Adelaide, la ville sud-africaine où il n’a pas plu depuis cinq ans

barrage d'Adelaide

Vue aérienne du barrage d'Adelaide, en Afrique du Sud, à sec, le 26 novembre 2019 © AFP Guillem Sartorio

Les prévisions météo ont encore changé, la pluie ne viendra pas. Alors Steve Bothma s’est résigné à envoyer 200 autres moutons à l’abattoir. Dans l’enclos balayé par un vent brûlant, ses ouvriers sélectionnent déjà les bêtes qui vont partir, sous le regard embué de l’imposant éleveur.

« C’est un désastre. En trente ans de métier, ça ne s’est jamais produit », assure le cinquantenaire en pantalon kaki, chemisette beige et chapeau assorti, l’uniforme des fermiers sud-africains.

« C’est tellement sec, c’est terrible », ajoute-t-il, en balayant de ses yeux bleus la terre aride. « D’habitude, c’est tout vert à cette période. Mais là, même les pins meurent. »

Dans la province du Cap-Oriental, dans le sud-est de l’Afrique du Sud, on ne se sait même plus à quand remontent les dernières vraies pluies. Cinq ou six ans au moins.

L’Afrique australe toute entière, où les températures augmentent deux fois plus vite que sur le reste du globe, connaît sa pire sécheresse depuis trente-cinq ans, selon l’ONU.

En 2018 déjà, la deuxième ville sud-africaine, Le Cap, avait échappé de justesse au « jour zéro », où les robinets devaient être à sec. Des restrictions d’eau drastiques et la pluie lui avaient finalement permis d’échapper à la catastrophe.

Cette année à nouveau, « la situation est terrible » dans cinq des neuf provinces du pays, a reconnu le président Cyril Ramaphosa. Avec des conséquences dramatiques pour les agriculteurs, les écoliers et les commerçants.

« On a commencé à abattre notre troupeau pour ne garder que les moutons qui peuvent se reproduire », explique Steve Bothma.

L’éleveur s’est déjà séparé des deux-tiers de ses 5.000 ovins, même ceux âgés d’à peine un an. « Généralement, je les garde jusqu’à 5 ou 6 ans », ajoute l’agriculteur. « Tout le monde vend son bétail, le marché est saturé ».

Barrage à sec

Et leur laine est de très mauvaise qualité, « pleine de poussière et pas solide », explique-t-il. Conséquence, le prix des toisons de ses mérinos, déjà affectés par la fièvre aphteuse dans le nord du pays, s’est effondré: moins 40% en un an.

Sur la route en gravier qui conduit à la ville la plus proche, Adelaide, le paysage vallonné n’est que désolation. Les immenses rampes d’arrosage plantées dans des champs arides ont depuis longtemps cessé de fonctionner.

En ville, le bétail broute l’herbe brûlée du golf et des vaches osseuses traînent dans les rues. Du jamais vu, selon les habitants de cette ville de 15.000 âmes approvisionnée en eau par un barrage à sec depuis le début de l’année.

Alors quand l’ONG Gift of the Givers vient y livrer de l’eau dans le township, c’est la cohue.

Des centaines de personnes accourent avec des bouteilles, seaux, bidons de peinture, poubelles et glacières.

« On garde l’eau pour boire et cuisiner », explique Rodney Douglas, en poussant une brouette chargée de bidons. Il n’y en aura pas assez pour se laver le corps ou son linge. « Les habits, je les retourne » quand ils sont trop sales, dit-il.

« Notre maison sent mauvais. On recycle l’eau usée pour les toilettes », se plaint Assanda Sais, mère de famille sans eau courante depuis trois mois. « Parfois, les instituteurs nous demandent de garder les enfants à la maison ».

« Il n’y a pas d’eau pour cuisiner, pas d’eau pour les toilettes », confirme le directeur de l’école du township, Douglas Honan.

Elèves absents

Ici, à cause de la sécheresse, la semaine de cours a été réduite d’une demi-journée. Nombre d’enfants ratent les cours.

« Ils doivent aider leurs parents à transporter l’eau, ils ne peuvent pas se laver, ils se plaignent de maux de ventre », raconte une institutrice, Zeenat Gangat, dans le préfabriqué étouffant qui lui sert de salle de classe.

Les autorités assurent ravitailler un jour sur deux les quartiers de la ville, via un réservoir raccordé à un pipeline bien trop étroit qui remonte jusqu’à la Fish River, à une cinquantaine de kilomètres de là.

Mais la réalité est tout autre.

Le réseau de canalisations est en « mauvais état », reconnaît Bornboy Ndyebi, adjoint au maire d’Adelaide. Et les camions-citernes sont en panne, concède Thandekile Mnyimba, à la tête de la municipalité d’Amathole qui gère Adelaide.

L’opposition accuse la ville, aux mains du Congrès national africain (ANC) qui dirige le pays, de ne pas avoir anticipé cette situation dramatique.

« Les autorités locales se sont réveillées quand le niveau de l’eau dans le barrage était de 4% », affirme Ernie Lombard, conseiller municipal de l’Alliance démocratique (DA).

Le président Ramaphosa, qui a succédé en 2018 à Jacob Zuma, empêtré dans des scandales de corruption, le concède: « la mauvaise gestion des ressources en eau et la corruption ne sont pas pour rien dans la situation actuelle. »

Suicides

En clair, les effets de la sécheresse ont encore été aggravés par l’incompétence des autorités.

« Sans mesure drastique », l’accès à l’eau deviendra « le défi économique le plus important » de l’Afrique du Sud, a prévenu le chef de l’Etat.

A Adelaide, où le taux de chômage avoisine les 70%, le prix de la sécheresse, conjugué à celui de la crise économique qui sévit dans le pays, est déjà énorme.

Les maisons ne se vendent plus. Dans l’hôtel à l’architecture coloniale, on en arrive à espérer que toutes les chambres ne soient pas louées en même temps. « Sinon, on met deux semaines pour laver tous les draps. C’est le cirque ! », explique sa patronne.

Dans les fermes, les avocatiers qui donnaient 50 fruits par arbre n’en produisent plus qu’une dizaine.

Les petits éleveurs n’en finissent pas de compter leurs carcasses. Alton Snaer a déjà perdu 9 de ses 15 bovins, sa seule richesse. « Je n’en dors plus la nuit ».

« Si ça continue, on va devoir fermer boutique », prévient Steve Bothma, qui emploie sept ouvriers. Sans espoir, étranglés financièrement, « des fermiers se suicident », explique-t-il en baissant la tête.

© AFP

3 commentaires

Ecrire un commentaire

    • Michel CERF

    On ne se pose pas la question de savoir si cette région est faite pour l’élevage des moutons , certainement pas , des fermiers se suicident , c’est bien triste mais les moutons , eux , comment finissent t-ils ?

    • Le mouton est une des espèces animales qui s’adapte le moins mal aux zones sèches! Bien sur on pourrait mettre des dromadaires à la place ! La situation de cette région préfigure probablement ce qui attend une grande partie de notre pays avec le réchauffement climatique , autrefois les sécheresses généraient la famine et les épidémies. Les générations actuelles ont oublié ce que nos anciens ont enduré , j’espère qu’elles ne connaîtront pas le même sort. En ce qui me concerne vu mon age je suis hors de danger, mais j’ai un grand souci pour toutes ces générations citadines qui vivent à cent lieues des réalités de la nature .

    • Meryl Pinque

    Personne n’oblige personne à exploiter et envoyer autrui à l’abattoir.
    Un « métier » pareil, ça se change.
    D’autant que l’élevage et la consommation de produits d’origine animale est la cause n° 1 du dérèglement climatique.

    Devenons végans pour les animaux et la planète.