Birmanie: réservoir de biodiversité, le lac Inle envahi par les potagers flottants

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Des femmes travaillent dans une ferme flottante sur le lac Inle, dans le sud de l’Etat Shan, le 17 octobre 2023 en Birmanie © AFP SAI AUNG MAIN

Lac Inle (Birmanie) (AFP) – Sur sa barque en bois, Nyunt Win navigue entre les rangées de son potager flottant pour récolter les tomates qui font la renommée du lac Inle, un joyau de biodiversité en Birmanie.

Le site naturel, reconnu par l’Unesco, abrite des dizaines de champs flottants, qui poussent à l’aide d’une technique de maraîchage, introduite sur place dans les années 1960.

Le paysage, avec les collines de l’Etat Shan (nord) en arrière-plan, attirait des milliers de touristes avant le coup d’Etat de 2021.

Mais habitants et autorités craignent que le développement incontrôlé de l’agriculture n’étouffe à petit feu le lac Inle, entre rejets chimiques et déchets végétaux à la dérive qui grignotent sa superficie.

« Nous ne sommes pas riches, mais ça suffit pour vivre », assure Nyunt Win, qui gagne jusqu’à 30.000 kyats (14 euros) pour environ 16 kg de tomates.

Les cultures reposent sur un lit formé par l’accumulation de jacinthes d’eau, complété par de la terre et d’autres composants indispensables au développement des pousses.

Quand ces assemblages commencent à pourrir, ils sont laissés à l’abandon et durcissent, contribuant au rétrécissement de la surface du lac Inle, dont les capacités naturelles de filtrage sont dépassées par la croissance de l’agriculture flottante.

La superficie des zones exploitées a été multipliée par six entre 1992 et 2009, selon des données du gouvernement birman.

Les fermes flottantes sont en train de « détruire » le lac, déclare à l’AFP un responsable du ministère de l’Agriculture, du Bétail et de l’Irrigation, sous condition d’anonymat.

Les autorités n’ont pas les ressources pour poursuivre leurs efforts et endiguer le problème, explique-t-il.

Produits chimiques

Des agriculteurs comme Nyunt Win réfutent cette explication, et pointent du doigt leurs collègues de la terre ferme, accusés de contribuer à l’envasement du site en raison de décennies d’agriculture sur brûlis.

« Quand j’étais jeune, pour toucher le fond de l’eau il me fallait une perche en bambou d’environ 3,50 mètres », explique Nyunt Win.

Maintenant, durant les mois secs de l’été, il peut ramasser « des poignées de terre » à main nue, décrit-il.

La détérioration de l’environnement conduit également à des tensions entre paysans et pêcheurs, à cause de l’usage extensif de produits chimiques qui polluent l’eau.

« Quand j’étais enfant et que j’allais à l’école, l’eau du lac n’était pas aussi malsaine. (…) Maintenant, plein de poissons bons à manger ont disparu », lance Nay Tun Oo, un pêcheur de 24 ans.

Un rapport de 2017 des Nations unies a constaté un « usage excessif considérable » d’engrais chimiques et de pesticides au détriment de l’écosystème fragile qui abrite de nombreuses espèces de poissons et d’oiseaux.

L’accroissement des nutriments favorise la prolifération d’espèces invasives, souligne ce rapport.

Le rétrécissement du lac et les inquiétudes environnementales pourraient faire fuir les touristes, craignent des entrepreneurs locaux.

Le lac Inle, reconnu depuis 2015 comme une réserve de biodiversité par l’Unesco, est considéré comme l’un des sites les plus attractifs pour les touristes en Birmanie.

Plus d’un million de Birmans et environ 200.000 visiteurs étrangers s’y rendaient chaque année avant la pandémie de coronavirus.

Le pays a depuis rouvert les frontières, mais le conflit interne qui a suivi le coup d’Etat de février 2021 a dissuadé les touristes de venir.

Le lac Inle se trouve dans le Sud de l’Etat Shan, où des affrontements ont éclaté fin octobre, près de la frontière chinoise, entre la junte et des groupes ethniques minoritaires.

Sur place, la population qui dépendait du tourisme, déplore des hôtels vides.

« Ca fait trois ans déjà, et aucun étranger ne vient ici », raconte à l’AFP Kyaw Kyaw, 38 ans, qui possède une bijouterie.

Certains de ses employés apprennent des langues étrangères avec l’espoir de retrouver du travail hors de Birmanie, alors que d’autres se convertissent en charpentiers.

« Nous sommes heureux de vivre ici », assure un agriculteur, Shi Thu Win. Mais « nous sommes aussi inquiets à propos du lac qui est en train de disparaître ».

© AFP

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