La guerre mal à propos contre le feu

© AFP/NATALIA KOLESNIKOVA
Russians try to stop fire spreading near the village Golovanovo, Ryazan region, on August 5, 2010. Russia struggled to contain the worst wildfires in its modern history that have killed 50, after President Dmitry Medvedev sacked top military officers for negligence in the catastrophe. AFP PHOTO / NATALIA KOLESNIKOVA
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La façon la plus simple de décrire le feu à travers le monde, c’est de dire qu’il existe trop de mauvais feux, trop peu bon feux, et d’une manière générale, trop de feu. Les mauvais faux sont ceux comparables à l’incendie qui vient de tuer 19 pompiers ici en Arizona, ou ceux qui ont jeté le deuil sur l’Asie du Sud-Est, en incinérant des communautés entières, en souillant les écosystèmes et leurs affluents et en saccageant les biotes avec des déchets qui brûlent au mauvais moment, avec la mauvaise intensité. Les bons feux sont ceux qui rendent un service écologique en brûlant les paysages correctement – et qui restent à leur place.

Paradoxalement, il est probable qu’il n’y ait pas assez de feu sur la planète, mais grâce aux combustibles fossiles, il y a certainement trop de combustion. Dans l’ensemble, le monde développé a trop peu de bons feux, et le monde en développement en a trop de mauvais. Presque tous les observateurs prévoient que cela va continuer dans les prochaines années.

Notre action à ce sujet dépend de la façon dont nous posons le problème. Le paradoxe du feu tient à son rôle de grand métamorphe des processus naturels. La raison en est simple : le feu n’est pas une créature, ni une substance ni un événement géophysique comme un ouragan ou un tremblement de terre. Il s’agit d’une réaction biochimique. Il synthétise ce qui l’entoure. Il tire son caractère de son contexte.

Le feu intègre tout autour de lui : le soleil, le vent, la pluie, les usines, le terrain, la toiture, les champs, et tout ce que les gens font et ne font pas. De cette façon, il indexe l’état d’un écosystème. C’est aussi notre signature en tant qu’espèce, la seule chose que nous faisons et qu’aucune autre créature ne fait. Alors que nous n’avons pas inventé le feu (il fait partie intégrante de la Terre depuis plus de 400 millions d’années), nous exerçons un monopole sur son utilisation contrôlée.

Tout cela rend le feu universel, difficile à saisir et difficile à combattre sous une forme manipulable. Il n’y a pas de solution au feu, parce qu’il y a de nombreuses catégories de feux, et parce qu’ils changent avec leur contexte. Certains problèmes d’incendie n’ont pas de solution technique. Nous pouvons construire des machines qui réduisent la combustion à son principe et qui permettent de la contenir. Nous pouvons construire des maisons qui résistent à la combustion. Nous pouvons concevoir des villes qui empêchent la propagation des incendies d’un immeuble à l’autre. Mais ces feux ne peuvent être maîtrisés que parce que nous construisons leurs paramètres.

Nous ne pouvons pas survivre sans feu : nous en avons seulement besoin sous ses bonnes formes. Il devient un véritable problème quand il brûle des villes entières sans aucun contrôle. Mais il représente aussi un problème quand il est retiré de terres en friche qui s’y sont adaptées, parce que son absence peut avoir autant d’importance écologique que sa présence. Le fait est que le feu urbain n’est pas un modèle pour le feu sur des terres en friche.

Nos modèles dominants pour décrire feu sont tout aussi mal orientés. Ils dépeignent la brûlure comme une catastrophe et le combat contre lui comme le récit d’une guerre. L’allusion du champ de bataille conduit les observateurs à la conclusion qu’il doit y avoir technologies plus sophistiquées que des pelles et des râteaux pour supprimer les flammes. Nous devons répondre à la force par une force plus grande. De telles métaphores ont leur importance, en ce qu’elles posent le problème en de mauvais termes.

Au cours de la dernière décennie, le monde a connu un modèle de combustion non contrôlée : ce que certains observateurs ont appelés des « méga-feux ». Les explications sont variables. Certains évoquent le changement climatique, dont réchauffement planétaire produit des sécheresses plus graves et des conditions météorologiques extrêmes. Certains de ces incendies ont fait rage dans des conditions anormales, d’autres non.

D’autres insistent sur une accumulation de matières combustibles. La nature de ces accumulations de carburant couvre toute la gamme, dont l’assèchement des marécages en Indonésie, la destruction de la forêt tropicale en Amazonie, les bois qui s’épaississent naturellement dans les terres sauvages d’Amérique suite à l’exclusion du feu, et partout, l’intrusion de l’expansion urbaine et de maisons vulnérables aux incendies.

D’autres encore accusent des changements sur le plan politique et pratique. Les territoires légalement reconnus comme des déserts favorisent davantage le feu, et une réticence à mettre pompiers en danger dans des régions éloignées, sans oublier les problèmes de coût, sonnent la retraite et laissent la crête suivante brûler, en offrant une meilleure protection aux communautés menacées.

Bien sûr, nous avons besoin de pouvoir contrôler les mauvais feux. Mais un accent mis sur la seule suppression conduit à l’équivalent d’un État policier, non pas à un paysage où il fait bon vivre pour le feu. Au contraire, la grande diversité de feux souligne la nécessité d’une diversité égale de moyens pour y faire face ou pour les convertir en résultats bénéfiques.

Trouver les bonnes solutions aux problèmes implique de bien poser la question. Un feu qui brûle dans une communauté est un désastre, mais si nous voyons le feu seulement comme une catastrophe, nous risquons de suivre l’exemple de nombreuses organisations contre les feux de forêt qui adoptent des modèles urbains tous risques, en lieu et place d’une gestion traditionnelle des terres. Cela les autorise seulement à combattre les incendies qui éclatent, plutôt qu’à gérer les paramètres qui conditionnent ces incendies.

De même, si nous définissons le combat contre le feu comme un champ de bataille, nous allons regrouper nos forces, rechercher des technologies plus puissantes comme les avions anti-incendie et accepter avec résignation la mort des pompiers comme un fait inévitable. Nous gagnerons des batailles, mais nous sacrifierons des équipes entières dans une guerre qui n’existe pas. Même si nous acceptons la métaphore de la guerre, nous sommes moins engagés dans des conflits délibérés que dans une insurrection écologique que nous ne pouvons pas soumettre par des bombardements ni par des bulldozers. Dans de nombreuses situations, la meilleure solution est d’utiliser les bons feux pour contenir les mauvais. Une guerre généralisée sur le feu est aussi mal venue que, disons, une guerre mondiale contre le terrorisme.

Le feu est ce que ses paramètres en font. Il s’agit également d’une relation. Le feu et l’humanité ont depuis longtemps commencé à façonner l’un l’autre leur domaine respectif. Aujourd’hui, comme toujours, nous restons les meilleurs amis et les pires ennemis.

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