Réchauffement climatique: Under the Pole, chercheurs d’espoir en eaux profondes

kelp affleure à la surface de la mer dans la baie de Monterey Californie

Du kelp affleure à la surface de la mer dans la baie de Monterey, en Californie, le 20 septembre 2018 © AFP/Archives Eva HAMBACH

Paris (AFP) – Et si aux portes des abysses renaissait la lumière: de l’Arctique aux Caraïbes, une équipe d’explorateurs scientifiques part à la découverte des « forêts animales marines », encore méconnues mais déjà menacées alors qu’elles pourraient être essentielles contre le réchauffement climatique.

Cette zone dite mésophotique, où la lumière décroit progressivement recouvre une mosaïque de paysages, composée de roches, de forêts végétales (algue, kelp …) mais aussi animales (coraux, éponges, gorgones…). Tout un habitat riche en espèces encore largement insoupçonnées.

« A bien des égards, le milieu marin reste aussi énigmatique que l’espace », soulignent Emmanuelle et Ghislain Bardout, fondateurs d’Under the Pole, qui depuis 15 ans étudie les mondes engloutis marins au travers d’expéditions de plongée en collaboration avec des scientifiques.

Les profondeurs, le couple en rêvait depuis l’enfance, même si rien ne les y destinaient. L’un a grandi dans les Alpes, l’autre en Champagne (nord-est de la France), loin des mers. Mais bercés par les aventures du commandant Cousteau, puis rêvant sur les récits du médecin-explorateur français Jean-Louis Etienne -avec lequel il travailleront tous deux des années plus tard- cet ingénieur et cette littéraire de formation, passionnés de plongée, se muent peu à peu en explorateurs. Avec l’idée de « donner du sens » à l’aventure pour « rendre visible l’invisible, mieux le partager et élargir les connaissances ».

L'explorateur français Jean-Louis Etienne en conférence de presse à Paris
L’explorateur français Jean-Louis Etienne en conférence de presse à Paris, le 11 janvier 2007
© AFP MARTIN BUREAU

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Terra incognita

 

« DeepLife », c’est le nom de leur 4e mission, une série d’expéditions entamée en 2021 et qui durera jusqu’en 2030 dans le cadre du programme des Nations Unies pour les sciences océaniques au service du développement durable. Son but: étudier la zone mésophotique des océans, comprise entre 30 et 200 mètres de profondeur.

« C’est très largement une terra incognita, car jusqu’à ces dernières années, elle était encore difficilement accessible en raison de contraintes techniques », soulignent les Bardout, qui veulent mettre leur expertise de plongeurs en eaux profondes -ils ont notamment inventé une capsule permettant de rester plusieurs jours en immersion- au service de la recherche.

Emmanuelle et Ghislain Bardout avant leur 3e expédition scientifique "Under the Pole" à Concarneau, dans le Finistère
Emmanuelle et Ghislain Bardout avant leur 3e expédition scientifique « Under the Pole » le 18 mai 2017 à Concarneau, dans le Finistère
© AFP/Archives FRED TANNEAU

« Mais son potentiel de découvertes est exceptionnel », assure Lorenzo Bramanti, chercheur au CNRS.

En effet, les océans recouvrent 71% de la Terre, mais on en connaît aujourd’hui que 5 à 10%, dont quasiment rien sur la zone intermédiaire entre la surface et les grands fonds.

Les forêts sous-marines qui s’y trouvent, « c’est un peu comme les forêts à terre: à partir d’une certaine densité, elles créent un écosystème amenant d’autres espèces comme les crustacés ou les poissons dont va dépendre toute la vie autour, y compris à des profondeurs moins importantes. En cela, elles ont une fonction écologique majeure. C’est pourquoi il est crucial de mieux les étudier pour mieux comprendre leur sensibilité à un environnement changeant », souligne Under the Pole.

 

Un monde en sursis

 

Après deux premières expéditions, l’une au Svalbard (archipel à l’est du Groenland), l’autre aux Canaries en 2022, les chercheurs ont déjà ramené de précieuses découvertes: la preuve de la présence de ces forêts animales dans les zones polaires, grâce à la découverte d’une forêt d’hydroïdes (petits organismes en forme de fleurs)  entre 40 et 76 mètres de profondeur au Spitzberg, mais aussi « d’espèces jusqu’ici totalement inconnues, principalement des invertébrés et des mollusques ». D’autres comme les coraux, qu’on trouve habituellement près de la surface, où ils sont menacés, peuvent aussi s’y épanouir jusqu’à 172 mètres, ont-ils démontré.

La bonne nouvelle, c’est que « la diversité des coraux dans la zone mésophotique est étonnamment plus élevée que dans les récifs de surface, très affectés par le réchauffement climatique, et ils y blanchissent moins. Cette zone pourrait donc agir comme un refuge pour la biodiversité, et constituer une vraie source d’espoir », estime M. Bramanti.

Mais jusqu’à quand ? Car, les conséquences du passage des chaluts et les déchets plastiques y sont aussi déjà visibles à certains endroits.

« Avec ces zones, c’est comme si on avait en quelque sorte, un peu de temps supplémentaire pour mettre en place des mesures face au changement climatique. D’où la nécessité de réfléchir rapidement à leur préservation avant qu’il ne soit trop tard », estiment les équipes d’Under the Pole.

Des poissons nagent au-dessus de la barrière de corail sur le spot de plongée d'Abou Dabbab, en mer Rouge
Des poissons nagent au-dessus de la barrière de corail sur le spot de plongée d’Abou Dabbab, en mer Rouge, le 15 septembre 2022
© AFP/Archives Khaled DESOUKI

Les prochaines missions sont déjà programmées: une en mars dans les eaux tropicales de la Guadeloupe, avant une exploration en Méditerranée l’an prochain. Avec en parallèle une tournée dans les écoles: pour faire rêver, mais aussi sensibiliser et inspirer.

© AFP

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