Le pangolin au Liberia : « On le tue, on le mange, les écailles on les vend »

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Des écailles de pangolin prêtes à être vendues près de Bopolu, le 14 novembre 2021 au Liberia © AFP JOHN WESSELS

Gbarpolu county (Liberia) (AFP) – La nuit, hors saison des pluies (de mai à octobre), armé d’un fusil à canon unique et d’un coupe-coupe, Emmanuel part en chasse dans le nord du Liberia.

C’est l’heure où le timide pangolin sort fouiller dans le bois mort à la recherche de fourmis et de termites.

De la taille d’un gros ragondin, l’animal couvert d’écailles, aux petites pattes griffues, dépourvu de mâchoire et de dents, est aussi plus facile à débusquer dans la pénombre, explique-t-il, parce que la lumière de la lampe frontale se reflète dans ses yeux.

Emmanuel, 58 ans, cultive la banane plantain et le poivron dans un village du district de Gbarpolu, à cinq heures de la capitale Monrovia par une piste cahoteuse.

Mais c’est en chassant qu’il gagne de l’argent, le singe et surtout le pangolin. Si ses dix enfants ont pu aller à l’école, c’est à son fusil qu’ils le doivent, dit-il.

Seul mammifère à écailles, menacé d’extinction sur toute la planète, l’animal est apprécié au Liberia pour sa viande au goût de sucre et pour ses écailles recherchées en Asie où elles sont utilisées pour la médecine traditionnelle.

Depuis que la principale source d’approvisionnement a cessé en 2013 d’être l’Asie, en raison du déclin des effectifs, l’Afrique en est devenu le premier fournisseur, selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime. Provenances principales : Nigeria, Cameroun, Guinée et Liberia.

Parmi les plus braconnés au monde, le pangolin est protégé depuis 2016 au Liberia, pays pauvre d’Afrique de l’Ouest meurtri par presque 14 ans de guerre civile et les séquelles de la maladie à virus Ebola.

Mais pour Emmanuel et bien d’autres dans les villages reculés de la forêt tropicale qui couvre le nord du pays, où les journalistes de l’AFP ont pu faire une rare mission, le braconnage est autant un moyen de subsistance qu’un mode de vie.

« On le tue, on le mange », résume Emmanuel pour l’AFP. « Après, les écailles, on les vend. »

Terrain favorable

La Convention sur le commerce d’espèces sauvages menacées d’extinction (Cites) a interdit en 2016 le commerce international des pangolins, dont certains types figurent sur la liste rouge des espèces menacées d’extinction de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN).

Mais les écailles de cet animal, présent uniquement en Afrique et en Asie, continuent d’alimenter un ample trafic mondial.

La Chine et le Vietnam en sont très demandeurs car elles y sont réputées agir sur l’arthrite, les ulcères, les tumeurs et les douleurs menstruelles – des vertus jamais établies scientifiquement. Un kilogramme d’écailles se vendait 355 USD en Chine en 2019, plus de 700 USD au Laos en 2018, selon une étude de la fondation Wildlife Justice Commission basée à La Haye.

Des tonnes d’écailles ont été saisies par les agents des douanes à travers le monde ces dernières années. En juillet par exemple, la Chine en a saisi 2 tonnes.

Pour les trafiquants, le Liberia est un terrain propice.

Plus de 40% du territoire est couvert de forêts et la gouvernance y est faible. Le pays se remet de deux guerres civiles (1989-2003, 250.000 morts) et de la maladie à virus Ebola (2014-2016, 4.800 morts).

Et la demande est forte. « Il y a des gens qui achètent, c’est pour ça qu’on vend », explique le chef chasseur d’un village, âgé de la cinquantaine.

Des acheteurs écument les villages pauvres aux murs de torchis et aux toits de tôle à la lisière d’épaisses forêts, expliquent des braconniers dont les noms ne sont pas dévoilés pour raison de confidentialité.

Localement, il se dit qu’il s’agit de Libériens qui fourniraient des intermédiaires à Monrovia. Le parcours de la marchandise s’obscurcit ensuite.

L’année passée, il ne s’en est quasiment pas vendu. Peut-être parce que la pandémie de Covid-19, dont le pangolin a été suspecté pendant un temps d’être le véhicule, a ralenti le négoce.

En 2020, Pékin a interdit le commerce et la consommation d’animaux sauvages et retiré les ingrédients issus du pangolin de la liste officielle de la pharmacopée chinoise.

Et Hong Kong, plaque tournante du commerce international des espèces animales menacées notamment en raison de son port, a en août dernier fait du trafic d’animaux sauvages un crime organisé.

Un jeune homme dit quand même avoir réussi à vendre des écailles ces derniers mois. Selon différentes sources au fait des tarifs, un petit sac d’écailles de plusieurs pangolins rapporte quelques dollars américains.

Vu le niveau de vie localement, c’est déjà ça dans ce pays où 44% des habitants vivent avec moins d’1,9 dollar par jour selon la Banque mondiale. L’argent sert à acheter des produits de première nécessité comme du savon, disent les mêmes sources.

Même quand le trafic fait relâche, les villageois débusquent le pangolin pour sa chair.

Dans l’un des villages où s’est rendu l’AFP, une femme sort de sa maison avec un bébé pangolin accrochée à elle. Son mari a trouvé le petit avec sa mère deux jours auparavant. Qu’est-il arrivé à la mère ? « On l’a mangée tout de suite », répond-elle en riant.

Des écailles partout

Près du marché Rally Market de Monrovia, un garde forestier répand ce jour-là du carburant sur un tas de viande confisquée après une descente musclée et gratte une allumette. Dans le brasier se consument des cadavres de singes et au moins un pangolin.

Autour, des femmes se sont agrégées et c’est presque l’émeute. Comfort Saah est folle de rage: c’est l’équivalent de 3.000 dollars parti en fumée, dit-elle. Une fortune aux standards du pays. « Comment je vais faire pour envoyer mes enfants à l’école ? Comment je vais faire pour vivre », se lamente-t-elle.

Depuis que l’animal est protégé au Liberia, sa chasse et sa commercialisation sont passibles d’une amende de 5.000 USD et jusqu’à six mois de prison.

Après des années passées à tenter de sensibiliser la population, les services forestiers viennent seulement de lancer des opérations coups de poing.

« Tous les jours, des braconniers et des chasseurs tuent nos espèces protégées » pour un négoce qui « anéantit notre patrimoine naturel », constate Edward Appleton, qui dirige l’unité de lutte contre les trafics au sein de l’autorité forestière.

Mais il se heurte à la conception utilitaire des animaux et à des habitudes anciennes de consommation en zones rurales, où peu de signes indiquent que l’interdiction de braconnage soit appliquée avec vigueur.

On trouve des écailles de pangolin à peu près partout dans les trois villages du district de Gbarpolu où s’est rendue l’équipe de l’AFP. De nombreux villageois en dissimulent chez eux dans des sacs en plastique plus ou moins remplis.

« Presque la fin »

Près de 900.000 pangolins ont été vendus illégalement dans le monde entre 2000 et 2019, indiquait il y a un an l’ONG Traffic qui surveille les circuits de trafic illégaux d’animaux.

Ses effectifs globaux à l’état sauvage restent en revanche un mystère, disent les spécialistes.

Mais le peu de données disponibles suffit pour craindre une forte régression. Le nombre d’individus tués a « vraiment, vraiment augmenté » ces dernières années, s’inquiète Phillip Tem Dia, un spécialiste du Liberia au sein de l’ONG londonienne Flora and Fauna International (FFI).

Selon l’Agence américaine de développement USAID entre 650.000 et 8,5 millions de pangolins ont été prélevés sur leur environnement entre 2009 et 2020 dans toute l’Afrique de l’Ouest.

Pour Matthew Shirley, co-président du groupe pangolins à l’IUCN, il est « totalement irréaliste » d’attendre de gens pauvres de renoncer à une source aussi riche de protéines. L’accent doit être mis sur la conservation, dit-il.

Mais le fait que le pangolin soit un animal solitaire, reclus, difficile à nourrir et vite stressé complique les efforts.

Au refuge Libassa Wildlife Sanctuary, ouvert en 2017 près de Monrovia, on recueille des animaux sauvages confisqués à leurs détenteurs qui en avaient fait des bêtes de compagnie ou les destinaient à la boucherie.

Et on s’emploie à les rendre à la nature ou, quand cela n’est pas possible, à s’occuper d’eux jusqu’à leur mort.

Mais beaucoup de pangolins meurent de stress en captivité, malgré les soins prodigués, explique la directrice du centre, la Belge Julie Vanassche. « Ce sont des animaux très sensibles ».

L’institution, la seule au Liberia à venir au secours des pangolins, en a relâché 42 dans la nature.

Une goutte d’eau dans l’océan de la conservation.

« Il faut agir vite, c’est presque la fin », lâche Mme Vanassche.

© AFP

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