Transition verte à tâtons pour la Bulgarie accro au charbon


La centrale à charbon de Bobov Dol, le 25 mars 2021 à Golemo Selo, en Bulgarie © AFP Nikolay DOYCHINOV

Golemo Selo (Bulgarie) (AFP) – Avec ses cheminées crachant une abondante fumée, la centrale à charbon bulgare de Bobov Dol symbolise l’industrie polluante que l’Europe voudrait faire disparaître, quitte à sous-estimer les freins locaux à la transition écologique.

Ce pays, le plus pauvre de l’Union européenne (UE), s’apprête à recevoir de Bruxelles sur les prochaines années une manne verte d’environ 10 milliards d’euros, soulevant la crainte que cet argent ne vienne nourrir une corruption endémique, enjeu des élections législatives de dimanche.

850 employés, une capacité totale de 630 mégawatts électriques: dans le village de Golemo Selo, à une soixantaine de kms au sud-ouest de Sofia, on est fier de fournir 4% de l’énergie de la Bulgarie.

Entrée dans l’UE en 2007, cette dernière peine à respecter ses engagements environnementaux et reste « accro » au charbon, qui lui assure jusqu’à 60% d’électricité en hiver.

Au total, le pays émet selon les chiffres officiels 4,3 fois plus de gaz à effet de serre que la moyenne européenne par unité de PIB.

« L’UE voudrait qu’on cesse de fonctionner d’ici à 2030 », explique le directeur du site en faisant visiter à l’AFP les installations, dont la construction remonte aux années 1970.

« On a l’option de passer au gaz naturel », détaille Lyubomir Spassov, « inquiet » pour l’emploi, déjà rare dans la région. Il évoque également la production d’hydrogène grâce à un parc solaire.

‘Au 21e siècle?’

Il y a urgence selon Desislava Mikova, responsable locale de Greenpeace, car « des rejets d’eaux usées » contenant une série de métaux et produits chimiques ont été constatés « dans l’affluent d’une proche rivière ».

Un riverain, qui tient à conserver l’anonymat par peur des représailles, témoigne des nuisances quotidiennes pour les habitants de ces régions dépendantes du charbon.

« Même si je l’ai lavée la veille, je retrouve ma voiture toute sale chaque matin. On est au 21e siècle? », lance-t-il.

Un sondage de l’institut Alpha Research, publié début mars, a démontré la soif d’évolution des Bulgares, qui sont 64% à réclamer la fermeture de centrales jugées obsolètes.

A la veille des élections, les trois quarts d’entre eux disent pourtant ignorer la position sur le sujet de leur classe politique.

Le pays a « pris du retard » dans la transition énergétique, ses élus ayant « peur de s’engager » sur un thème aussi crucial, souligne la chercheuse Maria Trifonova, de l’université de Sofia.

Car les sommes ont de quoi impressionner. Ruslan Stefanov, expert du groupe de réflexion Centre d’étude de la démocratie (CSD), a fait ses calculs: « c’est sûrement la plus grosse enveloppe qu’il ait jamais touchée de son histoire », dit-il, enthousiaste.

Corruption et dépendance

Et comme le rappelle l’économiste Lachezar Bogdanov, le versement des fonds européens est conditionné à la mise en place de réformes pour moderniser le pays.

« Or cela fait quatre mois qu’on discute et pour l’instant la Bulgarie n’a fait aucune proposition », déplore-t-il.

Si le prochain gouvernement ne s’attelle pas tout de suite à la tâche, la grande majorité des dépenses ne seront pas engagées avant 2024, selon lui.

Au-delà du calendrier, ce qui inquiète vraiment Hristo Ivanov, leader du parti « Da, Bulgaria! », c’est le risque de détournement massif par les oligarques.

Principal bénéficiaire de cet argent, le secteur des infrastructures est aussi celui « qui souffre le plus de ce mal », affirme ce pourfendeur des appels d’offres truqués, qui se présente aux législatives.

L’an passé, un rapport du gouvernement américain a établi que la Bulgarie, classée dernière des 27 selon l’ONG Transparency International, souffrait d’une « corruption structurelle », rappelle cet ancien ministre de la Justice.

Autre problème pointé par l’ex-ambassadeur à Moscou Ilian Vassiliev: l’argent de l’Europe risque d’amplifier la dépendance au gaz russe, alors que le charbon, lui, est au moins extrait des sous-sols bulgares.

« Ceux qui ont la main sur les fonds vont amplifier les projets communs avec la Russie », anticipe ce spécialiste.

Quoi qu’il en soit, Maria Trifonova rappelle que les ouvriers de Bobov Dol ont besoin de perspectives d’avenir: le statu quo n’est plus possible.

« Le débat public porte sur les risques », mais « il ne faut pas oublier » que le pacte vert de l’Europe, c’est « d’abord une chance de développement », estime-t-elle.

© AFP

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