Pourquoi devrait-on aussi se méfier du mercure dans les poissons ?

Début juillet, alors que beaucoup d’entre vous étaient déjà sur les routes des vacances, un scandale a éclaté de l’autre côté des Pyrénées, suite à la diffusion d’une étude gouvernementale révélant la présence de mercure dans certaines espèces de poissons.

Si cette annonce peut paraître anodine, elle est pourtant le fruit d’une longue bataille politico-juridique contre l’état espagnol qui avait pleinement connaissance des dangers de contamination. Peu de medias se sont intéressés au sujet en France et pourtant les risques de santé publique sont bien réels, d’autant plus que d’intéressantes similitudes existent entre nos deux pays.

La toxicité du mercure amplifiée par la chaîne du vivant

Les crises sanitaires font désormais partie de notre univers quotidien. Leur gestion hasardeuse démontre bien que, souvent, la sécurité alimentaire et la santé humaine ne sont pas la première préoccupation de nos gouvernements, qui préfèrent privilégier d’autres intérêts. Par exemple, les dangers de la contamination au mercure en particulier sont connus depuis les années 60, or, rien n’est fait pour informer les consommateurs.

Le mercure réagit dans les milieux aquatiques pour former un composé organique: le méthylmercure. Il s’accumule dans les tissus des organismes vivants tout le long de la chaîne alimentaire. On parle de phénomène de « bioaccumulation » qui a pour effet d’entraîner une toxicité de plus en plus grande chez les prédateurs des niveaux supérieurs de la chaine alimentaire, que sont la plupart des gros poissons que nous consommons: thons, requins, brochets, espadons ou maquereaux. Le méthylmercure est particulièrement dangereux pour l’être humain car il perturbe le système nerveux, en particulier quand il est encore en développement chez les nouveaux nés et jeunes enfants.

Un exemple relativement connu, bien qu’un peu extrême, d’intoxication au mercure est celui de la maladie de Minamata, qui frappa tout un village japonais dans les années 1950. Les habitants, dont le régime alimentaire reposait en grande partie sur des produits de la mer, furent la cible d’effrayants symptômes qui entrainèrent le décès de plusieurs milliers d’entre eux ainsi que répercussions importantes sur le développement des générations futures. Les raisons de cette tragédie furent alors identifiées dans les rejets toxiques de chlorure de méthylmercure par l’usine pétrochimique du village qui pollua lourdement la totalité de l’écosystème marin de la baie.

Sources du problème

Ce mercure qui nous empoisonne est, sans surprise, issu des activités agricoles et industrielles qui nous entourent, et en particulier l’industrie du chlore, qui ne s’est pas adaptée aux avancées technologiques remplaçant l’électrolyse à mercure par des techniques à diaphragmes ou à membranes moins polluantes.

La législation européenne prévoyait dès la fin des années 90 une cessation progressive du procédé d’électrolyse à mercure avant 2007. Or en laissant une grande liberté aux Etats membres dans la détermination des conditions d’applications, cette directive n’est que peu contraignante et guère efficace.

L’Espagne et la France ont ainsi décidé de reporter la date de retrait des cellules à mercure dans l’industrie du chlore de 10 ans, soit respectivement 2020 et 2019. En France, 6 sites chloriers persistent dans l’utilisation systématique du mercure, dont 4 sont détenus par des grands groupes: Solvay dans le Jura, Albemarle-PPC dans le Haut-Rhin, et Arkema (issu de Total) en Isère et dans les Bouches-du-Rhône.

Un véritable scandale pour une décision prise en catimini et lourde en conséquences, qui sacrifie la santé publique au nom des lobbies chimiques ; un cadeau au secteur chimique, mais cadeau empoisonné pour nous, alors que les technologies d’électrolyse propre existent depuis des années déjà…

La solution : limiter la consommation de poissons ?

Malgré les nombreux avis sanitaires qui, reconnaissant les risques liés au mercure, visent à limiter la consommation des espaces de poissons à risques, très peu de consommateurs sont réellement alertés. Les principales raisons de cette ignorance étant l’absence d’obligation d’affichage en magasin et la réticence des Etats à communiquer efficacement sur ce sujet.

Même si la Commission Européenne a demandé aux Etats membres d’informer les populations sensibles aux risques du mercure, sa force légale est faible. En France, l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail (ANSES) a rendu des avis similaires recommandant « aux femmes enceintes et allaitantes et aux jeunes enfants d’éviter de consommer les poissons les plus contaminés ». Ces précautions particulières incluent également une limite de consommation des poissons susceptibles d’être fortement contaminés « à 150 gr par semaine pour les femmes enceintes et allaitantes et à 60 gr par semaine pour les enfants de moins de 30 mois ». Mais à quoi bon rendre ces avis, si les consommateurs ne s’y retrouvent pas? Par exemple la liste française des poissons « susceptibles d’être fortement contaminés » comprend plus de 30 espèces différentes…

La France est un des principaux pays consommateurs de poissons en Europe, avec une consommation moyenne de 37,3 kg par an

Clin d’œil au phénomène du boom des sushis en France, puisque les chiffres de ce marché en plein essor confirment cette tendance. Ce segment a connu la plus grande progression dans le secteur de la restauration en France avec une croissance de 30% du nombre de restaurants de sushis entre 2008 et 2010, dépassant même le géant McDonald’s avec près de 1 600 établissements.

La conséquence directe d’une telle consommation est inévitablement une plus forte contamination au mercure de la population. Ainsi une étude de l’Institut de Veille Sanitaire de 2007 démontre que les français sont parmi les plus contaminés par le mercure en Europe, par rapport aux allemands dont la consommation de poisson est deux fois moindre, ou aux américains.

Solution: l’affichage en rayons

La plupart des consommateurs, et notamment les parents, les femmes enceintes et les femmes susceptibles de l’être sont mal informés sur les dangers. Une mesure simple à mettre en œuvre serait un affichage d’« avertissements mercure » directement sur leurs lieux d’achat et de consommation. Dans de nombreux pays, comme aux États-Unis, plusieurs chaines de supermarchés ont franchi le pas et diffusent désormais cette information en rayon poissonnerie pour éclairer la prise de décisions de leurs consommateurs.

Ce n’est pas parce que nos décideurs politiques sous-estiment un problème qu’il n’existe pas. Si la France se plait à imiter l’Espagne en refusant de prendre de mesures simples de prévention et en préférant protéger les industries polluantes responsables du problème, il est de notre rôle, citoyens et consommateurs, de nous préoccuper de notre santé.

Pourquoi devrait-on aussi se méfier du mercure dans les poissons ?

Xavier Pastor est le directeur d’Oceana en Europe

Texte courtoise de l’auteur

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