Le grand retour du bouquetin des Pyrénées, après une éclipse de plus d’un siècle

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Un bouquetin mâle âgé de 7 ans, photographié en 2019 dans les Pyrénées espagnoles.

Tarbes (AFP) – Avec une nouvelle génération de 70 cabris recensés en 2020, le bouquetin signe son grand retour dans les Pyrénées françaises, dont il avait disparu il y plus d’un siècle, le couronnement d’un projet franco-espagnol au long cours.

Les jeunes spécimens ont été dénombrés pour 41 d’entre eux dans le Parc National des Pyrénées (PNP), à cheval sur les Hautes-Pyrénées et les Pyrénées-Atlantiques, et pour les autres dans le Parc régional des Pyrénées ariégeoises.

C’est dans ces deux sites que des bouquetins, cousins de la sous-espèce disparue, ont été réintroduits ces dernières années, portant la population côté français à quelque 400 individus.

« Par rapport à l’objectif initial de créer des noyaux de population viable, pour l’instant on peut qualifier l’opération de succès », se félicite Jérôme Lafitte, chargé de mission Faune au PNP.

Parmi les indicateurs au vert, il cite « une très bonne reproduction depuis plusieurs années, et plusieurs cas de gémellité, qu’on ne voit que dans des populations très dynamiques ».

Mais aussi « une très bonne survie des jeunes cabris, qui arrivent à passer l’hiver », alors que l’une des inconnues de l’entreprise était la résistance « au froid pyrénéen de bêtes habituées à un climat plus chaud et sec ».

Réticences espagnoles

En 1910, deux grands bouquetins étaient abattus dans les Hautes-Pyrénées, sonnant la disparition des Capra Pyrenaica pyrenaica du versant français.

Lorsque la dernière femelle est retrouvée morte côté espagnol, le 6 janvier 2000, cette sous-espèce du bouquetin ibérique s’est officiellement éteinte.

Mais l’Espagne compte toujours des spécimens cousins, des Capra pyrenaica victoriae. De quoi nourrir l’idée d’une réintroduction dans les Pyrénées françaises, en germe depuis les années 80. Il faudra toutefois attendre 2014 pour les premiers lâchers.

« Jusqu’en 2012, l’Espagne refusait de livrer des bouquetins », explique Jean-Paul Crampe, membre du comité scientifique du PNP.

« Il y avait la crainte de voir un animal exclusivement espagnol sortir des frontières pour être exploité par les voisins. Et puis certains scientifiques estimaient que seule la Pyrenaica pyrenaica devait vivre sur le massif pyrénéen ».

Les Espagnols ont même tenté de ressusciter cette sous-espèce: « en 2010, ils sont arrivés à la naissance d’un petit cabri cloné, qui n’a survécu que quelques minutes ». Le projet a été abandonné.

Pour surmonter les réticences espagnoles, la France s’engage à ne pas chasser le bouquetin, et « inscrit le bouquetin ibérique dans la liste des espèces protégées », ajoute M. Crampe. Au final, l’Espagne donne son feu vert, « et depuis tout s’est enchaîné très rapidement ».

« Animaux majestueux »

« Cela a été très compliqué d’obtenir la mise à disposition des animaux, mais maintenant on a des relations très étroites avec les autorités espagnoles », confirme Matthieu Cruège, qui dirige le Parc régional des Pyrénées ariégeoises.

Entre 2014 et 2019, 226 bouquetins ibériques, issus du Parc national de la Sierra de Guadarrama (près de Madrid), ont été réintroduits dans le massif français, 131 dans le Parc National des Pyrénées.

Cette réussite sur le front de la biodiversité se veut aussi un moteur touristique. « Pour nous c’était vraiment l’une des composantes du projet », avec « des formations sur le bouquetin pour les professionnels du tourisme » relève Matthieu Cruège.

« Et ça marche, il y a une bonne réponse du public. Ce sont de animaux majestueux et c’est une vraie émotion de les observer. Le bouquetin apporte à l’économie touristique de la montagne ».

La Fédération des chasseurs de l’Ariège a été partie prenante du projet, au nom de la sauvegarde de la biodiversité et pour le « plaisir de l’œil », affirme Jean Guichou, son directeur.

Sans toutefois baisser les armes: « peut-être un jour lorsque le bouquetin ibérique sera assez abondant, mes enfants ou petit-enfants pourront chasser à nouveau quelques individus », espère-t-il.

De nouveaux lâchers sont prévus cet automne en vallée d’Aspe, dans les Pyrénées-Atlantiques. Suivis en 2021 d’une opération de renforcement « génétique des populations en place avec l’introduction d’individus issus d’autres populations, d’un autre site donateur », indique Jerôme Lafitte.

« Il faut s’attendre dans les 30 ans qui viennent à voir des bouquetins un peu partout dans les Pyrénées », anticipe Jean-Paul Crampe. « C’est une espèce qui a la côte. Et c’est moins difficile à réintroduire que l’ours ou le loup ».

@AFP

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