Dans le Marais poitevin, la crainte d’une « guerre de l’eau »

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Des oiseaux survolent le premier projet de méga-bassin de rétention près de l'étang de Mauze-sur-le-Mignon, dans l'ouest de la France, 23 février 2022. © AFP/Archives PHILIPPE LOPEZ

Sainte-Soline (France) (AFP) – Dans la plaine aux terres ocres de Sainte-Soline (Deux-Sèvres), autour d’une parcelle solidement grillagée, des gendarmes mobiles accourent dès que l’on s’approche du chantier de la réserve d’eau.

Destinée à l’irrigation agricole, celle-ci est au cœur d’une bataille pour l’accès à l’eau dans le Marais poitevin.

C’est la deuxième lancée dans un projet de 16 réserves de substitution, élaboré par un groupement de 400 agriculteurs réunis dans la Coop de l’eau, pour « baisser de 70% les prélèvements » en été. Soutenu par l’État, il coûterait au minimum 60 millions d’euros, financé à 70% par des subventions publiques.

« Sans arrosage, on ne tiendra pas longtemps », craint Ludovic Vassaux, exploitant en polyculture-élevage bio et vente directe à Épannes, dans l’ouest du département.

Après des restrictions d’irrigation dès le printemps puis une sécheresse estivale « jamais vue », l’agriculteur de 43 ans a perdu 30% de sa production (principalement lentilles, tournesol, blé, luzerne).

Ce titulaire d’un BTS environnement, qui a songé à se reconvertir comme professeur de biologie afin d’avoir « un salaire garanti », attend désormais d’être relié à une réserve pour s’assurer un revenu minimal.

Ces cratères à ciel ouvert, recouverts d’une immense bâche en plastique, pompent l’eau des nappes phréatiques superficielles l’hiver pour en stocker jusqu’à 650.000 m3 (soit 260 piscines olympiques), avant de la restituer pour l’irrigation l’été, quand les précipitations se raréfient.

Selon l’unique rapport scientifique disponible, publié par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), le projet pourrait, par rapport à la période 2000-2011, augmenter « de 5% à 6% » le débit des cours d’eau l’été, contre une baisse de 1% l’hiver.

Cette modélisation, « exclusivement quantitative », ne prend pas en compte l’évaporation potentielle des futures réserves, ni la menace de sécheresses récurrentes liées au changement climatique, précise la direction régionale du BRGM à l’AFP.

Le collectif « Bassines Non Merci », qui rassemble une cinquantaine d’associations environnementales, d’organisations syndicales et de groupes anticapitalistes, dénonce en revanche un « accaparement de l’eau » destiné à « l’agro-industrie ».

Les 29 et 30 octobre, ces opposants prévoient de « converger par milliers » pour « mettre fin » au chantier de Sainte-Soline et empêcher un « bassinage général » du pays, selon leur porte-parole Julien Le Guet.

Non déclaré à ce stade, ce rassemblement reste surveillé de près par les autorités locales.

Depuis 2020, de précédentes manifestations soutenues par LFI, EELV, la CGT, ou la LPO, parfois émaillées d’incidents, ont rassemblé jusqu’à 5.000 personnes dans les plaines de Mauzé-le-Mignon où la première retenue fonctionne aujourd’hui.

Entre les années 1970 et 2000, dans cette zone aux nombreuses prairies inondables l’hiver, du fait des nappes enfouies à seulement quelques mètres, le marais a été drainé pour évacuer l’eau vers la mer et rendre des parcelles accessibles aux tracteurs et cultivables en maïs, retrace Vincent Bretagnolle, spécialiste d’agro-écologie au CNRS à Chizé (Deux-Sèvres) et membre du comité scientifique et technique de suivi (CST) du projet.

Pour l’hydrogéologue Alain Dupuy, autre membre du CST, « les réserves seules ne suffiront pas » à inverser ce « déséquilibre » du « grand cycle de l’eau ». Mais dans ce territoire très spécifique, « où nappes et rivières sont imbriquées, interconnectées », « prendre l’eau en abondance l’hiver et interdire tout prélèvement dans le milieu l’été devrait bénéficier aux zones humides, aux tourbières et aux marais ».

« Fuite en avant » ou « transition »

Benoit Jaumet, représentant local de la Confédération paysanne, dénonce en revanche « une fuite en avant » du modèle agricole productiviste.

L’éleveur, menacé dans le passé sur les réseaux sociaux pour cette opposition, craint « une surenchère dans la guerre de l’eau » et défend « d’autres leviers » – agro-écologie, changement de cultures, retour des prairies – avant de construire des réserves, « plus petites ».

Son syndicat, minoritaire, soutient le prochain rassemblement pour réclamer un « moratoire » mais « n’appelle pas aux actions de désobéissance », après des dégradations lors de précédentes manifestations ayant touché notamment du matériel d’irrigation de M. Vassaux.

D’autres maraîchers, membres de la Coop de l’eau mais non reliés aux futures réserves, redoutent que celles-ci assèchent leurs forages et dévalorisent leurs terres au profit des exploitations connectées.

« Ces grandes bassines, c’est fait pour les céréaliers qui produisent du maïs et l’envoient surtout à l’étranger. Nos petits volumes ne les intéressent pas », estime Olivier Drouineau qui cultive 4,5 hectares en bio près de Mauzé-sur-le-Mignon.

Selon la Chambre d’agriculture régionale, qui soutient le projet, « 85% du maïs produit » dans la zone alimente d’abord les élevages du Grand ouest et sa surface irriguée a été divisée par trois depuis les années 2000.

Pour Thierry Boudaud, président de la Coop de l’eau et membre de la FNSEA, renoncer aux réserves « qui sécurisent l’eau » favoriserait à l’inverse les grosses exploitations, mieux équipées et aux assolements – blé, colza, tournesol- moins gourmands en eau.

Cet agriculteur installé sur 50 hectares, dont une partie en bio, qualifie ces nouveaux ouvrages, « qui appartiendront à la coopérative, pas aux exploitations », d' »accélérateur de transition écologique » permettant d’assurer la survie de « générations d’agriculteurs ».

Engagements

Après des années de concertation entre agriculteurs, élus, autorités et associations, un protocole approuvé fin 2018 conditionne l’accès à l’eau à des changements de pratiques: réduction de moitié des pesticides, plantation d’une centaine de kilomètres de haies et conversion à l’agro-écologie dans les cinq ans qui suivront.

Ce système « ambitieux » sera contrôlé par des compteurs automatiques et les services de l’État visiteront régulièrement chaque exploitation, avec réduction des quotas d’eau pour les mauvais élèves, assure la préfecture des Deux-Sèvres. Un point positif pour Alain Dupuy, « favorable » au projet « si tout le monde joue le jeu » pour « ralentir le cycle de l’eau ».

Mais sur dix agriculteurs utilisant la première retenue, « aucun n’a souscrit de réduction de pesticides », relève M. Bretagnolle qui met en garde contre la situation en Espagne, où « l’on a misé exclusivement sur les retenues et maintenu un système agricole très utilisateur d’eau ».

Depuis la signature, plusieurs associations se sont retirées du protocole.

En Vendée voisine, la construction de 25 retenues similaires depuis 2006 « a permis de faire remonter significativement le niveau de la nappe » mais sans empêcher le dépassement fréquent des seuils d’alerte, notait l’Agence de l’eau Loire-Bretagne dans une étude de 2021.

© AFP

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