En Allemagne, la mue verte de l’ancien « rideau de fer »

allemagne

Un panneau rappelant que les deux Allemagne étaient séparées jusqu'en 1989, près d'un ancien mirador près de Salzwedel © AFP John MACDOUGALL

Olaf Olejnik patrouillait il y a 30 ans à la frontière ultra-fortifiée censée dissuader les Allemands de l’Est en quête de liberté de passer à l’Ouest.

Aujourd’hui encore, le quinquagénaire arpente l’ancienne frontière. Mais il a changé de casquette : le soldat de l’ex-dictature communiste est devenu un ornithologue attentif à la faune et la flore.

La frontière de 1.393 km entre les deux Allemagne, couverte de barbelés, minée, surveillée par des soldats devant tirer pour tuer, est devenue aujourd’hui, sur une large portion, un paradis naturel en plein essor.

Des libellules d’une espère rare, des loutres d’Eurasie ou encore des chats sauvages y ont élu domicile.

Au total, plus de 1.200 espèces menacées d’extinction y sont répertoriées.

« Ligne de vie »

« D’une zone de mort, on est passé à une ligne de vie », explique à l’AFP M. Olejnik, à quelques mètres d’une tour d’où il faisait parfois le guet durant son service militaire, mais sans jamais avoir tiré une seule balle.

Alarmé par l’exode croissant d’Allemands de l’Est vers la RFA, le régime communiste de la RDA a commencé dès 1952 à construire des barrières pour retenir sa population.

Un fossé a ainsi été creusé le long de la frontière pour empêcher les véhicules de passer à toute vitesse vers l’ouest, et une bande de protection d’environ 500 mètres de large a été délimitée.

Une autre zone, large elle de 5 km, n’était accessible qu’aux personnes jugées loyales au régime. Des fils barbelés ont été installés, avant d’être remplacés par du treillis métallique et des systèmes de signalisation électronique.

Au total, 327 personnes auraient perdu la vie à cette frontière entre les deux Allemagne, selon une étude officielle. Un chiffre que les associations de victimes jugent en deçà de la réalité.

Au fil du temps, cette bande qui s’étendait de la frontière tchèque à la mer Baltique est devenue un no man’s land qui a permis à la nature de s’y développer.

« La région est devenue un espace de vie de grande qualité pour la faune et la flore », estime Dieter Leupold qui, comme M. Olejnik, travaille pour le groupe BUND, chargé de mener le projet « Ceinture verte ».

Espèces rares

Les ornithologues d’Allemagne de l’Ouest ont été parmi les premiers à apprécier l’intérêt environnemental de la frontière.

« Depuis les années 1970, nous avons observé depuis l’Ouest, à travers nos jumelles, la valeur exceptionnelle de la Ceinture verte », se souvient Kai Frobel, un des fondateurs de la zone naturelle.

Des espèces rares d’oiseaux comme le Tarier des près ou la pie-grièche écorcheur ont fait leur apparition, ce qui a également attiré l’attention d’autres passionnés de nature côté RDA, comme M. Olejnik.

Un mois après la chute du Mur en novembre 1989, « lors d’une rencontre entre écologistes de l’Est et de l’Ouest, une résolution a été adoptée pour protéger la ceinture verte comme ligne de vie », rapporte M. Leupold.

BUND a convaincu les autorités de lui confier, pour assurer leur conservation, les terres non réclamées par les propriétaires après la Réunification, soit la moitié environ de l’ancienne zone frontalière.

BUND a également racheté à leurs propriétaires d’autres parcelles, dépensant au total 5 millions d’euros pour racheter 900 hectares. L’objectif: préserver la nature tout le long de l’ancienne frontière.

Ce projet hors norme a attiré l’attention jusqu’en Corée du Sud: des délégations ont fait le déplacement, dans l’espoir de reproduire l’expérience un jour dans la zone démilitarisée (DMZ) qui sépare les deux Corée.

Un jour humide d’octobre, juste avant l’aube, le bruyant ricanement des oies sauvages résonne dans la forêt.

Dès les premières lueurs du jour, le brouhaha est tel qu’il ne peut prévenir d’une dizaine de volatiles mais plutôt de milliers, qui s’envolent en même temps dans un grand bruit. Un cerf vient brouter paisiblement. Un renard passe à quelques mètres d’une grue.

« Cette zone est devenue un refuge », note M. Leupold.

Patrimoine national

Mais BUND a encore du pain sur la planche: 12% de la surface de la zone restent soumis à l’agriculture intensive ou servent de routes. Et il est de plus en plus difficile de convaincre les agriculteurs de vendre, certains propriétaires exigeant désormais en échange des parcelles dans d’autres endroits.

BUND attend maintenant du parlement du Land de Saxe-Anhalt qu’il classe, d’ici fin octobre, la région en zone protégée, comme l’a fait le Land voisin de Thuringe l’an dernier.

Cela donnerait à BUND des ressources financières et humaines supplémentaires pour faire connaître le projet et aboutir à une inscription au patrimoine national.

L’histoire de cette frontière n’est pas encore totalement écrite. Combien d’habitants ont été obligés de déménager? Combien de personnes au total y sont mortes?

Les vestiges de la frontière, tels que les tours de guet, les bunkers ou les clôture nécessitent aussi attention et entretien.

« Un historien a dit un jour qu’il faut attendre au moins 30 ans avant que les historiens s’emparent d’un sujet. J’espère qu’aujourd’hui, c’est le moment », veut croire M. Leupold.

© AFP

2 commentaires

Ecrire un commentaire

    • Meryl Pinque

    Où l’humanité passe, la nature trépasse.
    Inversement, là où l’humanité est absente, la nature prospère…

      • Michel CERF

      C’est malheureusement vrai .