Virginie Raisson, auteur de 2038, les futurs du monde : « Je reste confiante pour l’avenir, car les plus jeunes incarnent déjà le changement »

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« 2038 les futurs du monde » mélange cartes, textes et graphiques afin de faire un bond en avant d’un quart de siècle dans le devenir de la planète et de ceux qui la peuplent.  Résultat de 2 années de recherches menées au sein du Lépac (Laboratoire d’études prospectives et cartographiques), l’ouvrage explore des projections démographiques, économiques et sociales afin d’envisager l’avenir. Virginie Raisson est l’auteur de ce livre atypique.

 

Quels futurs voyez-vous ?

Il ne s’agit pas de prédictions, mais de projections dans 25 ans, soit le temps d’une génération. En fait, je ne « vois » rien car la prospective ne cherche  pas à prédire le futur. Elle sert plutôt à y réfléchir à l’aune des tendances actuelles pour choisir l’avenir souhaitable et agir en conséquence.

La croissance démographique, est-ce le seul enjeu ?

Nous retenons souvent que la population mondiale va continuer d’augmenter. C’est vrai et il faut en tenir compte. Cependant, il est un autre défi à relever sans attendre : le vieillissement de la population. Car celui-ci aura au même moment des conséquences économiques, sociales, épidémiologiques, politiques et même sociétales majeures dont on parle encore très peu alors que nos sociétés devraient s’y ajuster dès aujourd’hui. Nous vivons plus longtemps, mais pas forcément en mauvaise santé, il faut que les économies s’adaptent pour prendre en charge ces personnes.

2038-fdm-060-062 Qu’en est-il de l’émergence des classes moyennes ?

De la même façon, la mondialisation des classes moyennes et leur augmentation très rapide en Inde et en Chine auront des répercussions majeures sur la demande de biens de consommation et donc sur la disponibilité des ressources naturelles. En outre, à mesure que ces populations sortent de la pauvreté et de la contrainte de devoir survivre au jour le jour, elles développent de nouvelles aspirations pour leur avenir en termes de santé, d’éducation, de gouvernance et de mobilité. Or si on n’y répond pas, on s’expose à des troubles importants.

Quelles peuvent être les conséquences de tous ces changements ?

Nous assistons à la raréfaction de ressources. Dans le même temps, on voit aussi l’économie circulaire se développer et d’autres modèles apparaître, souvent à l’échelle locale, qui apportent des réponses à ces enjeux par d’autres types de solidarité, de consommation ou de distribution. L’ouvrage essaie donc de voir comment réconcilier la planète et l’humanité en regardant  comment faire mieux avec moins et en recensant quelques initiatives qui y contribuent telles que les monnaies locales ou le blockchain.

Pourquoi avoir rédigé ce livre ?

Parce que je trouve inacceptable de dire aux plus jeunes que tout est joué et que l’avenir se présente mal. J’ai trois jeunes enfants à qui je dédie ce livre. Pour moi, il est donc indispensable d’y voir plus clair sur où et comment je dois les emmener et de quelles options nous disposons collectivement.

Le deuxième déclencheur fut la lecture du livre Le monde d’hier que Stefan Zweig a écrit avant de se suicider. Ce n’est pas un livre de prospective mais de rétrospective. Il revient sur les 50 ans d’Histoire européenne qui ont conduit au désastre des deux guerres mondiales, ces « catastrophes imaginables ». L’auteur nous montre que tous les éléments de la crise étaient visibles mais ils n’ont pas été perçus par les intellectuels de l’époque. En lisant ce livre très contemporain, je me suis alors demandée à quoi nous étions nous-mêmes aveugles et sourds aujourd’hui? En ce sens, 2038, les futurs du monde constitue aussi une recherche des signaux faibles qui nous racontent ce à quoi le futur pourrait ressembler.

Avez-vous perçu des signaux positifs ? Lesquels ?

Déjà, jamais nous n’avons eu autant de connaissances et d’outils pour choisir ou agir. Ensuite, de nouvelles pratiques se mettent en place partout dans le monde, souvent portées par des personnes de moins de 40 ans. Il s’agit de nouvelles formes de solidarité participative, de cafés pour réparer les objets et ainsi faire face à l’obsolescence programmée, de monnaies locales, de nouvelles façons de travailler. Il y a aussi de vraies évolutions dans les modes de vie : en Europe, on mange de moins en moins de viande et de plus en plus bio et local tandis que les jeunes, eux, passent de moins en moins le permis de conduire. Le changement est à la portée de tous. Je reste donc confiante pour l’avenir, car les moins de 30 ans qui arriveront bientôt aux postes à responsabilités et décisionnaires incarnent déjà le changement.

Est-ce qu’une initiative en particulier peut faire la différence ?

Selon moi, le grand défi, c’est la réforme, en profondeur, de l’éducation et de l’école. L’offre pédagogique actuelle ne correspond pas aux besoins des plus jeunes pour se préparer au monde de demain et à sa complexité. Il existe pourtant des propositions plus adaptées, qui connaissent de plus en plus de succès, mais qui restent réservées à un tout petit nombre de jeunes enfants. Des méthodes dites alternatives où l’on apprend l’autonomie, le vivre-ensemble, le respect de l’autre, l’entraide et donc aussi la complexité.

Investissons nous assez dans l’éducation ?

Je ne pense pas. L’investissement dans l’enseignement varie d’un pays à l’autre, mais dans un monde vieillissant, elle n’est plus assez la priorité. Il subsiste quelques exceptions notables telles que la  Corée du Sud et surtout la Finlande qui a su le repenser et l’adapter aux besoins des enfants et de l’époque tout en respectant le rythme de chaque élève. Dans notre pays en revanche, comme dans la plupart des pays, l’école reste considérée comme le lieu de la transmission des savoirs et des connaissances alors que les enfants sont de plus en plus « auto-apprenants » et qu’ils pourront les acquérir par eux-mêmes. En revanche, ils ont davantage besoin de méthodes, de pratiques, d’expériences et d’apprendre à développer leur créativité.

Que faut-il faire pour revaloriser l’éducation ?

Plus d’innovations, de recherche et de moyens sans doute. Plus de formations transversales aussi. Enfin, il est indispensable de revaloriser très nettement la fonction d’enseignant afin que le métier soit attractif pour les talents et qu’il redevienne un métier mixte et de premier choix pour tous. Une amélioration de la formation et de la rémunération des enseignants est d’autant plus critique qu’ils sont les premiers acteurs du changement et que notre avenir dépend donc autant d’eux, voire davantage, que de nos médecins et de nos banquiers.

Propos recueillis par Julien Leprovost

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