Au Mexique, les puits sacrés pré-hispaniques bloquent l’avancée du Train maya

train maya

Le chantier de construction du "Train maya", entre Tulum et Playa del Carmen, le 14 avril 2022 au Mexique © AFP CARLO ECHEGOYEN

Playa del Carmen (Mexique) (AFP) – Elle marche au milieu d’une forêt déboisée pour les besoins du « Train maya » dans la péninsule du Yucatan (sud-est du Mexique), chantier emblématique du président dont elle vient d’obtenir avec d’autres activistes la suspension partielle, au nom de la protection des arbres et d’un réseau souterrain de puits pré-hispaniques.

Spéléologue, Tania Ramirez, 42 ans, avance au milieu de deux bulldozers à l’arrêt qui ont tailladé le massif forestier à la sortie de Playa del Carmen vers Tulum (64 km). « Un suicide », lâche-t-elle.

Et encore ne s’agit-il, selon Mme Ramirez, que de la partie des dégâts visible à l’oeil nu dans cette vitrine touristique du Mexique, pays parmi les plus visités au monde (et même deuxième destination mondiale en 2021 d’après certaines sources).

Outre la forêt, le chantier du Train menace surtout le sous-sol de la péninsule, royaume des dieux de la mort et de la maladie dans les croyances maya.

Le Yucatan repose sur un réseau de cours d’eau souterrains uniques au monde: grottes, rivières et puits d’eau douce, les mystérieux cénotes.

Nichés dans des gouffres naturels, ces réservoirs d’eau turquoise se comptent par milliers. Voie de passage vers l' »inframonde » des Maya, les cénotes sont d’une grande valeur écologique et archéologique. Et même touristique: certains sont aménagés pour des baignades en famille.

Ce sont ces puits et ces gouffres qui sont menacés par le chantier du train touristique Maya — 1.554 km au total, dont 60 km sur le tronçon litigieux, d’après la spéléologue.

« A chaque pas tu peux trouver une grotte », selon Tania Ramirez, qui conduit l’équipe de l’AFP dans l’une des cavités découvertes sur le tracé du train.

L’entrée est à peine visible entre les troncs abattus et les branches mortes. A l’intérieur, des chauves-souris volent entre des stalactites. La grotte conduit à une rivière souterraine.

Dans un autre caveau naturel, Tania Ramirez affirme avoir découvert des vestiges archéologiques, peut-être un garde-manger de l’époque maya selon elle.

Ces découvertes en marge du chantier sont protégées, affirme le gouvernement, qui prétend également avoir planté 500.000 hectares d’arbres en surface.

Tania Ramirez s’entend souvent dire que les grottes ne se trouvent pas sur le tracé du train.

Mais l’argument ne convainc pas les spécialistes, qui comparent le sous-sol de la région à un vaste gruyère.

« C’est une zone creuse qui ne supporterait pas le poids d’un train », estime Vicente Fito, plongeur de 48 ans.

 « Imposteurs »

Entre Playa del Carmen et Tulum, le tronçon numéro 5 du train touristique a déclenché une bataille ouverte entre les défenseurs de l’environnement et le président Andres Manuel Lopez Obrador.

Initialement, le train devait suivre le tracé de la route Tulum-Cancun. Le parcours a finalement été modifié début 2022 vers l’intérieur des terres où le sol est plus ferme, d’après le président.

Las! Un juge fédéral a ordonné fin avril la suspension provisoire des travaux, après un recours de Tania Ramirez et d’autres activistes du collectif « Sauve-moi du train ».

Le juge a estimé que le chantier n’avait pas été précédé d’études d’impact environnemental.

La société a besoin de ce transport public, mais aussi que sa construction se fasse « conformément aux dispositions légales en matière d’environnement qui prévalent en droit mexicain », a écrit le magistrat.

Pas plus tard que lundi, une autre ONG environnementaliste a affirmé qu’un autre juge avait également demandé la suspension des travaux.

Tournant le dos aux environnementalistes, le président a visité lundi l’usine Alstom-Bombardier qui a signé un contrat pour construire « 42 trains avec 210 wagons pour le train Maya », a-t-il indiqué sur Twitter.

AMLO (ses initiales, son surnom) a dénoncé en avril la présence d' »imposteurs » parmi les défenseurs de l’environnement dont certains sont, selon lui, les suppôts de campagnes politiques financées par les Etats-Unis.

Le chef de l’Etat estime que son train d’un coût total de 10 milliards de dollars permettra le développement de la péninsule du Yucatan.

Près de la moitié de la population vit dans la pauvreté dans l’arrière-pays de l’Etat du Quintana Roo, derrière les vitrines brillantes du tourisme international (Cancun, Playa del Carmen, Tulum).

« Nous avons besoin de ce type de projets », assure Lenin Betancourt, président du Conseil de coordination des entrepreneurs de la Riviera Maya. « Nous devons combattre cette pauvreté ».

Pour un autre spéléologue et activiste, Otto Von Bertrab, la seule solution viable, selon lui, est que le train retrouve son tracé le long de la route. Dans le cas contraire « la destruction sera le leg de ce président ».

© AFP

Ecrire un commentaire