La liste des espèces d’insectes herbivores associées au chêne était déjà longue ; elle s’est récemment allongée. La nouvelle venue est une petite punaise de la famille des Tingidae. Son nom : Corythucha arcuata, plus communément appelée la punaise réticulée du chêne, ou le tigre du chêne.
Est-ce une bonne nouvelle pour la biodiversité ? Pas vraiment, la nouvelle venue ayant tout pour devenir une espèce exotique envahissante.
Mais que sait-on exactement de cet insecte et des dégâts qu’elle cause ?
Un minuscule insecte à collerette
Son « apparition » n’a pas fait beaucoup de bruit, en 2017, quand pour la première fois la présence d’une espèce d’insecte herbivore exotique a été documentée sur un chêne dans la région de Toulouse. Il s’agissait de notre punaise réticulée du chêne, (Corythucha arcuata). Aujourd’hui, son aire de distribution s’étend en France.
Corythucha arcuata est une petite punaise de 3-4 mm de long, reconnaissable à sa collerette qui rappelle la fraise qu’arbore Elisabeth I dans le portrait de l’Armada.
L’insecte lui-même passe souvent inaperçu. Ces dégâts, eux, attirent immédiatement l’œil ! les feuilles attaquées virent au jaune, parfois dès le mois de juillet. La décoloration peut être spectaculaire, surtout quand l’espèce végétale hôte – celle sur laquelle l’insecte peut s’alimenter – se trouve à proximité d’une espèce non hôte et donc pas attaquée.
Les décolorations provoquées s’expliquent par le mode d’alimentation des nymphes et des adultes. Corythucha arcuata est un insecte qu’on qualifie de « piqueur-suceur » : ses pièces buccales consistent en un stylet servant à percer le contenu des cellules des feuilles avant de l’aspirer le contenu.
Une espèce exotique envahissante
En Europe, C. arcuata est une espèce exotique : elle a été introduite accidentellement en Italie, en 2000, depuis l’Amérique du Nord. Son aire de distribution s’est ensuite étendue à la Turquie, l’Europe de l’Est, les Balkans. En 2017, elle était signalée, on l’a vu plus haut, dans la région de Toulouse ; en 2018, à Bordeaux. Il s’agit d’une espèce envahissante, aux effets préoccupants.
Comme son nom l’indique, la punaise réticulée du chêne s’attaque essentiellement aux chênes, même si elle a été signalée sur d’autres espèces d’arbres (châtaigner, érable, noisetier) ou de buissons (ronce).
Parmi les chênes, ce sont les chênes européens qui sont les plus touchés – notamment le chêne pédonculé (Quercus robur), le chêne sessile (Q. petraea) et le chêne chevelu (Q. cerris).
En Europe, les chênes nord-américains – comme le chêne rouge (Q. rubra) ou le chêne des marais (Q. palustris) – ne semblent pas être attaqués, ou très exceptionnellement.
Les capacités photosynthétiques attaquées
Dans son aire native, C. arcuata ne cause pas de dégâts majeurs sur les arbres, de sorte que l’on connaît encore très peu de choses sur sa biologie. C’est un problème récurrent avec les invasions biologiques : souvent, on ne commence à s’intéresser à une espèce que quand elle pose déjà des problèmes.
Des travaux sont en cours dans plusieurs laboratoires de recherche en Europe pour en apprendre plus. Voilà ce que l’on sait, et ce que l’on suspecte aujourd’hui.
Les décolorations causées par l’alimentation des nymphes et des adultes peuvent réduire de près de 60 % les capacités photosynthétiques des feuilles attaquées. Or, la photosynthèse est le point d’entrée de l’énergie et du carbone dans l’arbre, ce qui lui permet d’assurer sa croissance, son entretien, et sa défense contre les stress et les agressions.
Bien que la majeure partie de la croissance des chênes s’effectue au printemps – avant que les décolorations ne soient trop importantes –, il serait surprenant que des décolorations massives n’aient pas de conséquences sur la croissance des chênes, surtout si les attaques de C. arcuata sont concomitantes d’autres stress comme la sécheresse.
Une régulation sporadique
Une des clés du succès des insectes ravageurs exotiques, c’est qu’ils voyagent souvent seuls, sans leurs ennemis naturels. Dans leur aire d’introduction, seuls les prédateurs et parasites généralistes peuvent réduire les niveaux de population des ravageurs exotiques.
Des observations confirment que plusieurs espèces de coccinelles, de chrysopes ou encore d’araignées peuvent s’alimenter sur la punaise réticulée du chêne, mais seulement de manière sporadique.
Actuellement, C. arcuata est essentiellement présente dans le sud de l’Europe. On pourrait soupçonner que son expansion vers le nord serait limitée par le froid.
Des travaux récents ont malheureusement montré que ce n’est pas le cas : les nymphes et les adultes qui passent l’hiver dans la mousse au pied des arbres ou les anfractuosités de l’écorce résistent à plusieurs jours de gel consécutif.
Pour attirer davantage l’attention et lancer l’alerte, ajoutons un dernier élément : comme son cousin le tigre du platane (Corythucha ciliata), C. arcuata pique occasionnellement l’homme. Rien d’insoutenable, mais c’est désagréable.
Agir très tôt
Les insectes ravageurs exotiques envahissants sont une grave menace pour la santé des forêts.
À l’automne 2019, la Croatie, la Hongrie, la Roumanie, la Serbie et la partie européenne de la Russie totalisaient plus de 1,7 million d’hectares de chênes touchés. C’est presque deux fois la surface de la forêt des Landes de Gascogne.
Une grande partie de la forêt européenne est aussi menacée : les deux principales espèces de chênes couvrent en effet une surface allant du nord de l’Espagne au sud de la Suède, et de l’Irlande à la Russie.
Il est très probable que la dispersion longue distance de C. arcuata se fasse grâce au transport des troncs d’arbre, lequel doit être surveillé puisqu’à ce jour, il n’existe pas de méthode de lutte qui soit applicable à l’échelle d’un massif forestier.
Une étude récente suggère que les champignons entomopathogènes (parasites des insectes) du genre Beauveria infectent et tuent C. arcuata mais leur potentiel de biocontrôle dans des conditions naturelles doit encore être étudié.
L’exemple de la punaise réticulée du chêne nous rappelle qu’il est crucial de pouvoir repérer les introductions d’insectes exotiques très tôt, avant qu’ils ne se propagent et deviennent envahissants. Des outils de signalement existent, comme l’application Silvalert, mais ils ne sont utiles que si l’on est prêts à les utiliser. Soyons vigilants !
Bastien Castagneyrol, Chercheur en écologie, Inrae et Alex Stemmelen, Doctorant en écologie, Inrae
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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