Entre soulagement et désespoir, récits de femmes dans l’Afghanistan taliban

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Zakia, une étudiante afghane qui a arrêté ses études après l'arrivée au pouvoir des talibans, chez elle avec sa fille, près de Kaboul, le 24 janvier 2022 © AFP Wakil KOHSAR

Charikar (Afghanistan) (AFP) – Le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan en août a mis un terme à vingt ans de guerre d’usure dans le pays. Si la fin des combats est un soulagement pour de nombreuses femmes, les restrictions imposées par les fondamentalistes islamistes causent aussi du désespoir.

A travers l’histoire de trois Afghanes, l’AFP offre un aperçu de l’impact du nouveau règne taliban sur la vie des femmes.

La mère

Dans un village à flanc de colline non loin de Kaboul, des enfants courent entre les maisons basses. Friba, elle, profite d’une vie qu’elle juge paisible, maintenant que les troupes américaines sont parties.

« Avant, il y avait des avions dans le ciel et des bombardements », remarque cette mère de trois enfants, à Charikar, dans la province de Parwan.

Dans de nombreuses régions rurales, la victoire des talibans et le retrait américain représentent surtout la fin d’un conflit meurtrier aux dizaines de milliers de victimes, et celle d’une classe politique largement corrompue.

Friba, qui comme beaucoup d’Afghans n’a pas de nom de famille, a perdu plusieurs proches pendant la guerre. Et l’inquiétude pour ceux qui sillonnaient le pays en quête d’un travail ne la quittait jamais.

« Nous sommes contents que les talibans aient pris le pouvoir et que la paix soit là », explique-t-elle. « Maintenant, j’ai l’esprit plus tranquille à la maison ».

Mais si la sécurité s’est largement améliorée, la lutte quotidienne pour survivre reste la même.

« Rien n’a changé, rien du tout. Nous n’avons pas d’argent », soupire Friba.

Seuls les petits travaux agricoles et les dons de nourriture permettent à son mari et à ses enfants de s’en sortir.

Leur vulnérabilité continue de l’inquiéter « jour et nuit », lâche-t-elle. « Mais la situation est meilleure désormais ».

L’étudiante

Zakia était en cours d’économie à l’université privée Kateb le 15 août, lorsque son professeur a annoncé que les talibans étaient aux portes de Kaboul.

« Mes mains se sont mises à trembler. J’ai sorti mon téléphone de mon sac pour appeler mon mari (…) et je l’ai fait tomber plusieurs fois », raconte-t-elle.

Etudiante en troisième année, elle n’est plus retournée en classe depuis.

Malgré la réouverture rapide des universités privées, puis celle de leurs homologues publiques dans une poignée de provinces la semaine dernière, de nombreuses étudiantes ont renoncé aux cours.

Pour Zakia, payer les frais de scolarité s’avère désormais difficile, à cause de la réduction drastique du salaire de son mari fonctionnaire, imposée par des talibans qui ont hérité de caisses quasiment vides.

Mais c’est surtout la peur panique de sa famille face aux combattants islamistes qui l’empêche de retourner en cours. Depuis août, elle s’aventure rarement dehors et préfère rester à la maison, avec sa fille en bas âge et sa belle-famille.

Ils « pensent que je vais me faire arrêter et peut-être tabasser par un taliban », explique Zakia, ce qui serait « une honte terrible. »

A 24 ans, elle se souvient avec mélancolie de ses années universitaires dans un pays où la guerre minait pourtant le système éducatif.

« Je comparais ma situation, le soutien de ma famille, à celle des gens illettrés, qui ne recevaient aucune éducation », se rappelle-t-elle. « J’étais fière, je me sentais chanceuse ».

Zakia n’a pas abandonné ses rêves de diplômes. Comme quelques centaines d’Afghanes, elle bénéficie d’une bourse attribuée par « l’Université du peuple », une organisation internationale proposant des cours en ligne.

Elle se connecte chaque semaine pour étudier la gestion d’entreprise. De quoi occuper son cerveau entre deux insomnies. Mais l’avenir la tourmente, particulièrement celui de sa fille.

« Comment vais-je l’élever dans une société pareille? », souffle-t-elle.

L’ex-entrepreneuse

Roya avait l’habitude de débouler chaque matin dans le centre de Kaboul, pour enseigner la broderie à des dizaines d’élèves. Le soir, elle confectionnait des robes et des chemisiers pour la future boutique qu’elle rêvait d’ouvrir avec ses filles.

Ses revenus lui permettaient de payer les factures et les frais de scolarité de sa progéniture.

« La couture n’a pas de secret pour moi. Tout ce que les gens voulaient, je pouvais le faire », explique-t-elle dans sa maison de la capitale afghane.

« Je croyais fermement avoir besoin de travailler, être une femme forte, nourrir mes enfants et les élever grâce à ma couture », détaille-t-elle.

Mais son école, financée par des fonds étrangers, a fermé lorsque les talibans sont entrés dans Kaboul. Elle n’a vu aucune élève depuis.

Roya passe désormais ses journées chez elle, avec ses enfants qui ont perdu leur travail ou cessé leurs études. Le foyer repose entièrement sur le revenu de son mari, un vigile à mi-temps payé quelques dollars par semaine.

« Je me sens impuissante », confie-t-elle. « J’ai tellement peur que nous n’allons même plus en ville ou au marché ».

Grâce à Artijaan, une entreprise sociale qui aide les artisans afghans, elle reçoit parfois quelques commandes pour des nappes brodées. Mais ses placards restent remplis des robes et vestes colorées qui faisaient autrefois sa fierté.

« Je suis cloîtrée à la maison, avec tous ces espoirs et ces rêves », désespère-t-elle.

© AFP

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