Dans la Loire, la gestion complexe d’anciens résidus de minerai d’uranium

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Le lac artificiel des "Bois Noirs" à Saint-Priest-la-Prugne, dans le département de la Loire, sous lequel les déchets d'uranium d'une ancienne mine sont enfouis depuis 40 ans, le 27 octobre 2022 © AFP/Archives JEAN-PHILIPPE KSIAZEK

Saint-Priest-la-Prugne (France) (AFP) – Sous la surface de ce lac artificiel lové dans une vallée hérissée de sapins, les déchets d’uranium d’une ancienne mine dorment depuis 36 ans. Après un récent débordement, l’option d’un enrochement se dessine, mais des questions restent en suspens.

L’étendue de 18 hectares barrée d’une digue de 500 m reste le seul signe visible de 25 ans d’extraction minière sur la commune de St-Priest-la-Prugne. L’eau couvre les déchets-résidus – sable et boues-, provenant de l’usine de traitement alors adossée à la mine.

Le 22 novembre, l’exploitant Orano a expliqué aux riverains, associations, élus et experts les grandes lignes d’un avant-projet visant à couvrir de roches ces résidus classés faiblement radioactifs à vie longue (FAVL), actuellement sous l’eau.

Le dispositif du site des « Bois noirs » est unique en France: des spécificités géologiques avaient conduit le CEA, l’ancêtre d’Orano, à l’adopter en 1986, alors que les résidus des 250 autres mines françaises étaient, eux, enrochés.

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La décision de couvrir les 1,4 million de tonnes par une « lame d’eau » de deux mètres de profondeur, pour constituer un écran naturel aux émanations de radon, avait été prise avec l’aval des autorités. Mais cette solution n’est plus vue comme un rempart absolu.

« Ce n’est pas un dispositif de stockage pérenne. Le réchauffement climatique peut conduire à son assèchement et à fragiliser la digue », explique Marie-Odile Gallerand, de l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), organisme membre du Comité de suivi de site (CSS).

Des questions « d’autant plus prégnantes qu’on parle ici de radio-éléments ayant des durées de vie très longues. Comment peut-on être certain que, dans mille ans, un exploitant assurera la maintenance nécessaire? »

Aujourd’hui, cependant, « il n’y a aucune situation alarmante », le barrage « remplissant sa fonction », selon l’experte.

Pour l’Etat, la couverture solide par enrochement s’impose. Dans un arrêté en juin, la préfecture a enjoint Orano à présenter son avant-projet sous 24 mois.

Un évènement 4 mois plus tôt, avait éveillé sa « vigilance », comme l’explique le sous-préfet Hervé Gerin: de fortes pluies ont provoqué des débordements du grand bassin, que n’a pu gérer la station de traitement des eaux, pourtant rénovée en 2020.

Cela « n’aurait pas dû avoir lieu », reconnait Olivier Masset, chargé de « l’après-mine » chez Orano. « Mais, selon lui, on est resté dans le cadre réglementaire » sur les niveaux de radioactivité relevés en aval. Et depuis, « des travaux en conséquence » ont été réalisés sur cette station présentée comme pionnière, où le zéolythe, un minéral, piège le radium.

« Quand on voit ces tâtonnements avec une station neuve, qu’en sera-t-il le jour où il faudra effectuer la grande vidange avec des volumes gigantesques? », raille Arlette Maussan, porte-parole du Collectif Bois noirs (CBN), qui surveille le site depuis des décennies.

« Il faudra bien passer par cette solution solide », mais « avec des garanties d’Orano », insiste-t-elle, et notamment « une étude hydrogéologique sérieuse », réclamée également par la préfecture qui promet là-aussi d’être « vigilante » et n’exclut pas une contre-expertise. Orano l’annonce pour mars 2023.

De son côté. la Criirad (Commission de recherche et d’information indépendantes sur les radioactivité) s’inquiète de la « contamination des eaux, sur un terrain de surcroît faillé » qu’elle dit avoir déjà mesurée jusqu’à « plusieurs dizaines de kilomètres » en aval du site.

« Héritage empoisonné »

L’eau s’écoulant des anciennes galeries noyées en 1980 et « le fond de vallée non étanchéifié » font dire à son directeur Bruno Chareyron que le site est « une aberration », « un héritage empoisonné des débuts du nucléaire, où l’après n’a pas été pensé ».

« La seule solution satisfaisante serait de déplacer les déchets dans un centre de stockage définitif », selon le scientifique. Mais il n’en existe aucun en France pour ces résidus FAVL.

Un scénario excavation-évacuation-transport avait néanmoins été étudié par Orano en 2018. Chiffré à un milliard d’euros, il a été écarté pour des raisons de coûts mais aussi d’acceptabilité, en lien avec l’incessante noria de camions qu’aurait exigé le chantier.

Le projet de recouvrement, lui, suscite une certaine méfiance. La Criirad et le CBN, « furieux », ont boycotté la réunion du 22 novembre, une première. « Une politique de la chaise vide » regrettée par le sous-préfet, qui prône le « dialogue ».

Orano rappelle d’ailleurs avoir déjà présenté l’option recouvrement dans les années 2010, suscitant l’opposition, notamment du CBN ou d’élus locaux.

Le maire de Lavoine (Allier), Jean-Dominique Barraud, avait à l’époque entrepris une marche sur Paris et n’a « pas changé d’avis depuis »: « c’est une question de santé publique, des poussières radioactives vont voler sur des kilomètres lors des travaux! », fulmine-t-il.

 Chantier colossal

Il est vrai que le chantier sera colossal – « trois à dix ans de travaux », dit Orano. Il s’agirait notamment de reconstituer le lit de la Besbre, sur la rive gauche, moins pentue, ce qui favoriserait la remontée des poissons, détaille Nadine Himeur, chef de projet « après-mines » chez Orano. Les roches récupérées serviraient à recouvrir les résidus.

Pour ce faire, Orano doit acquérir du terrain. Les démarches ont commencé mais certaines parcelles ont été acquises par le CBN ou par des communes comme Lavoine, dont le maire ne cache pas qu’il veut ainsi « bloquer le chantier ».

« Ce projet de réaménagement dure depuis des années. Il doit être co-construit par l’ensemble des acteurs! Il ne doit pas y avoir un perdant et un gagnant, mais un consensus! », insiste pourtant Mme Gallerand de l’IRSN.

Au delà du réaménagement, le CBN et la Criirad s’opposent encore vivement à Orano sur la gestion des stériles, ces débris faiblement radioactifs issus des travaux de la mine – et non de l’usine-: ils ont été utilisés ici ou là comme matériau de construction jusque dans les années 1990.

© AFP

Un commentaire

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    • DENISE

    Une centrale nucléaire produit beaucoup d’énergie, MAIS l’énergie nécessaire pour arriver à produire DÉPASSE TRÈS LARGEMENT l’énergie produite (extraction, enrichissement, construction et fonctionnement de la centrale, retraitement et enfouissement des déchets, sécurisation de l’approvisionnement à l’étranger et des sites nucléaires) … c’est un gouffre énergétique et financier, on laisse aux générations futures des POUBELLES RADIOACTIVES qu’ils vont devoir gérer pendant des milliers d’années … on ne sait pas démanteler une centrale !
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    Pire encore, depuis la guerre en Ukraine, les sites nucléaires sont des cibles et un moyen de chantage énorme !
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    Que faire ? Fermer et sécuriser les sites dès que possible et SURTOUT NE PLUS Y TOUCHER !