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L’ours polaire, pomme de discorde

© Dorothée Martin

© Dorothée Martin

Comment cette espèce symbole, idéalisée, vénérée, voire sacralisée, en vient-elle à être un sujet de discorde pour le monde associatif ? Pourquoi lorsqu’est abordée la protection de l’ours polaire, question sur laquelle tout le monde devrait s’accorder, les noms d’oiseaux fusent-ils, les invectives se multiplient-elles ? Les pétroliers et autres exploitants de l’Arctique doivent se délecter !

Reprenons le problème à la base… L’ours polaire ne vit que dans l’Arctique, sa population est estimée entre 20 à 25 000 individus, dont environ 15 000 sur le territoire canadien, 3 000 autour du Svalbard et en mer de Barents, et quelques milliers le long du Groenland, au nord de l’Alaska et de la Sibérie.

Le sujet de la discorde est : « Faut-il faire passer l’ours polaire de l’annexe 2 à l’annexe 1 sur les listes de la convention de Washington, gérées par la CITES ? » Cette requête est présentée pour la deuxième fois par les États-Unis, et dans le cas présent avec le soutien de la Russie et de quelques autres pays européens.

Si l’on s’en tient rigoureusement aux définitions de la CITES, les critères ne sont pas tous réunis pour modifier le statut de l‘ours polaire, en particulier celui de la rapidité du déclin de la population. Donc a priori, sauf à modifier les règles de classement pour le cas de l’ours polaire, il n’y a aucune raison de changer son statut. Pourquoi ne pas modifier les règles pour le lamantin d’Afrique de l’Ouest, le poisson-scie et quelques espèces de tortues asiatiques dont les cas seront étudiés pour le même changement de statut ?

Ceci dit, le groupe des spécialistes de l’ours polaire de l’IUCN, dont quelques membres sont intervenus à Paris en octobre dernier lors du premier colloque en France dédié à l’espèce (voir les conférences sur le site www.ourspolaire.org), estime que la population d’ours polaires risque de s’effondrer rapidement d’ici une cinquantaine d’années. Il ne devrait alors rester que 7 à 8000 ours polaires au nord du Canada et du Groenland.

La raison principale de cette chute brutale est la diminution du poids moyen chez les femelles gravides. L’étude de cet amaigrissement, constaté sur la côte ouest de la baie d’Hudson, met en évidence que les femelles sont passées de 270 à 235 kg en 30 ans, et l’on sait par expérience qu’en dessous de 192 kg, mener avec succès la reproduction (gestation, élevage des jeunes) n’est plus possible. Cette diminution du poids est en relation avec la dislocation précoce de la banquise, trois semaines plut tôt qu’il y a 30 ans.

Ailleurs, au nord de l’Alaska, les ours sont confrontés à l’éloignement de la banquise estivale toujours plus loin vers le nord, ce qui diminue leur période d’alimentation. Dans cette région, la diminution de la population est avérée. Au contraire, au nord du Canada, les scientifiques et les Inuits constatent que la population actuelle semble plutôt en bonne forme.

Il est donc difficile de se faire une opinion, si ce n’est de vouloir faire appliquer le principe de précaution en interdisant le commerce (international) de tout ou partie de l’ours polaire. Mais le problème n’est pas si simple.

Il faut également prendre en compte la situation des Inuits qui vivent de la chasse, et en particulier de l’accompagnement de tartarins européens, américains ou chinois. Cette chasse est déplorable, mais les Inuits ont pris cette option de vendre une partie de leur quota à partir du milieu des années 80, au plus fort de la campagne contre la chasse aux phoques qui occasionna une réduction drastique de leurs revenus.

Le passage à l’annexe 1 ne réduira pas ce type de chasse, il ne devrait supprimer que le commerce international des peaux, griffes, crânes… Le risque est de favoriser le braconnage, déjà très actif en Russie, de faire grimper les prix du trafic et de perdre le contrôle des échanges. De plus, les Inuits, déjà très remontés contre les associations occidentales qui s’ingèrent régulièrement dans leurs activités, pourraient prendre le contrepied des décisions internationales. Imaginons, par exemple, que les Inuits appellent au boycott international des produits français, même bio.

Mais le problème est ailleurs… l’Arctique est le théâtre d’enjeux économiques et stratégiques qui dépassent largement le seul statut de l’ours polaire. Inutile de se quereller sur un sujet qui de toute façon nous échappe. L’envolée du prix des matières premières, la découverte de multiples gisements miniers et pétrolifères attisent les convoitises. Les États-Unis ont peu de capacités d’exploitations dans l’Arctique, contrairement au Canada qui doit gérer des ressources considérables et asseoir sa souveraineté sous les plus hautes latitudes.

Le seul moyen de protéger l’ours polaire est de consommer moins et mieux. Ensuite, chacun choisira l’ONG à laquelle il veut adhérer. Mais rien ne sert de s’invectiver : l’ours polaire vaut mieux que cela.

L’ours polaire, pomme de discorde

Par Rémy Marion

texte courtoise de l’auteur

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