Birmanie : l’industrie du jade, toujours aussi opaque et dangereuse malgré les promesses

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Les corps de mineurs victimes d'un glissement de terrain, le 4 juillet 2020 près de Hpakant dans l’État de Kachin. © AFP/Archives Ye Aung THU

Hpakant (Birmanie) (AFP) – Glissements de terrain meurtriers, mineurs surexploités, catastrophe écologique : en Birmanie, le parti d’Aung San Suu Kyi n’a pas réussi à réglementer l’opaque et dangereuse industrie du jade, et des ONG tirent la sonnette d’alarme à l’approche des élections.

« Il faut mettre d’urgence un terme à l’exploitation minière à grande échelle », affirme jeudi à l’AFP l’organisation Global Witness. Le scrutin, qui doit se tenir le 8 novembre, est une opportunité de « faire table rase » du passé.

Autrefois terre de jungles luxuriantes, la région de Hpakant (nord) a pris des allures de paysage lunaire, défigurée par les cratères, les falaises dénudées et un labyrinthe de pistes en terre creusées au milieu des mines de jade à ciel ouvert.

Peu après son arrivée au pouvoir, en 2016, la Ligue nationale pour la démocratie, le parti d’Aung San Suu Kyi, a tenté de limiter cette ruée incontrôlée.

Les autorités du pays, premier producteur mondial de jade, n’ont plus accordé de nouvelles licences pendant deux ans, le temps d’adopter une loi sur les pierres précieuses.

Mais ce texte est trop vague et parcellaire d’après ses détracteurs et l’exploitation anarchique « semble s’être poursuivie sans relâche ces dernières années », note Global Witness.

A côté de l’extraction industrielle opérée par les sociétés minières de manière souvent illicite et désordonnée, une autre pratique plus artisanale s’est développée sous le contrôle d’organisations mafieuses : quelque 400.000 clandestins opèrent sur des sites fermés par les compagnies et laissés sans surveillance.

Drogue

Dans les deux cas, les mineurs travaillent dans des conditions extrêmement précaires et dangereuses avec des glissements de terrain fréquents pendant la saison des pluies.

Le 2 juillet, près de 300 ont été engloutis par des coulées de boue, la pire catastrophe minière enregistrée dans le pays.

« Je ne sais pas vraiment qui tire les ficelles » de cette industrie, mais « je suis terrifié », raconte Sai Ko, un des rares rescapés. Le jeune homme de 22 ans, dont les deux amis sont morts, a regagné son village natal du centre de la Birmanie et souffre encore de fortes céphalées.

Pour supporter les conditions de travail épuisantes, plus de 80% des mineurs consomment de la drogue, héroïne ou méthamphétamine produites dans l’État Shan voisin, d’après Naung Latt de l’ONG Greenland.

Au drame humain s’ajoute une catastrophe écologique.

Déforestation, rivières polluées par les déchets miniers : la région de Hpakant est aujourd’hui « endommagée à 90% », relève Naung Latt. Faute d’une règlementation plus stricte, cet endroit sera « définitivement perdu », s’alarme-t-il.

30 milliards de dollars

Mais ce vide législatif bénéficie aux acteurs de ce juteux commerce qui génère plus de 30 milliards de dollars par an, près de la moitié du PIB du pays.

Une très faible partie de cette manne financière finit dans les caisses de l’État, la plupart du jade de qualité étant passé en contrebande en Chine où la demande pour la pierre verte, censée symboliser la prospérité, semble insatiable.

Ce commerce draine en revanche des fortunes pour les militaires qui contrôlent l’accès à la région de Hpakant depuis le début des années 90 et détiennent, avec d’anciens membres de la junte, de nombreuses concessions minières.

Nous opérons « conformément à la réglementation », assure le porte-parole de l’armée, le major général Zaw Min Tun, refusant de faire plus de commentaires.

Autre acteur incontournable, une faction rebelle, l’Armée de l’indépendance Kachin (KIA), en lutte depuis des décennies avec les militaires pour le contrôle des mines et des revenus qu’elles fournissent. L’organisation perçoit des « taxes » auprès des mineurs, reconnait Naw Bu, son porte-parole, sans apporter davantage de précisions.

Au final, tout le monde perçoit des pots-de-vins et le jade finance les nombreux conflits entre militaires et groupes ethniques dans la région et même au-delà.

Le gouvernement doit impérativement obliger « tous ces acteurs armés à ne plus prendre part dans ce commerce », relève Global Witness.

Pour l’ONG, la gestion des pierres précieuses doit être rapidement intégrée dans les discussions de paix menées entre l’État birman et certaines milices rebelles. Le jade ne doit plus être le nerf de la guerre.

©AFP

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