Le Timor oriental désemparé face aux attaques des « ancêtres » crocodiles

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Un crocodile capturé par la police, le 22 juin 2019 à Dili, au Timor oriental © AFP/Archives Valentino Dariell DE SOUSA

Mario Da Cruz se rappelle le jour où il a vu, terrorisé, des crocodiles tuer un enfant sur une plage du Timor oriental. Les habitants qui vénèrent ces reptiles, peinent à faire face à une hausse des attaques.

Ces incidents ont été multipliés par 20 ces deux dernières décennies dans la petite nation d’Asie du Sud-Est. En moyenne, un Timorais par mois est attaqué par des crocodiles, même si toutes les attaques ne sont pas mortelles.

« Je marchais le long de la plage quand soudain un groupe de crocodiles est sorti de l’eau, j’ai paniqué et me suis enfui mais l’un d’entre eux m’a blessé à la jambe », explique Mario Da Cruz, un habitant de la ville de Lospalos.

« Un autre a attaqué un petit enfant qui est mort sur le coup ».

Le Timor oriental occupe la moitié de l’île du Timor, dont la partie occidentale est indonésienne tandis que son autre grand voisin à l’est est l’Australie.

Ancienne colonie portugaise, le Timor oriental a été occupé pendant deux décennies par l’Indonésie avant d’accéder à l’indépendance en 2002.

Une bonne partie de sa population pauvre de 1,2 million d’habitants vit de la mer ou utilise quotidiennement les cours d’eau.

Et les victimes des crocodiles sont souvent des pêcheurs ou des habitants qui vont chercher de l’eau.

« On a vu une hausse assez importante des attaques de crocodiles au cours des 10 dernières années », note Sam Banks, un biologiste spécialiste de la protection des espèces à l’Université australienne Charles Darwin.

Entre 1996 et 2014, elles sont passées de moins d’une par an à plus d’une dizaine. Le risque d’être tué par un crocodile au Timor oriental est dix fois plus grand que celui de succomber au paludisme.

Sebastian Brackhane de l’Université de Fribourg en Allemagne, qui a étudié la gestion des crocodiles dans l’île, et d’autres collègues ont cherché à expliquer le bond des attaques, voulant vérifier si l’habitat des crocodiles était menacé par les activités humaines.

Mais « nous pensons que le premier facteur, c’est une augmentation du nombre des crocodiles marins », indique-t-il à l’AFP.

Un problème constaté aussi dans d’autres îles, comme les Salomon (au nord est de l’Australie), les Andamans (dans l’océan Indien), et plusieurs zones côtières de l’Indonésie où les conflits entre humains et crocodiles augmentent.

Les crocodiles australiens accusés

Mais au Timor, pas question de tuer ces reptiles. Les Timorais vénèrent les crocodiles, qu’ils considèrent comme leurs ancêtres mythiques.

Nombre d’entre eux sont persuadés que la hausse des attaques n’est pas due à des crocodiles locaux, mais à des individus qui viennent d’Australie ou d’ailleurs à la recherche de nourriture.

Avec son collègue Yusuke Fukuda, un chercheur travaillant pour les Territoires du Nord en Australie, Sam Banks a procédé à des tests ADN pour tenter de résoudre le mystère de la vague d’attaques.

Pour les scientifiques, il est possible que les crocodiles, pouvant mesurer jusqu’à six mètres et peser 1.000 kilos, fassent un voyage de quelque 500 kilomètres en traversant la mer du Timor depuis l’Australie.

Il est aussi concevable qu’ils viennent de Nouvelle Guinée, d’Indonésie ou même de Malaisie.

Ils ont prélevé des échantillons d’ADN de 18 crocodiles récemment au cours d’une mission de deux semaines. Ils se sont approchés, sous escorte, des reptiles dans des cours d’eau et ont prélevé à l’aide de bâtons crochus des morceaux de peau de crocodile pour les analyser et les comparer aux gènes des crocodiles australiens.

Mythe fondateur

Mais, selon les premiers tests, les crocodiles « sont bel et bien timorais ». « Il n’y a aucune indication qu’ils aient des ancêtres australiens », explique Sam Banks, qui souligne qu’ils ne s’agit que de résultats préliminaires.

Les Timorais répugnent pourtant à incriminer les crocodiles locaux, qui sont appelés « abo », « grand-père » en tétoum, l’une des deux langues officielles avec le portugais.

Vénéré dans de nombreux autels, l’animal est au centre d’un mythe sur la création de l’île: un jeune garçon a sauvé un petit crocodile, ils sont devenus amis et en mourant l’animal devint l’île de Timor qui a la forme du reptile.

« Ici, les gens voient les crocodiles comme leurs ancêtres », souligne Nina Baris, une responsable de Lospalos.

« Selon nos croyances, si un crocodile mord quelqu’un, ça veut dire qu’il a commis une faute grave ».

Ce respect pour les crocodiles implique que les attaques pourraient ne pas toutes être déclarées. Et complique fortement la gestion de la population des crocodiles, qui ne peuvent pas être tués.

« Il est interdit de faire du mal aux crocodiles », explique Sam Banks. « Donc, il faut trouver un équilibre entre le respect de la culture et la sécurité des gens ».

© AFP

Un commentaire

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    • Michel CERF

    Ce sont les humains qu’il faut accuser , les crocodiles sont dans leur milieu et mangent ce qu’ils trouvent dans une nature déséquilibrée par nos activités destructrices .