Le combat du peuple des dunes

La bataille pour les dunes du nord de la Bretagne a commencé en 2010, lorsque la Compagnie Armoricaine de Navigation (CAN) a déposé auprès de la préfecture du Finistère une demande pour prélever le sable d’une dune non loin de la Baie de Morlaix et de la cote de granit rose. La zone est située à moins de 10 km des côtes et à moins d’un km des deux zones protégées Natura 2000 « Côte de Granit Rose » et « Baie de Morlaix ».

De grands bateaux équipés d’élindes, immenses tuyaux aspirateurs de sable, pourraient extraire du sable 24h/24h, presque chaque jour de l’année pendant 20 ans. Au total : 8 millions de m3 de sable seraient prélevés à une trentaine de mètres de profondeur.

Les risques sont nombreux et très vite, les opposants s’organisent : une cinquantaine de collectivités et d’associations se regroupent pour créer « Le peuple des Dunes en Trégor », avec un objectif : bloquer le projet d’extraction de sable. Aujourd’hui, fin 2014, la situation reste incertaine.

Mais pourquoi donc aller chercher ces millions de tonnes de sable ? Pour améliorer les terres agricoles de la région. Auparavant, la CAN fournissait aux agriculteurs du maërl. Il permettait d’amender les terres bretonnes, dont la plupart est trop acide pour les cultures céréalières. Cette algue, productrice de calcium, spécifique du littoral breton avait l’avantage de constituer une ressource locale. Mais sa quasi disparition a conduit l’Europe a interdire son extraction à partir de 2013. La CAN a donc dû trouver une alternative : c’est le sable des dunes, riche en calcaire car constitué de débris de coquillages.

«Ces 8 millions de m3 de sable ne représentent que 4% de la dune et constituent un amendement bon marché pour les agriculteurs bretons», affirme Bernard Lenoir, l’un des représentants de la CAN. «Les sols sont granitiques en Bretagne. Il n’y a pas de carrières de chaux terrestre. Il nous faudrait envoyer des camions à plus de 300 km pour aller chercher une chaux qui, en plus, nécessiterait des traitements chimiques et calorifiques pour être utilisée par les agriculteurs» poursuit-il.

Reste que ce projet soulève de fortes inquiétudes. Les pêcheurs craignent que l’extraction ne fasse fuir les lançons, de petits poissons qui servent d’appâts pour les pêcheurs et de proies pour les bars, turbots et autres poissons nobles pêchés dans la baie. «Les pêcheurs sont d’ailleurs tous adhérents à notre collectif» précise Alain Bidal, président du Peuple des dunes en Trégor.

Gilles Bentz, directeur de la station LPO (Ligue de Protection des Oiseaux) de l’IIe Grande, s’inquiète quand à lui pour la toute proche réserve naturelle des 7 îles, qui abrite de nombreuses espèces d’oiseau marins.

L’aspiration de sable provoquerait des mouvements d’eau et la mise en suspension des sédiments. Selon Gilles Bentz. « En se déposant, le nuage de sédiments risque d’étouffer toute la faune et la flore fixées sur les fonds rocheux. Or tout ce qui est en dessous détermine ce qui est au dessus ». Il explique également que « « Le Fou de Bassan peut parcourir de longues distances pour aller chercher sa nourriture et ne devrait pas être trop gêné mais le Macareux moine et le Pingouin torda, qui sont des espèces fortement menacées, pêchent à vue dans un rayon réduit. Nous craignons qu’en plus de la diminution de leurs ressources alimentaires, la turbidité de l’eau ne les empêche de s’alimenter ».

Chacun cherche des réponses dans l’étude d’impact, document fourni par la CAN, qui doit préciser l’état initial de la zone à exploiter et les impacts potentiels. Malheureusement, comme le mentionne l’Institut français pour l’exploitation de la mer (Ifremer), le rapport est « lacunaire », « manque d’argumentations scientifiques » et ne vient en rien lever les inquiétudes suscitées. «Le dossier était pourtant conséquent … mais était incomplet» se souvient Claude Augris, de l’unité Geosciences Marines de l’Ifremer.

Les effets de l’extraction sur la houle et sur le trait de côte n’est notamment pas mentionné. « Il n’existe aucune étude scientifique sur le sujet en France. La CAN n’a pas les moyens de mener ces études car elles sont très compliquées et coûteuses» déplore le chercheur. Il en va de même pour la cartographie des ressources en lançons ou la description de la faune qui vit dans le sable, dont 80% risque pourtant d’être aspirée lors de l’extraction.

Contre toute attente, à partir de cette seule étude d’impact et de l’avis pourtant « très réservé » de l’Ifremer, le dossier reçoit un avis favorable de la part du commissaire enquêteur en 2011. « Nous trouvons tout cela parfaitement incohérent. D’un côté l’état investit pour protéger des espaces naturels et de l’autre il octroie des accords pour des projets qui risquent de les endommager » s’étonne Gilles Bentz.

C’est pourquoi, Alain Bidal, habitant de Trébeurden, réunit citoyens, élus, professionnels de la mer, du tourisme, du nautisme, de la plaisance, associations de défense de l’environnement. « Nous venions tous de milieux très différents. Pour ma part, je suis un ancien banquier à la retraite. Sur le fond, nous n’étions pas tous de fervents écologistes mais là, on voulait porter atteinte à un site qu’il fallait protéger».

Il se tourne alors vers le Peuple des Dunes. Ce collectif, créé en 2006 pour bloquer un projet similaire du groupe Lafarge près des presqu’îles de Gavres et de Quiberon, a mené pendant 3 ans un combat juridique, politique et scientifique, grâce auquel le projet a été retiré en 2009. «Nous leur avons demandé d’emprunter leur nom qui avait une forte portée médiatique. En janvier 2012, nous avons créé, à partir de 30 associations, la branche Trégor du Peuple des Dunes », raconte Alain Bidal.

Dès mai 2012, une grande manifestation est organisée et 3000 personnes se rassemblent sur la plage de Trébeurden.

«Nous ne sommes pas contre votre projet, mais allez plus au large. Les Anglais pompent à 80 m de profondeur, les Japonais à 125m ; les techniques sont disponibles», explique-t-il.

En désespoir de cause, le collectif a déposé en Avril 2013 une plainte auprès de la Commission des Pétitions à Bruxelles, pour atteinte à des zones Natura 2000. En Février 2014, cette plainte a été jugée recevable et en avril 2014 une enquête a été ouverte. La situation n’est toujours pas tranchée.

En attentant, il organise la vigilance :

« Le projet est toujours en instruction… Il peut passer n’importe quand sur décision du ministre de l’Economie… Nous avons donc créé un comité de pilotage qui se réunit tous les mois et une dizaine de personnes travaillent en permanence sur le dossier, pour être prêt à attaquer, au cas où…» confie Alain Bidal. « Et si le ministre signe le titre minier, on attaquera aussitôt en conseil d’État. Et là on est parti pour 10 ans. ».

Julie Renoux

7 commentaires

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    • Anweta

    Trop, c’est trop !
    Il est grand temps que les humains voient les choses de la vie à « long terme » au lieu de ne s’intéresser qu’à l’immédiat !
    L’appas du gain est, semble-t-il, le moteur principal dans cette nouvelle affaire contre l’environnement.
    Oui, notre planète est exploitée de toutes les façons possibles et inimaginables…. jusqu’à ce qu’il soit trop tard ?

    • spada

    Ne cassons plus les équilibres de la nature.
    Prélever pour ce type d’agriculture n’est pas sensé. OUi à l’agriculture, mais celle-ci doit innover , s’adapter et trouver de nouveaux réseaux d’apports (à titre d’exemple si le calcaire des millions d’oeufs consommés chaque jour, ainsi que celui des coquilles d’huîtres et tant d’autres sources de calcaire étaient récupérés…)

    • luno

    Pourquoi la décision revient au ministère de l’économie ? Pourquoi pas au ministère de l’agriculture ?. Que fait celui de l’écologie? Après avoir détruit sans scrupule les sols de Bretagne, le remède est de détruire l’écosystème du littoral … Aujourd’hui c’est la destruction de la terre, demain (ça a déjà commencé …) la mer, et après demain l’espace … (bonjour Tchouri …).

      • JR

      Pour une demande d’exploitation, c’est le ministère de l’économie qui tranche. Le ministère de l’écologie est coincé entre la diplomatie interministérielle et ses actions et investissements pour protéger ce type de zone. Il sait aussi que si il lève la voix, la première chose qu’on va lui demander, c’est de financer la recherche et des études approfondies sur ces sujets, or la longueur et le coût de ces études ne répondent pas aux impératifs d’immédiateté de notre société. Quant au ministère de l’agriculture, il sait qu’il ne peut guère prendre de risques à priver les agriculteurs de leurs intrants étant donné leur situation actuelle. Nœud….et si on reprenait par le début…?