Le Japon va rejeter de l’eau de Fukushima à la mer après traitement

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Des cuves de stockage d'eau contaminée à la centrale de Fukushima, le 21 février 2021 © AFP/Archives Philip FONG

Tokyo (AFP) – Le Japon va rejeter à la mer, après traitement, plus d’un million de tonnes d’eau issue de la centrale nucléaire accidentée de Fukushima, a annoncé mardi le gouvernement nippon, malgré l’opposition dans des pays voisins, dont la Chine, et des communautés locales de pêcheurs.

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Cette décision met fin à sept années de débats sur la manière de se débarrasser de l’eau provenant de la pluie, des nappes souterraines ou des injections nécessaires pour refroidir les cœurs des réacteurs nucléaires entrés en fusion après le gigantesque tsunami du 11 mars 2011.

Environ 1,25 million de tonnes d’eau contaminée sont actuellement stockées dans plus d’un millier de citernes près de la centrale accidentée il y a dix ans dans le nord-est du Japon.

L’eau sera rejetée « après nous être assurés qu’elle est à un niveau (de substances radioactives, NDLR) nettement en-dessous des normes de sécurité », a déclaré mardi le Premier ministre Yoshihide Suga, ajoutant que le gouvernement japonais prendrait « des mesures » pour empêcher que cela n’entache la réputation de la région.

Une décision était d’autant plus urgente que l’eau s’accumule rapidement: en 2020, le site a généré chaque jour environ 140 mètres cube d’eau contaminée. Les limites de la capacité de stockage sur place pourraient être atteintes dès l’automne 2022, selon Tepco, l’opérateur de la centrale.

L’eau destinée à être relâchée dans cette opération, qui ne devrait pas commencer avant deux ans et pourrait prendre des décennies, a été filtrée à plusieurs reprises pour être débarrassée de la plupart de ses substances radioactives (radionucléides), mais pas du tritium, lequel ne peut pas être éliminé avec les techniques actuelles.

Vive opposition

Cette option, privilégiée au détriment d’autres scénarios, comme une évaporation dans l’air ou un stockage durable, est très contestée par les pêcheurs et agriculteurs de Fukushima qui redoutent que cela n’affecte davantage l’image de leurs produits auprès des consommateurs.

« La gestion de l’eau contaminée est une question qu’on ne peut pas éviter » dans la reconstruction à Fukushima, avait déclaré M. Suga la semaine dernière après sa rencontre avec le dirigeant de la Fédération des coopératives de pêche du Japon, vent debout contre le projet.

Le gouvernement « nous a dit qu’il ne rejetterait pas l’eau (à la mer, NDLR) sans l’adhésion des pêcheurs », a déclaré mardi Kanji Tachiya, responsable d’une coopérative locale de pêche à Fukushima, juste avant l’annonce de la décision.

« Maintenant, ils reviennent là-dessus et nous disent qu’ils vont rejeter l’eau, c’est incompréhensible », a-t-il ajouté.

« Le gouvernement japonais a une fois de plus laissé tomber les gens de Fukushima », a réagi mardi Greenpeace, fustigeant une « décision complètement injustifiée de contaminer délibérément l’océan Pacifique avec des résidus nucléaires ».

L’organisation environnementale a répété son appel à poursuivre le stockage de l’eau jusqu’à ce que la technologie permette de la décontaminer complètement.

Soutien américain

Début 2020, des experts commissionnés par le gouvernement avaient recommandé le rejet en mer, une pratique déjà existante au Japon et à l’étranger sur des installations nucléaires en activité.

« Il y a un consensus parmi les scientifiques sur le fait que l’impact sur la santé (d’un rejet en mer de l’eau tritiée, NDLR) est minuscule », a déclaré à l’AFP Michiaki Kai, professeur et expert des risques des radiations à l’université des sciences de la santé d’Oita (sud-ouest du Japon).

L’agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) plaide aussi pour l’option d’une dilution en mer.

« Nous prenons la décision (du gouvernement) au sérieux », a déclaré mardi Tomoaki Kobayakawa, le patron de Tepco, s’engageant à prendre « des mesures pour empêcher que des rumeurs néfastes ne circulent » à l’encontre de l’agriculture, des forêts, de la pêche et du tourisme locaux.

Les voisins du Japon, avec qui Tokyo entretient des relations houleuses sur fond de contentieux historiques, ont manifesté leur mécontentement.

La Chine a qualifié mardi « d’extrêmement irresponsable » l’approche du Japon qui « va gravement nuire à la santé et à la sûreté publiques dans le monde, ainsi qu’aux intérêts vitaux des pays voisins ».

La Corée du Sud a exprimé de « vifs regrets » après cette décision qui représente « un risque pour l’environnement maritime ».

Le gouvernement américain, allié de Tokyo, a cependant exprimé son soutien à l’opération, notant que le Japon avait « pesé les options et les effets, avait été transparent dans sa décision et sembl(ait) avoir adopté une approche en accord avec les normes de sûreté nucléaire internationalement reconnues ».

© AFP

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7 commentaires

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    • Jean Grossmann

    Comment la Chine pourrait-elle reprocher au Japon de vouloir rejeter à la mer, après traitement un million de tonnes d’eau issue de la centrale nucléaire accidentée de Fukushima?

    Ceci alors qu’il s’agit d’un rejet d’eau ponctuel exceptionnel qui ne reorésente en volume que sensiblement 0.0000000000002 % du volume de l’eau salée des océans égal à environ 1400 millions de km3

    Reste à espérer que la Chine qui brûle annuellement 4 milliards de tonnes de charbon en rejetant dans l’atmosphère que nous respirons des poussières, du dioxyde de carbone et des sulfures va proposer d’aider son voisin à faire en sorte que les conditions du rejet soit acceotables lors de la conférence à distance qui va se tenir sur la toile avec les USA en présence de l’Europe dans une dizaine de jours

    Vu qu’elle a signé les accords de Paris sur le climat ce serait pour elle une occasion d’aider son voisin et de prouver qu’elle fait de son mieux en ce qui concerne la pollution de la planète à défaut de prendre en compte ce qui relève du réchauffement climatique et des gaz à effet de serre

    • Henri DIDELLE

    – L’océan mondial est 1 milliard de fois plus grand que le volume rejeté.
    – par conte l’océan mondial va mettre environ 1000 ans pour se renouveler.
    Qui va être le plus fort ?

    • ANNE-MARIE WISNIEWSKI

    Les pays asiatiques ont décidé de pourrir la planète : après le covid, la pollution et personne ne bouge ?

    • Roger Kantin

    Les concentrations sont faibles mais les volumes énormes et échelonnés dans le temps. 860 térabecquerels sur 20 ans . On n’a pas d’information sur les autres teneurs en radionucléides comme le strontium 90 ou le césium 137. Quelles quantités de matières au total ? A voir aussi, en plus de la dilution, la concentration dans les organismes (plancton, poissons, coquillages filtreurs…) et leur impact potentiel à moyen terme. Et aussi pour le consommateur, la profession (conchyliculture, pêche..)
    Un T zéro est indispensable avant tour rejet, mais je suppose que les labos de recherche japonais s’y sont attelés. Il faut être vigilant sur les informations qui sont transmises pout éviter tout dérapage..

    • Roger Kantin

    D’après Bruno Chareyron, directeur de la CRIIRAD, le rejet n’est pas acceptable car il y a une « banalisation généralisée de la pollution chronique ». D’après lui, les eaux de refroidissement sont incorrectement traitées (72%) et il y a en plus du tritium, du carbone 14, du strontium 90, du ruthenium 106, iode 129…pour un volume de rejet de 1,24 millions de mètres cubes. A suivre sur leur site.

    • dany voltzenlogel

    Même si le volume des ces déchets est ridicule par rapport à celui de l’océan, quelle est le taux de concentration de ces rejets sur les lieux même ? À quelle vitesse de dilution ?
    Sachant que la densité de chaque type d’eau, de sa remperature, ne facilite pas la dilution.. Rien qu’en prenant exemple sur les courants marins, eaux chaude/froide, salinité/douceur… Les océans sont composés de fleuves de différentes eaux, et ceux-ci ne se melangent jamais.
    Donc, l’eau de rejet ne sera pas diluée dans l’ocean, mais uniquement dans un seul de ses fleuves.
    Donc, raisonner en terme d’océan est une énorme erreur.

    • Roger Kantin

    Il y a d’une part la dilution et d’autre part la bioaccumulation, la bioconcentration, la bioamplification dans la chaine alimentaire. Ci-dessous, copié sur le site de l’IRSN :
    Les radionucléides sont dispersés par les courants. Ils se fixent sur les particules en suspension dans l’eau qui décantent peu à peu vers le fond et sont stockés dans les sédiments, dont la radioactivité peut être de 100 à 10 millions de fois plus élevée que celle de l’eau de mer. Les organismes marins peuvent, par des mécanismes physiologiques comme la filtration d’eau, accumuler certains radionucléides avec un facteur de concentration de 5 à 100 000 par rapport à l’eau de mer. Les bioindicateurs utilisés sont, par exemple, l’algue du genre fucus, l’huître, la moule, la coquille Saint-Jacques, le crabe ou le homard.