Dans l’Irak à sec, un barrage menace d’engloutir villages et terres agricoles

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Le village de Messahag sur les rives du Tigre, le 1er novembre 2022 dans le nord de l'Irak © AFP Sabah ARAR

Al-Messahag (Irak) (AFP) – A 53 ans, Jamil al-Joubouri n’a jamais quitté son village du nord de l’Irak, où sa famille pratique l’agriculture depuis des générations.

Mais un projet de barrage porté par les autorités pourrait bientôt engloutir sa maison et les obliger à partir.

Comme Jamil, des dizaines de milliers d’Irakiens sont menacés par le barrage de Maqhoul, que le gouvernement espère achever d’ici cinq ans sur le fleuve Tigre.

Dans un Irak mis à mal par trois années de sécheresse, considéré par l’ONU comme un des pays les plus vulnérables au changement climatique, les autorités défendent ce projet qui permettra, selon elles, de lutter contre les pénuries d’eau.

Toutefois des ONG dénoncent les répercussions néfastes sur une trentaine de villages –soit 118.000 personnes– et les conséquences pour la biodiversité et plusieurs sites archéologiques.

Le village de Messahag offre un paysage bucolique. Au bord du Tigre, des paysans sèment ou retournent à la pelle la terre gorgée d’eau.

Mais quand le barrage verra le jour, toute la région sera engloutie sous trois milliards de mètres cubes d’eau.

« Je suis né et j’ai grandi ici. C’est difficile de partir. C’est tout un passé que nous laissons derrière nous », martèle Jamil al-Joubouri, fonctionnaire dans une raffinerie.

C’est son fils qui s’occupe des plantations de blé et d’agrumes de la famille.

Conciliant, Jamil accepte de partir et de mettre « l’intérêt national avant l’intérêt personnel », à la condition que le barrage soit un projet « qui servira l’Irak » –et qu’il reçoive les « dédommagements adéquats » pour « assurer (son) avenir et celui des enfants ».

 « Menace sérieuse »

Déjà doté de huit barrages, l’Irak déplore une baisse du débit de ses fleuves et fustige son voisin turc pour ses barrages construits en amont.

Lancé initialement en 2001, le projet de Maqhoul avait été interrompu en 2003 après l’invasion américaine et le chaos qui s’en est suivi.

Les travaux ont repris début 2021, avec des forages, des analyses du sol et la construction d’un pont surplombant le fleuve.

Le barrage devrait permettre d’établir une station hydroélectrique de 250 mégawatts et un « canal d’irrigation qui desservira des zones agricoles et contribuera à la sécurité alimentaire du pays », plaide l’adjoint du gouverneur de la province de Salaheddine, Riad al-Samaraï.

« L’intérêt général impose la construction de ce barrage pour garantir des réserves d’eau à l’Irak », ajoute-t-il.

Selon lui, cinq villages se trouvent sur le site du futur réservoir: « Une commission a été formée par les provinces et les ministères concernés pour apporter des dédommagements adéquats aux habitants » et les déplacer.

Pourtant, la société civile est vent debout.

Car il y a aussi les répercussions sur la faune et sur la flore que dénoncent les ONG Save the Tigris et Humat Dijlah et les dangers notamment pour la cité antique d’Assur, inscrite au patrimoine de l’Unesco.

En août, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) déplorait l’absence de « tentative de dialogue » avec les communautés locales.

« Les personnes interrogées, des fermiers et des propriétaires terriens, considèrent le barrage de Maqhoul comme une menace sérieuse à leur gagne-pain », soulignait un rapport de l’OIM, se basant sur une étude de l’organisation irakienne Liwan pour la culture et le développement.

 « Absence de confiance »

« Personne n’est venu nous voir, personne ne nous a rien demandé », confirme à Messahag le père de Jamil, Ibrahim al-Joubouri, agriculteur.

« Mes ancêtres, mon père, puis moi, sommes tous restés dans cette région », déplore l’octogénaire, visage buriné et silhouette voutée.

Le vrai problème de l’Irak, « c’est la baisse du débit de l’eau provenant de Turquie et d’Iran », rappelle Mehiyar Kathem, un des auteurs de l’étude de Liwan.

Le pays « n’a pas besoin d’un nouveau barrage: à cause de l’augmentation de la salinité du Tigre, il faut laisser le fleuve couler », dit-il.

Son étude recense 39 villages qui risquent d’être engloutis, avec des populations variant de 200 à 8.000 habitants.

Plus de 67 kilomètres carrés « de terres agricoles fertiles, domaines et vergers » disparaîtront également si le barrage de Maqhoul atteint sa pleine capacité. Et 61.146 têtes de bétail devront être « vendues ou déplacées ».

« Le barrage peut perturber le quotidien de 118.412 personnes », résume Liwan, pointant du doigt « une absence de confiance envers les décideurs » parmi les populations locales, pour qui « toute protestation risque de tomber dans l’oreille d’un sourd.

© AFP

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