« Les Chasseurs ont-ils tué la chasse ? » : lobbying et influences de la chasse en France

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Couverture de Les Chasseurs ont-ils tué la chasse ?, par Michel Gauthier-Clerc, Delachaux et Niestle, septembre 2022, 288 pages

Dans un livre, dont le titre éloquent dit tout, « Les Chasseurs ont-ils tué la chasse ? » publié aux édition Delachaux et Niestle en septembre 2022, Michel Gauthier-Clerc, docteur en écologie et en médecine vétérinaire, revient sur le pouvoir de la Fédération Nationale de la Chasse et ses méthodes de lobbying. Nous republions ici une partie du chapitre consacré à ce sujet. Après avoir dressé un état des lieux de la chasse dont le nombre de pratiquants diminue (il est passé sous la barre du million de pratiquant, une première depuis des décennies), être revenu sur l’histoire de cette pratique qui est désormais surtout un loisir, le livre s’arrête aussi sur la manière dont une partie des adeptes de ce loisir parviennent à peser auprès des politiques pour obtenir des privilèges et ce, en dépit, d’une absence soutien de la part du reste de la société. Le livre questionne aussi l’avenir de la chasse, son impact sur la biodiversité et la question éthique du fait de tuer un être vivant. L’extrait retenu pour ces bonnes feuilles aborde la question du lobbying auprès du pouvoir politique.

Lobbying et influences

Les méthodes du lobbying

 La chasse est en train de perdre dans la plupart des arènes du combat pour sa survie, notamment celle de l’opinion publique. Ceux qui se penchent sur le sujet « chasse » sont pourtant toujours surpris de l’arrivée de nouveaux textes de lois, arrêtés, dérogations, etc. en faveur des chasseurs, et régulièrement aux dépens d’autres citoyens qui ne disposeront pas de droits similaires. Tout ceci est réalisé grâce à un lobbying parfaitement maîtrisé, exercé sur la sphère politique, qui explique en grande partie le poids de la chasse en France. Il est ainsi possible qu’un arrêté ou une loi soient promulgués en rapport avec une activité de la chasse alors même qu’une grande majorité de l’opinion publique y est défavorable, que les consultations publiques y sont défavorables, que l’administration et les scientifiques ont donné des avis défavorables, que les lois européennes l’interdisent, etc. La clé de ce succès qui permet de passer au-dessus des attentes des autres acteurs de la société : les liens très étroits que les leaders de la chasse ont su entretenir avec les lieux de pouvoir français, très centralisés. Pour CPNT (le parti politique Chasse Pêche Nature et Traditions) et la FNC (Fédération Nationale des Chasseurs), Thierry Coste est le lobbyiste le plus en vue des leaders de la chasse depuis 1994. Il a publié en 2006 un livre dans lequel il expose en détails ses méthodes pour répondre aux demandes de ses clients 1 et donne une définition du lobbying : « C’est l’activité qui consiste à chercher à influencer les pouvoirs publics, c’est-à-dire l’administration, les élus locaux, les parlementaires, le gouvernement et les instances communautaires dans toutes leurs décisions, le plus en amont possible et par des moyens les plus divers, de l’entregent amical à la démonstration de force dans la rue ou aux polémiques dans les médias. »

Ce lobbying du monde de la chasse est particulièrement efficace depuis la fin des années 1990 en raison de la porosité des élus aux revendications de ses leaders. Cette période a vu des élus nationaux et locaux perdre leur poste, des majorités dans des conseils régionaux basculer en raison du vote CPNT. Passée la période d’influence de CPNT, les leaders de la chasse ont cependant su capitaliser sur la notion qu’ils pourraient orienter le vote de plusieurs centaines de milliers de personnes, bien que cela ne reflète pas les votes effectifs des pratiquants de la chasse, qui restent répartis sur l’ensemble du spectre politique. Élus nationaux et locaux se transmettent culturellement cette obligation de répondre aux revendications de la chasse sous peine de soucis électoraux ou d’entrave au calme social. Cela ne concerne pourtant en pratique que ce que Thierry Coste qualifiait de « poches de résistance qui mobilisent quelques milliers de chasseurs prêts à tout pour conserver leurs traditions » 3, comme dans la Somme, le Pas-de-Calais ou la Gironde.

 

En France, le présidentialisme qui concentre les pouvoirs dans les mains d’une seule personne est extrêmement bénéfique aux représentants de la chasse lorsqu’ils arrivent à maintenir une proximité, voire une adhésion, avec l’Élysée – c’est le cas depuis 2017. Quand cela est difficile, comme sous le mandat de Jacques Chirac, très peu ouvert à la chasse, le lobbying doit agir sur des niveaux hiérarchiques plus bas, là où subsistent des ouvertures ou des moyens de pression :

Premier ministre, ministres, députés, sénateurs, conseillers régionaux, préfets, etc. Il s’agit, selon Thierry Coste, de maîtriser « la connaissance des circuits et des procédures de décisions de l’administration et du pouvoir politique… pour agir au moment opportun auprès de celles et de ceux qui seront les plus influents », sachant que « le travail d’influence ne s’arrête qu’au moment où les textes réglementaires ont paru ; car tout est possible jusqu’à cette date ».

Thierry Coste décrit ce lobbying de proximité comme déterminant dans la stratégie de pression de la FNC par une force collective, très structurée et étendue sur tout le territoire français 1 : « Dans chaque département, il existe une fédération composée d’un conseil d’administration avec de nombreux notables venus d’horizons très différents, avec des dizaines de salariés, des centaines de bénévoles très actifs, des milliers de chasseurs et une assemblée générale annuelle qui est un passage obligé pour les politiques de chaque département […]. Vu sous cet angle, il est facile de comprendre pourquoi la chasse possède un vrai pouvoir d’influence sur la vie publique […]. La capacité d’influence de la FNC vient de ce système très structuré qui fait qu’une consigne de mobilisation de toutes les fédérations auprès de tous les parlementaires se traduit dans les 48 heures par une délégation de responsables locaux et départementaux de la chasse qui frappe à la porte dans toutes les permanences de toutes les circonscriptions des députés et des sénateurs ».

Un président de la République à l’écoute

 Un des coups majeurs de la FNC a été d’avoir su miser sur le candidat Emmanuel Macron en amont de son élection à la présidence en avril 2017. Ce succès a été facilité par l’amitié très proche entre Emmanuel Macron et le sénateur François Patriat. Ce dernier était le « Monsieur Chasse » du Parti socialiste lors des négociations liées à l’élaboration de la loi Chasse de 2000.

Thierry Coste a réussi à devenir un conseiller pour la « ruralité » du candidat. L’élection en avril 2017 d’Emmanuel Macron a ainsi accéléré les réponses aux revendications de la FNC. Les objectifs et les moyens du lobbying de la chasse ont, quant à eux, été publiquement exposés par Thierry Coste : il s’agit bien d’influer sur les prises de décision des élus et la construction des lois au bénéfice des intérêts du client payeur, ici la FNC. Cette dernière est en effet cliente de Lobbying et Stratégies, la société de Thierry Coste, inscrite au EU Transparency Register. La FNC y est décrite comme « l’interlocuteur unique des pouvoirs publics français dans ce secteur d’activité », et Thierry Coste s’y déclare comme « en charge des relations avec le Parlement et les cabinets ministériels depuis 1994 » 1. L’activité est légale, il n’y a là strictement rien d’anormal ni de caché. Ce qui est en revanche totalement incompréhensible est que le plus haut représentant de l’État, élu au suffrage universel, installe au plus proche de lui un lobbyiste officiel comme conseiller à la ruralité.

Un lobbyiste est en effet payé par ses clients pour influencer l’élu et ses prises de décision. Pourtant, en décembre 2020, lors d’une interview pour Brut, Emmanuel Macron affirmait : « Les chasseurs, c’est pas un lobby, je ne sais pas ce que vous appelez un lobby, un lobby c’est un groupe de pression caché. Les chasseurs ce sont des millions de nos concitoyens qui pratiquent cette activité dans la ruralité ». Mais d’une part, le lobbying n’est pas une activité cachée. D’autre part, le président de la République reprend justement dans sa phrase les éléments de langage portés par le lobbying de la FNC, invoquant des millions de pratiquants de la chasse en France, alors qu’ils se situent en réalité sous la barre du million. Emmanuel Macron évoque également le lien entre chasse et ruralité, qui est comme nous l’avons vu une construction.

En 2022, dans les semaines qui précédèrent le premier tour de l’élection présidentielle, le candidat continua d’utiliser le langage de la FNC : « Il y a des millions de Français et de Françaises qui sont chasseurs. Parlez-moi d’écologie, dites-moi comment on gère les espèces. S’il n’y a pas de chasseurs, bonjour les sangliers. » L’élément le plus révélateur, mais malheureusement le plus dévastateur pour le fonctionnement démocratique de nos institutions, fut la lettre officielle qu’adressa Emmanuel Macron aux chasseurs le 6 avril 2022.

Extrait de Les Chasseurs ont-ils tué la chasse ?, par Michel Gauthier-Clerc, Delachaux et Niestle, septembre 2022, 288 pages, 19,90 euros

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Un commentaire

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    • Marie Koenig

    Je vous supplie de tout mon être, comment faire pour arrêter la chasse? Il faut arrêter cette activité malsaine et meurtrière !!!!!!!