Au Maroc, les phosphates au service de la diplomatie

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Une photo prise le 13 mai 2013 montre les installations de l'usine de la Société nationale marocaine des phosphates (OCP/public) à Marca, près de Laayoune, la capitale du Sahara Occidental sous contrôle marocain © AFP/Archives Fadel SENNA

Rabat (AFP) – Premier exportateur africain de phosphates, le Maroc met à profit sa première ressource naturelle pour rallier des soutiens diplomatiques à sa position sur le dossier primordial du Sahara occidental, selon des analystes.

Pour la deuxième année consécutive, le royaume enregistre des recettes records grâce aux exportations de phosphates, bénéficiant de l’envolée des prix de ce minerai vital pour la sécurité alimentaire de l’Afrique depuis les perturbations liées à la guerre en Ukraine, pays envahi par la Russie.

« C’est un minerai stratégique car crucial pour la sécurité alimentaire mondiale », explique à l’AFP Abderrahim Handouf, spécialiste des politiques agricoles. Face à la croissance démographique, les engrais sont « le moyen le plus efficace pour augmenter la productivité des exploitations agricoles », dit-il.

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Le Maroc est le 2e producteur mondial de phosphates après la Chine et détient 70% des réserves mondiales.

Les roches phosphatées sont exploitées depuis 1921 au Maroc, ainsi qu’au Sahara occidental qui fournit 8% de la production nationale. Rabat contrôle près de 80% du Sahara, une ex-colonie espagnole.

Le Maroc représente 31% du marché mondial du phosphate, selon l’Office chérifien du phosphate (OCP), la société publique qui détient le monopole de son exploitation.

L’OCP devrait enregistrer en 2022 un chiffre d’affaires de plus de 130 milliards de dirhams (environ 11,5 mds d’euros), en hausse de 56% sur un an.

 « Tensions géopolitiques »

Les prix des engrais, dont la Russie est le premier exportateur mondial, se sont envolés en raison des sanctions occidentales contre Moscou, et de la hausse des cours du gaz naturel, essentiel à leur fabrication.

Mais déjà avant l’invasion de l’Ukraine en février, la flambée des prix a été alimentée par l’explosion de la demande après la pandémie de Covid-19, les restrictions des exportations imposées par la Chine, et les besoins de l’Inde, gros importateur mondial qui avait épuisé ses stocks, selon Mounir Halim, expert du secteur.

L’OCP a quadruplé sa capacité de production entre 2008 et 2021 à 12 millions de tonnes annuelles et vise les 15 millions d’ici fin 2023.

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« Pour alimenter l’ensemble de son outil industriel en +énergie verte+ d’ici 2027 » et atteindre la neutralité carbone avant 2040, le groupe a présenté samedi un plan d’investissement de 11,5 mds d’euros.

Le Maroc a augmenté ses exportations de phosphates de 66% sur un an à fin septembre pour une valeur supérieure à 8,5 mds d’euros, selon l’Office des changes.

Mais la production internationale reste limitée et « les tensions géopolitiques pourraient imposer de nouvelles contraintes d’approvisionnement à court terme », a relevé l’Organisation de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture.

 « Joker gagnant »

Dans ce contexte, le phosphate est devenu un instrument pour le Maroc dans sa détermination à régler en sa faveur l’interminable conflit du Sahara occidental, qui l’oppose aux indépendantistes sahraouis du Front Polisario soutenus par l’Algérie.

Les engrais sont le « joker gagnant de la diplomatie » marocaine tandis que l’OCP en est devenu le « bras économique », analyse la presse locale.

Le Maroc a ainsi rappelé une cargaison de 50.000 tonnes d’engrais destinée au Pérou, selon des médias, après que ce pays a rétabli ses relations avec la République arabe sahraouie démocratique autoproclamée par les indépendantistes.

« Le Maroc fait usage de ses armes économiques de manière pragmatique », tempère Tajeddine El Husseini, professeur en relations internationales, tout en concédant qu’elles peuvent avoir « un impact politique ».

Courtisé par le Brésil et le Japon, l’OCP intensifie sa présence internationale, en particulier sur le continent africain où il est implanté dans 16 pays et compte 12 filiales.

Il a inauguré une usine de mélange d’engrais au Nigeria et a signé un contrat pour en installer une autre en Ethiopie.

Le géant public envisage de consacrer 4 millions de tonnes d’engrais « pour soutenir la sécurité alimentaire en Afrique » en 2023. Et ce, après avoir exporté 500.000 tonnes de phosphates vers des pays africains cette année, soit gratuitement, soit à des prix préférentiels.

« Le Maroc a lancé depuis quelques années des projets de coopération économique avec plusieurs pays africains, notamment ceux qui lui étaient hostiles sur le dossier du Sahara », dit le commentateur politique Naoufal Bouamri.

« C’est une manière de se rapprocher et peut-être d’amener ces pays à changer de position dans le futur. »

© AFP

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