Limiter l’artificialisation des sols pour éviter une dette écologique se chiffrant en dizaines de milliards d’euros


FR472 Voitures neuves sur le parking de l'usine Renault à Flins, Yvelines Yann Arthus-Bertrand

L’artificialisation des habitats naturels représente la première cause de destruction de la biodiversité ; lutter contre ce phénomène constitue aujourd’hui un enjeu d’adaptation face aux effets du réchauffement climatique.

La loi Climat et résilience présente dans son article 191 l’ambition française en matière de lutte contre cette artificialisation destructrice :

« Afin d’atteindre l’objectif national d’absence de toute artificialisation nette des sols en 2050, le rythme de l’artificialisation des sols dans les dix années suivant la promulgation de la présente loi doit être tel que, sur cette période, la consommation totale d’espace observée à l’échelle nationale soit inférieure à la moitié de celle observée sur les dix années précédant cette date. Ces objectifs sont appliqués de manière différenciée et territorialisée, dans les conditions fixées par la loi. »

Au regard de cet objectif ambitieux, il semble opportun d’évaluer les conditions de sa réalisation et les efforts économiques qui y sont associés ; et, si ces efforts ne sont pas consentis en pratique, quel niveau de dette écologique cela peut générer.

Nous allons d’abord estimer le montant des dépenses qu’il aurait été nécessaire d’engager pour l’année 2019, si l’objectif d’absence d’artificialisation nette avait été visé – en considérant que ce montant correspond au coût de la renaturation de surfaces équivalentes à celles qui ont été artificialisées sur la même période.

Avec la même méthode, nous évaluerons ensuite les investissements nécessaires au regard de l’objectif intermédiaire fixé pour les dix prochaines années – si nous poursuivons un scénario tendanciel d’artificialisation des sols similaire à celui que nous observons aujourd’hui.

Qu’est-ce que l’artificialisation ?

L’artificialisation désignait jusqu’à il y a peu la perte d’un espace naturel agricole ou forestier au profit d’un sol bâti ou fortement modelé par les activités humaines.

La récente loi Climat et résilience la définit plus largement par la perte de fonctions écologiques d’un sol. L’artificialisation dite « nette » correspond à la surface artificialisée retranchée des surfaces renaturées.

Nous faisons l’hypothèse qu’atteindre l’absence d’artificialisation nette, d’un point de vue écologique, sous-entend de compenser l’ensemble des nouvelles surfaces artificialisées par la renaturation équivalente de sols précédemment artificialisés ; par exemple, dans des zones d’activités ou d’habitations devenues vacantes ou des parkings surdimensionnés.

Or ces actions de restauration des sols sont extrêmement coûteuses ; renaturer un sol artificialisé nécessite de déconstruire, de dépolluer, de désimperméabiliser, puis de végétaliser et de suivre l’état environnemental du site.

 

Combien coûte la renaturation d’un sol ?

France Stratégie montre que la renaturation d’un sol artificialisé coûte de 95 à 390 euros le m2, selon son degré d’altération.

Nous nous appuierons sur cette fourchette de coûts pour calculer le différentiel qui existe entre les dépenses effectivement consenties en la matière sur cette année de référence et les dépenses qui auraient dû être consenties pour viser une absence d’artificialisation nette (sans inclure ni les coûts de l’acquisition foncière ni les coûts de déconstruction).

Nous mesurons l’artificialisation grâce aux données communales sur la période 2009-2019. En 2019, 235 km2 supplémentaires ont été artificialisés au niveau national (métropolitain et DROM).

Calculer notre déficit écologique

À combien s’élève alors le déficit écologique dû à l’artificialisation des sols en France en 2019 ?

Nous considérons que le respect de l’objectif d’absence d’artificialisation nette sous-entend que l’ensemble de la surface artificialisée devrait ou devra être compensée. Pour simplifier, nous admettons que la surface servant à la compensation est équivalente à la surface artificialisée, donc que la qualité écologique des surfaces renaturées est similaire à celle des espaces nouvellement artificialisés.

Les investissements nécessaires à une renaturation équivalente de 235 km2 représentent au minimum 22,4 milliards et, selon les terrains disponibles pour la compensation écologique, admettent une budgétisation jusqu’à 91,8 milliards d’euros.

En appliquant la même méthode, mais en lissant le flux d’artificialisation sur la décennie 2009-2019, nous arrivons à des montants comparables (26,3 milliards en fourchette basse, 107,8 milliards en fourchette haute par an), mais plus élevés, signifiant que l’artificialisation en 2019 a été moins importante que l’artificialisation moyenne sur la décennie.

Artificialisation du territoire & biodiversité en Île-de-France (IddriTV, 2017).

Peut-on compter sur la compensation écologique ?

L’absence d’artificialisation nette semble être un objectif trop ambitieux pour être appliqué immédiatement ; l’article 191 de la loi Climat et résilience prévoit donc « simplement » que le rythme de l’artificialisation des sols dans les dix prochaines années ne dépasse pas la moitié de la consommation d’espace observée dans les dix dernières.

Pour mettre en perspective les montants qui vont devoir être mobilisés pour respecter cet objectif, nous considérons que l’artificialisation qui sera observée dans les 10 prochaines années correspond à la moyenne de celle observée entre 2009 et 2019 – soit 276,38 km2 par an.

Nous soustrayons ensuite cette moyenne du montant de surface qu’il est autorisé d’artificialiser sur la même période selon l’article 47 (soit 1381,9 km2), de manière à calculer le niveau de dette écologique cumulée si rien n’est fait.

En partant de l’hypothèse que la loi ne pourra être respectée que par un recours massif à la compensation écologique, la conclusion est rapide : si nous ne changeons pas radicalement la façon dont nous envisageons l’aménagement du territoire, la renaturation des sols nécessaire au respect de l’objectif mentionné dans la loi Climat et résilience engendrera des coûts situés entre 154 milliards et 632 milliards d’euros pour les 10 ans à venir.

En fourchette basse, une dépense de 154 milliards d’euros sur dix ans correspond au chiffre d’affaires annuel du secteur du bâtiment en France.

Une dette qui risque de s’accumuler

Ces coûts prohibitifs, qui sont par ailleurs sous-estimés du fait d’hypothèses simplificatrices concernant l’équivalence écologique et de la non-prise en compte des coûts de l’acquisition foncière, doivent éclairer d’un nouveau jour les arbitrages qui sont aujourd’hui réalisés entre coût de construction sur un espace naturel ou semi-naturel et coûts de recyclage des sols ou de requalification urbaine.

Il est permis de douter de la viabilité économique d’un recours à la compensation exigeant une véritable équivalence écologique et toute compensation au rabais n’est pas une réponse envisageable à la perte d’un espace naturel ou semi-naturel au regard de l’effondrement de la biodiversité que nous observons.

Un objectif d’absence d’artificialisation nette n’est viable que s’il repose principalement sur la réduction de l’artificialisation brute et non sur la compensation des surfaces nouvellement artificialisées, cette dernière devant intervenir en dernier recours.

Ceci nécessite une anticipation et une adaptation des politiques d’aménagement. Sans cela, le déficit écologique de la France et la dette écologique à solder ne feront que s’accumuler dans les années à venir.

Il faut ainsi appeler à une considération écologiquement plus ambitieuse que celle de France Stratégie dans son rapport de 2019. Cela suppose d’améliorer la connaissance sur les terrains disponibles à la compensation. L’imaginaire autour de la « neutralité écologique » permise par la compensation, qui suppose possible l’échange d’unités écologiques qui auraient une valeur équivalente, pose aujourd’hui question.The Conversation

Morgane Gonon, Chaire comptabilité écologique AgroParisTech, CIRED, Université Paris Dauphine – PSL; Clement Surun, Ph.D. Student, AgroParisTech – Université Paris-Saclay et Harold Levrel, Professeur, économie de l’environnement, AgroParisTech – Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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