Changement climatique : au-delà du fatalisme et du solutionnisme, une troisième voie existe

Du manioc entrain de sécher dans le nord de Tagadi, région de Bondoukou, Côte d'Ivoire ©Yann Arthus-Bertrand
Yams drying in northern Tagadi, Bondoukou region, Ivory Coast (8°43' N - 2°39' W).

D’un rapport à l’autre, le GIEC, en faisant la synthèse des connaissances scientifiques, montre l’urgence de l’action. Ce qui n’est pas fait maintenant coûtera beaucoup plus cher demain. Pourtant, malgré les évidences et l’urgence, certains tentent de retarder les décisions nécessaires.

Hier climato-négationistes, aujourd’hui climato-fatalistes, parfois solutionnistes, leurs motivations sont diverses. Certains rechignent à changer leurs comportements quotidiens ou à participer au financement des actions. D’autres ont des intérêts personnels importants dans l’économie thermofossile. D’autres encore recherchent une gloire médiatique ou ne supportent pas de l’avoir perdue.

Ils ont longtemps suscité le doute, d’abord sur la réalité du changement climatique, argumentant que les scientifiques spécialistes du climat ne seraient pas d’accord entre eux, puis sur son caractère dramatique – il y a eu d’autres variations fortes dans le passé et on est toujours là. Puis sur l’origine anthropique du changement (c’est la faute aux fluctuations de l’activité solaire).

Aujourd’hui, ils admettent ce qu’ils ne peuvent plus nier : la température moyenne de la terre progresse du fait de l’excès d’émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines et cette augmentation entraînera des conséquences catastrophiques dont nous n’observons que de modestes prémices.

Fatalisme, solutionnisme et procrastination

Deux arguments sont évoqués (pas toujours par les mêmes procrastinateurs).

Le premier avance qu’il est trop tard pour agir (les fatalistes), et ce discours se décline plus ou moins subtilement :

Le coût de l’action nécessaire ne serait pas accepté par tout ou partie de l’humanité, rendant vains les efforts des plus vertueux.

Si trop d’humains veulent trop consommer (ou trop émettre) et qu’on ne peut les en empêcher, alors il y aura une catastrophe, éliminant de manière darwinienne les consommateurs excédentaires, tandis que ceux qui auront accumulé suffisamment de ressources et auront eu assez de chance pour survivre (sur Terre ou sur Mars) géreront la situation en temps utile.

Enfin, si l’espèce humaine disparaissait, qu’importe, le cosmos n’a cure des dinosaures ou des mammouths qui n’ont pas survécu.

La seconde catégorie d’arguments, les solutionnistes, affirme qu’il y aura demain des solutions moins pénibles pour nos enfants que ce qu’il faudrait s’imposer aujourd’hui.

Le fatalisme comme le solutionnisme justifient la procrastination : dans le premier cas, l’action est vaine ou impossible (j’voudrais bien, mais j’peux point), dans le second elle est prématurée (pourquoi se soucier aujourd’hui alors qu’on aura une solution à l’avenir).

Le nouveau rapport du GIEC nous montre pourtant, avec toute la prudence et les nuances nécessaires, et sans le dire de manière aussi explicite, que le solutionnisme a du plomb dans l’aile.

Des solutions prometteuses mais insuffisantes

En effet, une solution opérationnelle dans un horizon temporel compatible avec la dégradation rapide de la situation climatique existerait déjà au moins au niveau d’un concept de laboratoire en cours de test.

Le nouveau rapport du GIEC analyse le potentiel des concepts les plus prometteurs, notamment en matière d’atténuation du rayonnement solaire (Solar Radiation Mitigation).

Si un impact favorable de certains de ces concepts (comme l’injection de soufre dans l’atmosphère) ne peut être exclu, malgré de fortes incertitudes, en revanche les risques de conséquences négatives sont importants et cette « solution » ne serait éventuellement viable – compte tenu des effets de rebond – que dans un scénario de très drastique réduction de la quantité de gaz à effet de serre.

Elle ne pourrait donc être utile, au mieux, qu’en complément de la politique très volontariste à laquelle certains pensent qu’elle permettrait d’échapper.

Évidemment, personne ne peut affirmer qu’on ne trouvera pas demain une solution miracle immédiatement opérationnelle contre le réchauffement. Mais fallait-il, en février 2020, parce qu’on pouvait espérer disposer rapidement d’un médicament efficace contre le Covid-19 et ses éventuels variants (les candidats ne manquaient pas), ne pas se préoccuper de cette « grippette » ?

La bonne nouvelle, pour ceux qui doutent de l’option solutionniste, est que le fatalisme n’est pas l’unique alternative. Plusieurs éléments récents montrent qu’on peut agir dès maintenant avec une certaine efficacité, sans revenir à l’âge des cavernes ou obérer les capacités de développement des pays moins avancés.

Pas la peine d’attendre un consensus mondial

Il y a encore deux ans, la Commission européenne interrogeait les industriels pour savoir si une action volontariste de l’Europe était possible et nombre d’entre eux lui expliquaient que non.

La présidente Ursula von der Leyen a formulé la question différemment, en demandant quel était le meilleur dispositif parmi les options potentielles pour instaurer un prix élevé du carbone en Europe en cohérence avec une politique de réduction ambitieuse sans pénaliser gravement l’industrie européenne.

Même si les discussions sont en cours et seront difficiles, des scénarios émergent qui ne sont pas incompatibles avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et n’exigent pas un consensus de tous les pays européens, donc permettent de lancer rapidement une dynamique imparfaite et d’améliorer ensuite ce qui devra l’être.

Aux États-Unis, l’accumulation de catastrophes dont la probabilité et la gravité sont liées au changement climatique, tels les incendies historiques que subit la Californie depuis deux ans, sensibilise l’opinion, tandis que le relèvement des exigences environnementales pourrait constituer une arme dans la concurrence avec la Chine.

Outre le rapport du GIEC dont on sait l’importance, au moins deux publications récentes montrent des chemins vers une sobriété acceptable, en analysant les aspects technologiques, économiques et sociétaux de cette transition.

Surtout, l’une et l’autre fournissent des clés pour un débat informé en rendant accessible à un large public des informations et des réflexions très pertinentes, que la plupart des experts spécialisés ne connaissent qu’en partie sans les intégrer dans une vision systémique.

Fixer des objectifs à 2035 et non 2050

Yves Bamberger, ancien directeur d’EDF, et Hans Püttgen, professeur honoraire de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, défendent comment sauvegarder notre niche écologique en misant sur les technologies existantes aujourd’hui et qu’il faut mettre en œuvre rapidement pour atteindre les objectifs de décroissance des émissions visés pour 2035.

Ne parler que de 2050 serait dangereux, car tous les responsables court-termistes seraient tentés de laisser l’effort à leurs successeurs. Les auteurs montrent qu’une part proportionnée du chemin doit donc être faite pour 2035 et que sur un horizon aussi court, les technologies à encourager sont déjà connues.

Leur livre constitue une synthèse très pédagogique, expliquant de manière objective et nuancée nos usages de l’énergie et nos besoins prévisibles, les façons dont nous la produisons et l’amenons à ses utilisateurs.

Pour fixer les idées, ils analysent la consommation actuelle et future plausible (en 2035) de quatre familles de Lille, Atlanta, Beijing et Djoum (Cameroun), ainsi que les choix volontaristes d’un pays imaginaire, Énergia, pour engager la transition énergétique et être au rendez-vous des objectifs de 2035.

Tous les éléments du livre permettent au lecteur d’envisager et d’évaluer divers scénarios, en fonction notamment du mix énergétique qu’il juge souhaitable, mais en s’assurant de la viabilité de ceux-ci (c’est-à-dire de la disponibilité effective des ressources et notamment de l’électricité ou d’autres vecteurs énergétiques, au moment où elles sont nécessaires).

Vers une « économie humano-centrée »

Le sociologue et ingénieur Pierre Veltz montre quant à lui comment construire le récit d’une économie désirable, en réfléchissant sur ce qui doit être produit pour proposer à tous des emplois, tout en diminuant notre empreinte.

Nous devons pour cela promouvoir une sobriété à la fois des usages (pour limiter l’effet rebond) et de la conception (un « techno-discernement » limitant la profondeur technologique croissante de nos moindres consommations, c’est-à-dire la complexité des chaînes de production qu’elles mobilisent).

Il analyse comment une économie qu’il qualifie d’« humano-centrée » permet de profiter des gains de productivité sur les dépenses courantes (hors logement) pour dépenser plus pour la santé, le bien-être, l’alimentation « qualitative », le divertissement, la sécurité, la mobilité et l’éducation.

Il faut pour cela qu’un État pilote, s’appuyant sur des initiatives locales et les stimulant, facilite la création d’une infrastructure collective (notamment pour l’accès à la santé, à l’éducation, à une mobilité à faible empreinte) et fournisse une grande masse d’emplois de tous niveaux d’accessibilité.

Deux ouvrages pédagogiques et profonds, écrits pour ceux qui ne veulent ni faire confiance aux experts institués ni accepter une simplification excessive du débat. Un service rendu à la délibération démocratique et surtout à un engagement indispensable et urgent dans la mutation énergétique.

©The Conversation

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