Libye : communications coupées à Derna sur fond de grogne après les inondations

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Vue aérienne de la ville de Derna, dans l'est de la Libye, dévastée par des inondations, le 18 septembre 2023 © AFP Mahmud TURKIA

Derna (Libye) (AFP) – Les communications sont coupées mardi à Derna et des journalistes ont été priés de quitter cette ville de l’est de la Libye dévastée par des inondations meurtrières, au lendemain d’une manifestation d’habitants réclamant des comptes aux autorités.

Le réseau d’internet et de téléphone des deux opérateurs libyens est hors service depuis lundi à 23H00 GMT, a indiqué à l’AFP un journaliste qui a pu être joint après avoir quitté la ville.

La plupart des journalistes ont été en effet priés par les autorités locales de sortir de Derna et de remettre les autorisations de couverture qui leur avaient été fournies, selon la même source.

Ces restrictions surviennent au lendemain d’une manifestation d’habitants de Derna réclamant des comptes aux autorités de l’est du pays, responsables selon eux de la catastrophe qui a fait des milliers de morts et de disparus après le passage de la tempête Daniel le 10 septembre et la rupture de deux barrages en amont de la ville.

La coupure a été causée par « une rupture des fibres optiques dans la ville de Derna », a indiqué sur Facebook la compagnie nationale des télécommunications (Lptic).

Selon elle, cette panne qui affecte aussi d’autres localités dans l’est de la Libye « pourrait être le résultat d’un acte de sabotage délibéré ».

Rassemblés devant la grande mosquée de la ville, des centaines d’habitants ont scandé des slogans contre les autorités de l’Est incarnées par le Parlement et son chef, Aguila Saleh.

« Le peuple veut la chute du Parlement », « Aguila (Saleh) est l’ennemi de Dieu », ou encore « ceux qui ont volé ou trahi doivent être pendus », ont-ils scandé.

Plusieurs manifestants ont brûlé la maison du maire honni de la ville, Abdulmonem al-Ghaithi, selon des images largement partagées sur les réseaux sociaux et par des médias libyens.

Quelques heures après la manifestation, le chef de l’exécutif dans l’est de la Libye, Oussama Hamad, a dissous le conseil municipal de Derna, contre lequel il a ordonné l’ouverture d’une enquête.

Selon des politiciens et des analystes, le chaos en Libye a relégué au second plan l’entretien d’infrastructures vitales comme les barrages de Derna dont l’effondrement a provoqué des inondations qui ont fait 3.351 morts, selon le dernier bilan officiel provisoire communiqué mardi soir par le ministre de la Santé de l’Est, Othman Abdeljalil.

Mohamed Eljarh, porte-parole d’un comité chapeautant les secours formé par le gouvernement de l’est du pays, a affirmé que 14 équipes de secours étaient toujours à l’oeuvre à Derna, dont dix étrangères.

Il a démenti des rumeurs sur une évacution imminente de la ville, affirmant que seulement les zones les plus sinistrées avaient été « isolées ».

Rongée par les divisions depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est gouvernée par deux administrations rivales: l’une à Tripoli (ouest), reconnue par l’ONU et dirigée par le Premier ministre Abdelhamid Dbeibah, l’autre dans l’est, incarnée par le Parlement et affiliée au camp du puissant maréchal Khalifa Haftar.

Les forces de Haftar s’étaient emparées en 2018 de Derna, alors bastion des islamistes radicaux, et seule ville de l’Est qui échappait à son contrôle. Mais les autorités de l’Est entretiennent des relations de méfiance avec Derna, considérée comme une ville contestataire depuis l’époque de Kadhafi.

« Punir les manifestants »

La rupture de deux barrages a provoqué une crue de l’ampleur d’un tsunami le long de l’oued qui traverse Derna, une ville de 100.000 habitants bordant la Méditerranée.

Alors que des secouristes s’activaient toujours mardi à Derna pour retrouver les corps de milliers de disparus, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a estimé que le drame représentait un « triste instantané » d’un monde « emporté par le torrent des inégalités et des injustices », évoquant l’impact d’une « compilation » de « fléaux », du changement climatique aux années de conflit.

« Il y a deux ans, il y avait déjà eu des fuites sur le grand barrage alors qu’il n’était rempli qu’à moitié. On avait prévenu la municipalité et réclamé des réparations », a raconté à l’AFP Abdelqader al-Omrani depuis son lit d’hôpital à Benghazi, la grande ville de l’est. Les responsables coupables de négligence « ont nos morts sur la conscience », a-t-il dit.

« Blocage médiatique sur #Derna (…) les communications coupées depuis l’aube. N’en doutez pas, il ne s’agit pas de santé ou de sécurité, mais de punir les manifestants de Derna », a affirmé sur X (ex-Twitter) Emadeddin Badi, spécialiste de la Libye à l’Atlantic Council.

« Les habitants sont désormais terrifiés par une répression militaire imminente, considérée comme une punition collective pour la manifestation et les demandes d’hier », a affirmé Tarek Megrisi, expert Maghreb au Conseil européen pour les relations internationales (ECFR), également sur X.

© AFP

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