Au Brésil, le drame des pêcheurs englués dans la marée noire

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Un volontaire nettoie la mangrove des dépôts de pétrole le 31 octobre 2019 à Cabo de Santo Agostinho, dans l'Etat brésilien de Pernambuco © AFP NELSON ALMEIDA

Embourbée jusqu’aux genoux, Valeria de Alcantara coupe à la machette les racines incurvées d’un palétuvier dans la mangrove souillée par la marée noire dans le nord-est du Brésil : c’est la seule façon de préserver cet écosystème essentiel pour la subsistance des pêcheurs.

« Si je coupe cette partie contaminée, en quatre ou cinq mois une nouvelle apparaîtra, parce que la mangrove regagnera du terrain, elle est vivante », affirme cette pêcheuse de crustacés, tout en montrant la racine recouverte d’une couche visqueuse de pétrole.

À 37 ans, elle n’avait jamais vu une chose pareille.

Depuis début septembre, des centaines de plages paradisiaques ont été jonchées de galettes d’hydrocarbure et le pétrole s’est aussi incrusté dans les coraux et dans la mangrove.

Valeria tente tant bien que mal de nettoyer la mangrove près de l’embouchure de la rivière Massangana, à côté de Cabo Santo Agostinho, à 30 km de Recife, dans l’Etat du Pernambouc.

C’est dans cet écosystème très fragile à la biodiversité exceptionnelle que se reproduisent un grand nombre d’espèces de crustacés et de poissons.

La marée noire a atteint Cabo Santo Agostinho il y a une dizaine de jours et la plage a vite été nettoyée grâce à la forte mobilisation de bénévoles.

Mais dans la mangrove, plus difficile d’accès, la végétation dont raffolent les crabes, petits poissons et autres fruits de mer reste en grande partie souillée.

Valeria a dû interrompre la pêche qui nourrit sa famille pour se reconvertir en nettoyeuse de pétrole.

« Ce sont les pêcheurs qui protègent l’environnement », lâche-t-elle, considérant que le soutien des autorités locales est largement insuffisant face à l’ampleur de la catastrophe.

Pas de clientèle

La pêche a été suspendue y compris dans les endroits où aucune trace de pétrole n’a été décelée, en raison de craintes de contamination de l’eau de mer.

« Nous n’avons toujours pas obtenu de réponse concrète de la part d’un scientifique qui prouverait que l’eau est vraiment contaminée », explique Sandra Lima, présidente d’une association qui regroupe près de 1.500 pêcheurs, dans le quartier de Brasilia Teimosa, à Recife.

Cela fait plusieurs jours que des dizaines de barques en bois restent à quai dans le petit port de pêche.

Severino Barros est tout de même parti pêcher et revient chargé de poissons qu’il est contraint de mettre directement au congélateur, dans l’attente de jours meilleurs.

« Je les ai pêchés en haute mer, ils sont propres à la consommation, mais personne ne veut en acheter », déplore-t-il.

Peur de l’oubli

Les rides profondes sur le visage buriné d’Edileuza Nascimento, 63 ans, traduisent la détresse d’une pêcheuse qui passe plusieurs heures par jour dans l’eau à racler le fond de la mer pour trouver des moules et autres crustacés.

« La vie de pêcheur est très difficile », raconte cette descendante de noirs et d’indigènes qui a appris le métier dès l’âge de quatre ans avec sa mère et a transmis son savoir à son propre fils.

En près de 60 ans de labeur, elle a déjà traversé tout type de difficultés, au gré des intempéries qui menacent régulièrement son activité.

« Mais cette fois, c’est vraiment trop dur, cette marée noire est venue pour en finir avec les familles de pêcheurs », conclut-elle.

Edileuza racle le sol d’une main et tient d’une autre une cagette dans laquelle elle dépose les crustacés.

Grâce à cette pêche, elle parvient normalement à arrondir ses fins de mois, ajoutant une soixantaine d’euros à sa maigre retraite, qui équivaut à un salaire minimum (998 réais, environ 225 euros).

Mais depuis la marée noire, ses crustacés ne trouvent pratiquement plus preneur.

Tandis que les délégués de syndicats de pêche tentent de négocier avec les autorités des subventions pour maintenir les pêcheurs à flot, Severino Barros craint de sombrer dans l’oubli.

« Quand la presse est là, les politiciens affluent et disent qu’ils vont résoudre tous nos problèmes. Mais après, tout est oublié. Ca se passe comme ça au Brésil ».

© AFP

Un commentaire

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    • Meryl Pinque

    Les animaux nonhumains sont les premières victimes des marées noires : oiseaux, poissons, mammifères marins, etc., qui en meurent.