est-ce qu’on peut faire en sorte demain de ne désherber que la moitié d’une surface, d’avoir une combinaison entre baisse des phytos et désherbage mécanique », ce qui permettrait de « ralentir le processus d’émergence de résistance », explique-t-il.

« Distorsions de concurrence »

Pour les syndicats majoritaires, ces changements, « pas du tout simples », se solderaient par une chute de la production et une destruction des filières.

S’ils se réjouissent du renouvellement de l’herbicide controversé glyphosate et de l’échec du projet législatif européen sur les pesticides cet automne, ils réclament à la France de sortir des « injonctions contradictoires », entre contrainte environnementale et souveraineté alimentaire.

Pour avancer, ils espèrent voir l’Europe autoriser les nouvelles techniques d’édition du génome (NGT) et dénoncent pour l’heure des « distorsions énormes de concurrence » au sein de l’UE, jugeant que la France est allée seule plus loin et trop vite.

« On a une très grande crainte pour la production de pommes, avec la fin annoncée pour 2026 du Movento, qui permet de contrôler le puceron cendré. Nos voisins peuvent utiliser d’autres molécules autorisées en Europe mais pas nous, car la France les a interdites depuis 2014 », explique Daniel Sauvaitre, secrétaire général de l’interprofession des fruits et légumes (Interfel).

Il y a un an déjà, les betteraviers français, privés des insecticides néonicotinoïdes dont certains restent utilisés en Allemagne par exemple, avaient paralysé la capitale, à bord de plus de 500 tracteurs. Ils sont prêts à recommencer.

© AFP

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2 commentaires

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    • Leluc JM

    Merci de ne pas perdre la mémoire concernant le contenu exact du Grenelle de l’Environnement relatif à la réduction des produits phytosanitaires où il est spécifié noir sur blanc : « si possible ! »

    • Francis

    Non, c’est le dossier empoisonné de l’agronomie, de l’INRA. Quant aux techniques alternatives, elles sont seulement en cours de recherches, de mise au point.