Les impacts de l’exploitation pétrolière en pays Ogoni

L’étude du PNUE (programme des nations unies pour l’environnement) sur les impacts de l’exploitation pétrolière en pays Ogoni révèle l’étendue de la contamination environnementale et les risques pour la santé humaine. Depuis des décennies, l’exploitation du pétrole au Nigeria dans le delta du Niger s’accompagne de nombreuses pollutions et de violences. Le PNUE estime que les opérations de nettoyage seront parmi les plus vastes jamais entreprises et devraient durer une trentaine d’années.

La restauration environnementale du pays Ogoni pourrait s’avérer être l’exercice de nettoyage le plus étendu et le plus long jamais entrepris pour ramener l’eau potable, la terre, les criques et d’importants écosystèmes contaminés tels que les mangroves à un état de santé optimal et productif.

Une importante nouvelle évaluation scientifique indépendante menée par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) démontre que la pollution due à plus de 50 ans d’exploitation pétrolière dans la région a pénétré plus loin et plus profondément que ce que d’aucuns pouvaient présumer.

Cette évaluation est sans précédent. Sur une période de 14 mois, l’équipe du PNUE a examiné plus de 200 sites, étudié 122 kilomètres de droits de passage d’oléoducs, passé en revue plus de 5,000 dossiers médicaux et dialogué avec plus de 23,000 personnes lors de réunions publiques locales.

Des enquêtes approfondies sur la pollution des sols et des nappes phréatiques ont été menées dans 69 sites d’une étendue de 1,300 m² (Barabeedom-K.dere dans la Zone de Gouvernement Local (ZGL) de Gokana) à 79 hectares (Ajeokpori-Akpajo dans la ZGL de Eleme).

Au total, plus de 4,000 échantillons ont été analysés, dont des échantillons d’eau provenant de 142 puits de surveillance des nappes phréatiques creusés spécialement pour l’étude et des échantillons de sols extraits de 780 puits de forage.

Conclusions principales

Certaines zones, qui paraissent non affectées en surface, sont en réalité gravement contaminées sous terre ; selon le rapport du PNUE intitulé Evaluation environnementale du pays Ogoni, des mesures visant à protéger la santé humaine et réduire les risques pour les communautés affectées doivent êtres prises immédiatement.

La santé publique est sérieusement menacée dans au moins 10 communautés Ogoni dans lesquelles l’eau potable a été contaminée par un important niveau d’hydrocarbures, selon l’évaluation publiée aujourd’hui.

Dans l’une de ces communautés, à Nisisioken Ogale, dans l’Ouest du pays Ogoni, des familles boivent de l’eau provenant de puits contaminés par du benzène, un cancérigène reconnu, à un niveau 900 fois supérieur à ce que préconise l’Organisation Mondiale de la Santé. Ce site est situé à proximité d’un oléoduc de la Compagnie Pétrolière Nationale du Nigéria.

Les scientifiques du PNUE ont trouvé une couche de 8 cm de pétrole raffiné flottant dans la nappe phréatique alimentant ces puits, qui serait liée à une fuite de pétrole s’étant produite il y a plus de 6 ans.

Tandis que le rapport fournit des recommandations opérationnelles claires pour lutter contre l’importante pollution par le pétrole dans l’ensemble du pays Ogoni, le PNUE recommande que des mesures d’urgence soient prises à Nisisioken Ogale avant tout autre effort de remédiation.

Si certains résultats sur le terrain pourraient être obtenus immédiatement, le rapport estime que de manière générale, contrer et nettoyer la pollution, et catalyser un relèvement durable du pays Ogoni demanderait entre 25 et 30 ans.

Ce travail requerra le déploiement de technologies modernes pour nettoyer les terres et les eaux polluées, une surveillance environnementale et une réglementation améliorées, ainsi qu’une collaboration active entre le gouvernement, le peuple Ogoni et l’industrie pétrolière.

Selon Achim Steiner, Secrétaire Général adjoint des Nations Unies et Directeur Exécutif du PNUE, le rapport fournit la base scientifique permettant d’amorcer de façon concertée une restauration environnementale trop longuement attendue en pays Ogoni, un royaume dans la région du Delta du Niger.

« L’industrie pétrolière est un secteur clé de l’économie nigériane depuis plus de 50 ans, mais de nombreux nigérians en ont payé le prix fort, comme le souligne cette évaluation » ajoute-t-il.

« Le PNUE espère que ces conclusions permettront de mettre fin à des décennies d’impasse dans la région et fourniront une fondation sur laquelle la confiance pourra être construite et des mesures pourront êtres prises afin de remédier aux multiples problèmes de santé et de développement durable affectant le peuple Ogoni. De plus, notre étude propose à l’industrie pétrolière et aux agences de régulation un modèle d’opération plus responsable en Afrique et ailleurs, à une époque où la production et l’exploration augmentent dans plusieurs régions du continent« , a-t-il encore ajouté.

« Le nettoyage du pays Ogoni remédiera non seulement à de tragiques séquelles mais sera aussi une entreprise majeure de restauration écologique, avec de multiples effets positifs potentiels, allant du ralliement de différentes parties prenantes à une cause unique, à des améliorations durables pour le peuple Ogoni« , a dit le Directeur Exécutif du PNUE.

Le rapport a été présenté aujourd’hui par le PNUE au Président du Nigéria, l’Honorable Goodluck Jonathan, dans la capitale nigériane d’Abuja.

D’autres conclusions avancées par le rapport incluent:

– Le contrôle et la maintenance de l’infrastructure pétrolière en pays Ogoni ont été et demeurent inadéquats : les propres procédures de la Shell Petroleum Development Company (SPDC) n’ont pas été appliquées, menant à des problèmes de santé publique et de sûreté.

– L’impact du pétrole sur la végétation des mangroves a été désastreux. La pollution par le pétrole dans de nombreuses criques intertidales a laissé les mangroves – qui servent de zones d’alevinage et de filtres naturels contre la pollution – dépourvues de feuilles et de tiges, et les racines recouvertes d’une couche de substance bitumée, d’une épaisseur de parfois plus d’un centimètre.

– Les cinq concentrations les plus élevées d’hydrocarbures pétrolières totales détectées dans les nappes phréatiques excédent 1 million de microgrammes par litre (µg/l), contre les 600 µg/l préconisés par les standards nigérians.

– Lorsque des fuites pétrolières ont lieu sur terre, des incendies se déclenchent souvent, détruisant la végétation et créant une « croute » qui rend la remédiation et la revégétation difficiles. Sur certains sites, une croute de cendres et de goudron est présente sur la terre depuis plusieurs décennies.

– L’eau de surface des criques à travers tout le pays Ogoni et dans les environs contient des hydrocarbures. Les couches d’huile flottante varient entre une épaisse couche d’huile noire et de légers reflets.

– Malgré l’inquiétude des communautés, les résultats montrent que la consommation de poissons en pays Ogoni, qu’il s’agisse de ceux pêchés localement ou ceux achetés sur les marchés, ne présente pas de risques pour la santé.

Selon le rapport, les poissons auraient tendance à délaisser les zones polluées au profit d’eaux plus propres. Cependant, le secteur de la pêche souffre de la destruction des habitats de poisson et de la pollution très persistante de nombreuses criques. De nombreuses fermes piscicoles établies par des entrepreneurs, par exemple, ont été ruinées par la couche permanente d’huile flottante.

– La communauté Ogoni est exposée aux hydrocarbures chaque jour par de nombreuses voies. Si l’impact de la contamination de sites individuels a tendance à être localisé, la pollution de l’air liée aux opérations de l’industrie pétrolière est généralisée et affecte la qualité de vie de près d’un million de personnes.

– Le raffinage artisanal – pratique par laquelle du pétrole brut obtenu illégalement des opérations de l’industrie pétrolière est raffiné dans des distilleries primitives – met de nombreuses vies en danger et mène à des zones de dévastation environnementale en pays Ogoni et dans les environs.

La télédétection a révélé qu’à Bodo West, dans la ZGL de Bonny, l’augmentation du raffinage artisanal entre 2007 et 2011 s’est accompagnée d’une baisse de 10% de la couverture de mangrove saine, soit un total de plus de 307,380 m².

– Le procédé de bio-remédiation amélioré – un moyen d’intensifier l’action de microbes naturellement présents et, jusqu’à maintenant, la seule méthode de remédiation observée par le PNUE en pays Ogoni – ne s’est pas révélé efficace.

Actuellement, la SPDC n’applique cette technique que sur la couche de terre en surface, présumant qu’étant donnés le type de pétrole concerné, la température, et la présence d’une sous-couche d’argile, les hydrocarbures n’iront pas plus en profondeur. Dans 49 cas cependant, le PNUE a observé des hydrocarbures dans le sol à au moins 5 mètres de profondeur.

Recommandations pour les prochaines étapes

Par une combinaison d’approches, les zones individuelles de terre contaminée en pays Ogoni peuvent être nettoyées en cinq ans, tandis que la restauration des mangroves et des marécages lourdement pollués prendra jusqu’à 30 ans.

Toutefois, selon le rapport, toutes les sources actuelles de contamination doivent être éradiquées avant que le nettoyage des criques, des sédiments et des mangroves ne commence.

Le rapport recommande que trois nouvelles institutions soient établies au Nigéria pour appuyer un exercice complet de restauration environnementale.

Une Autorité de Restauration Environnementale du Pays Ogoni, établie lors d’une phase de transition qui selon le PNUE devrait commencer le plus tôt possible, superviserait la mise en oeuvre des recommandations du rapport.

Les activités de l’Autorité de Restauration seraient financées par un Fonds pour la Restauration Environnementale du Pays Ogoni, qui serait lancé avec un capital initial d’un milliards de dollars US provenant de l’industrie pétrolière et du gouvernement, visant à couvrir les cinq premières années du projet de nettoyage.

Il est également recommandé de construire en pays Ogoni un Centre de Gestion Intégrée des Sols Contaminés, potentiellement soutenu par des centaines de « mini-centres » de traitement, qui traiterait les sols contaminés et fournirait des centaines d’emploi.

Le rapport recommande également de créer en Pays Ogoni un Centre d’Excellence en Restauration Environnementale afin de promouvoir l’apprentissage et faire bénéficier du savoir acquis à d’autres communautés impactées par la pollution pétrolière dans le Delta du Niger et ailleurs dans le monde.

Des réformes de gouvernance et de régulation environnementales, du suivi et de l’application des normes environnementales ainsi qu’une amélioration des pratiques de l’industrie pétrolière sont aussi recommandées dans ce rapport.

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