L’hydrogène sera vraiment révolutionnaire si il est produit à partir des renouvelables

champs de pétrole Etats-Unis

Champs de pétrole près de Bakersfield, Californie, Etats Unis. ©Yann Arthus-Bertrand

Christian de Perthuis, Université Paris Dauphine – PSL

De Jules Vernes à Jérémy Rifkin, nombreux ont été les visionnaires anticipant l’avènement d’une société de l’hydrogène. Écoutons l’ingénieur Cyrus Smith, personnage principal de L’Île mystérieuse (1875) :

« Oui, mes amis, je crois que l’eau sera un jour utilisée comme combustible, que l’hydrogène et l’oxygène qui la constituent fourniront une source de lumière et de chaleur inépuisables et d’une intensité que la houille ne saurait avoir. »

Longtemps considéré comme un mirage, l’hydrogène revient en force dans le débat énergétique. L’Union européenne a récemment publié sa stratégie hydrogène. Et, dans les trente milliards du plan de relance français fléchés sur l’écologie, les deux milliards alloués à l’hydrogène constituent un véritable bond en avant, multipliant par vingt l’argent public préalablement engagé dans ce secteur.

Serions-nous à la veille d’une révolution majeure grâce à ce gaz découvert en 1766 par le chimiste Cavendish, ensuite baptisé « hydrogène » par Lavoisier ?

Si l’hydrogène n’est pas le miracle du roman de Jules Verne, il peut en revanche constituer un vecteur accélérant la transition énergétique vers des sources renouvelables. À condition qu’on l’affranchisse de sa dépendance actuelle à l’égard des énergies fossiles.

L’hydrogène d’hier : un sous-produit des énergies fossiles

Représentant 75 % de la masse gazeuse du soleil, l’hydrogène est considéré comme l’élément le plus abondant de l’univers. Sur Terre, il est peu présent à l’état pur : très léger, il n’est en effet pas retenu par la gravitation et s’échappe de ses réservoirs naturels.

L’hydrogène est toutefois présent tout autour de nous, combiné à d’autres éléments. On le trouve ainsi dans chaque molécule d’eau. Associé au carbone, il est dans tous les végétaux et animaux. Les énergies fossiles, elles-mêmes issues de la décomposition de la matière vivante, ne font pas exception.

L’hydrogène peut être produit en le séparant de ces autres éléments.

D’après l’Agence internationale de l’énergie (AIE), on produit chaque année de l’ordre 70 Mt d’hydrogène pur. La grande majorité de cet hydrogène provient du traitement du gaz naturel (69 %) et du charbon (27 %). L’électrolyse de l’eau et d’autres voies fournissent le reste.

Depuis 1975, la production mondiale d’hydrogène a été multipliée par quatre (voir le graphique ci-dessous). Les deux principaux marchés ont été le raffinage du pétrole – où l’hydrogène permet de désulfurer et purifier les combustibles – et la production d’ammoniac, lui-même principalement destiné à la fabrication d’engrais.

Ce développement rapide n’a aucunement contribué à la décarbonation des économies.

En 2018, la production mondiale d’hydrogène a provoqué le rejet de 830 Mt de CO2 dans l’atmosphère (Source AIE), soit l’équivalent de 2,5 fois les émissions de CO2 de la France ou encore 25 % de plus que les rejets de la totalité des vols internationaux de l’année.

Tant que l’hydrogène reste un sous-produit des énergies fossiles, rouler à l’hydrogène ou l’utiliser pour produire de la chaleur permet de réduire les pollutions locales, mais pas d’abattre les rejets de CO2.

Le premier enjeu de la révolution de l’hydrogène consiste à basculer vers une production non carbonée.

Demain : hydrogène gris, hydrogène bleu ou hydrogène vert ?

« L’hydrogène gris » désigne celui obtenu directement à partir du gaz naturel ou du charbon. Par kg produit, il émet de l’ordre de 9 Kg de CO2 à partir du gaz et de 20 Kg à partir du charbon (voir le graphique ci-dessous). En Europe, la quasi-totalité de l’hydrogène est issue du gaz naturel.

Une première voie pour limiter son empreinte carbone consiste à coupler sa production à des installations de captage récupérant une partie du CO2 avant qu’il ne se dissipe dans l’atmosphère. On obtient alors de « l’hydrogène bleu », limitant les dégâts climatiques sans s’affranchir de la dépendance aux énergies fossiles.

Dans les conditions actuelles, l’hydrogène gris revient à environ 1,5 €/kg en Europe, soit un peu plus qu’aux États-Unis ou en Chine où gaz et charbon sont bon marché. Par ailleurs, les coûts de stockage et de transport sont limités par la proximité entre les sites de production et de consommation la plupart des installations actuelles étant situées dans des raffineries ou des complexes pétrochimiques.

Le coût des installations de capture et stockage de CO2 est de l’ordre de 1 €/kg. Autrement dit, avec un prix du CO2 de l’ordre de 100 €/tonne, il deviendrait rentable de systématiser ces installations en basculant de l’hydrogène gris vers l’hydrogène bleu. Avec à la clef, des gains potentiels d’émission de CO2 de l’ordre de 750 Mt (2 % des émissions mondiales de CO2).

Une autre voie pour produire l’hydrogène est celle de l’électrolyse qui utilise l’énergie électrique pour récupérer l’hydrogène présent dans l’eau. Si on utilise une électricité produite avec du gaz naturel ou du charbon, l’opération n’a pas d’intérêt pour le climat : on rejette par cette voie plus de CO2 qu’en séparant directement l’hydrogène du gaz ou du charbon.

En couplant un électrolyseur à une source décarbonée d’électricité, on obtient de « l’hydrogène vert », non-émetteur de CO2.

L’opération est particulièrement intéressante, lorsqu’on dispose d’importantes capacités de production éolienne ou solaire dont le coût unitaire à la production est devenu compétitif, tant face aux filières fossiles que nucléaires, mais dont l’injection à grande échelle se heurte à la difficulté de l’intermittence. L’électrolyse permet alors de stocker les excédents d’électricité en les transformant en hydrogène qui devient un intégrateur des sources renouvelables dans le système énergétique.

Comment rendre l’hydrogène vert compétitif 

Le coût de production de l’hydrogène vert par l’électrolyse dépend de trois paramètres : le prix de l’électricité utilisée dans l’électrolyseur, le coût et l’efficacité de cet électrolyseur, les coûts de transport et de stockage qui pèsent dans la balance sitôt que le lieu de consommation est éloigné du site de production.

Actuellement, le coût du kg d’hydrogène vert se situe dans une fourchette de l’ordre de 3 à 6 €/kg, soit de deux à quatre fois celui de l’hydrogène gris. Mais il est dans une dynamique de forte baisse, sous l’impact de la baisse du coût de l’électricité verte et de celui de l’électrolyse.

Les différents plans hydrogène visent à accélérer le mouvement grâce aux changements d’échelle de la production d’électrolyseurs et aux investissements dans les réseaux de stockage et distribution. Cet argent public mobilisé du côté de l’offre permet d’accélérer l’industrialisation des pilotes issus de la recherche et développement. Son usage est pleinement justifié.

Les aides à l’utilisation de l’hydrogène vert sous forme de complément de prix sont plus discutables sous l’angle économique. Elles n’incitent pas suffisamment les producteurs à baisser leurs coûts et stimulent la consommation d’énergie. Elles pourraient être fortement réduites ou disparaître pour un prix du CO2 de l’ordre de 100 à 250 €/T.

La production d’hydrogène vert à partir de biomasse renouvelable est une autre voie qui pourrait s’avérer intéressante pour son intégration territoriale. Elle en est encore au stade expérimental. Deux options sont testées en France : à partir du bois (projets de Vitry-le-François et de Strasbourg) ou à partir de biomasse agricole (utilisation du chanvre dans la Sarthe).

Les nouveaux usages de l’hydrogène

Pour contribuer pleinement à la substitution énergétique, il ne suffit pas de massifier la production d’hydrogène vert. Il convient aussi de développer les usages qui permettent de réduire les émissions de CO2 là où elles sont les plus difficiles à obtenir.

En premier lieu, on peut injecter jusqu’à 10 ou 20 % d’hydrogène vert dans les réseaux de gaz, nettement plus si on convertit une partie de cet hydrogène en méthane via un procédé appelé « méthanation ». Cette voie est actuellement testée en France à Fos-sur-Mer. Outre l’intérêt de réduire la part du gaz fossile dans le réseau, son intérêt est de pouvoir capter et réutiliser une partie des rejets de CO2 de l’aciérie de Fos.

En second lieu, l’hydrogène permet de produire de l’électricité à partir de piles à combustible embarquées. Les constructeurs asiatiques Toyota et Hyundai ont commencé à commercialiser des voitures particulières à hydrogène qui ont une autonomie plus grande que les voitures électriques utilisant les batteries. À terme, les applications les plus intéressantes concernent les véhicules utilitaires (bus et camion) pour lesquels le poids des batteries est une contrainte majeure, les trains quand les lignes ne sont pas électrifiées et, sans doute plus tard, les avions.

Enfin, l’hydrogène vert pourrait décarboner demain des procédés industriels où les substituts à l’énergie fossile sont difficiles à développer. Le plus important concerne la production primaire d’acier où le charbon est à la fois utilisé comme source d’énergie et agent réducteur du minerai. L’hydrogène pourrait s’y substituer et fournir de l’acier zéro carbone. Le premier pilote industriel testant cette voie est en développement dans le nord de la Suède, dans le cadre du projet Hybrit.

L’Europe face à la révolution de l’hydrogène

La stratégie européenne de l’hydrogène met l’accent sur le développement d’une offre compétitive basée sur des soutiens à la R&D, aux pilotes industriels et aux projets intégrant l’hydrogène dans des écosystèmes plus large. Grâce à différents programmes d’investissement, l’Europe a mis plusieurs dizaines de milliards sur la table.

L’attention nouvelle portée à l’offre constitue une inflexion majeure de la politique climatique européenne qui a reposé jusqu’à présent plus sur le soutien à l’usage d’énergie décarbonée que sur sa production sur le territoire européen.

De telles actions favorisant la demande ont abouti, dans le cas de l’énergie solaire et des batteries, à délocaliser une grande partie de la production d’équipements en perdant des potentiels de créations locales de richesses et d’emplois.

L’Allemagne, et désormais la France, déclinent cette stratégie européenne, en projetant d’investir respectivement 9 et 7,2 milliards d’argent public d’ici 2030.

Elles disposent d’atouts non négligeables, avec deux des trois majors de l’industrie mondiale des gaz industriels (Linde et Air Liquide), de grands équipementiers automobiles ou ferroviaires, d’excellents laboratoires de recherche publique et une myriade de start-up dont beaucoup sont issues de ces laboratoires. L’Allemagne s’appuie sur un plan plus rapide de déploiement des énergies renouvelables, support incontournable de l’hydrogène vert.

La clef de la réussite sera moins la quantité d’argent public mis sur la table, que la capacité à faire entrer en synergie tous ces acteurs venus d’horizons différents. C’est à ce prix qu’on fera de l’hydrogène, non pas cette énergie « inépuisable » à laquelle rêvait l’ingénieur de L’Île mystérieuse, mais un puissant intégrateur des énergies renouvelables dans le système énergétique de demain.The Conversation

Christian de Perthuis, Professeur d’économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSL

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Un commentaire

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    • SARRAZIN YVES

    Il manque un élément majeur dans cet article: Quel est le rendement de la production d’hydrogène (énergie utilisée/énergie restituée)?