Incendies et réchauffement, cocktail fatal aux forêts boliviennes

Un feu de forêt dans le parc naturel de San Matias, le 20 août 2021 dans l'est de la Bolivie © AFP/Archives AIZAR RALDES

Santo Corazón (Bolivie) (AFP) – Sur la route qui traverse le Parc naturel de San Matias, dans l’est de la Bolivie, le paysage n’est que désolation. Les milliers d’hectares de forêts, savanes tropicales et zones humides ne sont plus qu’une plaine de cendres et d’arbres calcinés.

« Le feu est arrivé par ces bosquets, jusque-là, tout près », raconte Antonio Tacuchava, qui n’en revient toujours pas d’avoir vu en septembre les flammes arriver à moins d’un kilomètre de sa maison du village de la Candelaria, situé à l’entrée du Parc.

« Une étincelle, dans ces maisons, c’est une allumette », souligne cet ancien agriculteur de 76 ans, en montrant son habitation en paille et pisé.

La sécheresse est devenue préoccupante dans cette « Zone naturelle de gestion intégrée » de 30.000 km2 — la surface de la Belgique — qui autorise l’élevage, une petite agriculture vivrière et des mines de quartz au sein de l’espace protégé.

Elle se fait aussi durement sentir à Santo Corazon, à 200 kilomètres à l’intérieur du parc.

Le retard des pluies « nous a beaucoup affectés », se lamente Jorge Suarez, le chef du village. « Le pire c’est pour les animaux qui sont habitués à vivre dans les bois », ajoute l’homme de 54 ans.

Dalcy Cabrera ouvre un robinet dans sa maison, mais rien ne coule. « En période de sécheresse, l’eau n’arrive pas », explique cette femme au foyer de 36 ans.

C’est un cercle vicieux : l’absence de végétation provoquée par les incendies, couplée aux effets du réchauffement climatique, entraîne une augmentation de la chaleur et un raccourcissement de la saison des pluies, une sécheresse qui favorise à son tour les feux.

Incendies volontaires

La Bolivie, qui abrite une des plus riches biodiversité du monde, occupe la troisième place des pays ayant le plus perdu de forêts primaires en 2020, derrière le Brésil et la République démocratique du Congo, selon l’ONG Global Forest Watch. Le pays sud-américain dépasse désormais l’Indonésie.

Depuis début 2021, 34.000 km2 sont déjà partis en fumée, après plus de 50.000 km2 en 2020 et autant en 2019. La région de Santa Cruz (est), grenier du pays, est la plus touchée.

Personne n’est dupe sur l’origine volontaire de ces incendies afin de défricher des zones forestières pour les transformer en terres agricoles, ou de préparer la terre avant les semences.

Cette pratique de brûlis, connue en Bolivie sous le nom de « chaqueo », est légale une fois la saison des pluies terminée, en mai et juin. Mais ceux qui ne respectent pas les délais ou la surface de 20 ha autorisée risquent peu. Et les feux deviennent vite incontrôlables.

Sous la présidence du dirigeant de gauche Evo Morales (2006-2019) de nouvelles lois ont encouragé ces pratiques pour étendre les zones agricoles au nom de la « sécurité alimentaire ».

Mais « cela peut prendre des décennies pour que (la nature) se remette de ces incendies », alerte le biologise Juan Carlos Catari. « Certains endroits ont perdu plus de la moitié de leur flore » et « ce n’est pas parce que la végétation reverdit à l’arrivée des premières pluies que (la forêt) s’est rétablie ».

Dès 2009, une étude du ministère de l’Environnement tirait déjà la sonnette d’alarme : « à ce rythme de déforestation, les forêts boliviennes auront disparu en 2100 ».

« Mort massive »

En s’enfonçant dans le parc, la route dévoile un sol craquelé sous des milliers de palmiers calcinés.

« En plus de tuer le tronc, le feu tue les propriétés du sol », déplore la biologiste Carla Ramirez, du Service national des aires protégées (Sernap).

Quelques « tajibo », arbres emblématiques du pays, ont survécu et leurs fleurs apportent quelques touches de couleur dans la grisaille. Il y a aussi l’ara hyacinthe (Anodorhynchus hyacinthinus) au plumage bleu cobalt, emblème de la faune de San Matias.

Selon les organisations internationales, il ne reste plus que 4.300 spécimens de cet oiseau endémique de la région classé comme « vulnérable » sur la liste rouge des espèces menacées par l’Union internationale de la conservation de la nature (UICN).

Le parc de San Matias abrite environ 300 individus et « le feu affecte la reproduction de l’espèce », explique le biologiste Mauricio Herrera. Les oiseaux n’ont plus où nicher et ne peuvent plus se nourrir des fruits de palmiers.

Plus loin, des lézards assoiffés languissent autour d’un étang. Ne pouvant pas se déplacer aussi rapidement que les grands animaux, « les lézards et les serpents sont pris au piège et intoxiqués par la fumée », explique M. Catari.

Les caïmans, eux, ont pu échapper aux flammes en se réfugiant dans les marais. Mais les biologistes soulignent que leur survie n’est pas assurée face à la sécheresse qui met à mal les zones humides.

A cela s’ajoute les cendres qui s’accumulent et tuent les poissons et les crustacés qui servent d’aliments aux lézards. « La conséquence probable c’est une mort massive » des lézards, souligne Félix Rivas, vétérinaire au sanctuaire animal Senda Verde, qui soigne les animaux du Parc.

© AFP

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