La Chine prend ses premières mesures contre les pluies acides

Malgré des émissions de polluants industriels qui semblent ne jamais devoir s’arrêter en Chine, il existe des raisons de garder espoir. Les rejets de dioxyde de soufre, responsable des pluies acides, ont en effet commencé à diminuer, ce qui tend à prouver que la Chine est bel et bien en train d’instaurer une culture de suivi et du contrôle de la pollution.

Le Grand Bouddha de Leshan, monument historique taillé dans une falaise au sud de la Chine, se désagrège lentement. Ce bouddha de pierre géant, le plus grand du monde, est assis, les mains sur les genoux, et regarde résolument au-delà des eaux de la rivière Minjiang et à travers le mont Emei, l’une des quatre montagnes sacrées du bouddhisme en Chine. Depuis qu’il a été creusé à même la falaise dans la province du Sichuan durant la dynastie Tang (8e siècle), c’est-à-dire il y a 1200 ans, le Grand Bouddha attire un flot continu de pèlerins, de touristes et de spécialistes. Il est inscrit depuis 1996 au Patrimoine mondial de l’UNESCO. (Pour en savoir plus sur les pluies acides en Chine, lire Les pluies acides inquiètent la Chine)

Mais ce symbole d’éternité est victime d’une lente corrosion. Le corps du bouddha n’arbore plus la couleur rougeâtre des monts environnants, mais un gris tombal tirant sur le noir. Son visage est sillonné de larmes de suie et son nez est noirci. Après avoir résisté à l’épreuve du temps, le bouddha succombe désormais à un mal moderne d’origine anthropique.

En cause : les pluies acides. Lorsque je me suis rendue dans la région au printemps dernier, un chercheur d’une université de la province a eu cette phrase : « Notre patrimoine ancestral est en train de s’effriter. Ce bouddha symbolise la paix et l’harmonie, mais à présent aussi la pollution. »

Les pluies acides sont une conséquence de l’utilisation du charbon et du pétrole comme sources d’énergie : durant le processus de combustion, du dioxyde de soufre et du dioxyde d’azote sont rejetés dans l’air, ils se fixent à des molécules d’eau et d’oxygène, puis retombent au sol sous forme d’acide sulfurique et nitrique. Les pluies acides attaquent l’extérieur des bâtiments, dissolvent les surfaces peintes et érodent les monuments. Elles contaminent les terres agricoles et transforment les lacs en véritables zones mortes. Le dioxyde de soufre et les oxydes d’azote (SO2 et NOX), responsables des pluies acides, engendrent également une pollution secondaire ayant de graves conséquences sur la santé puisqu’elle entraîne des maladies pulmonaires et cardiaques et provoque de l’asthme.

Les pluies acides frappent tout le sud-est de la Chine, où l’on trouve la plus grande concentration de population, de centrales électriques et d’usines, et sont considérées comme un problème grave dans environ un tiers du pays. Dans la ville de Chongqing, où l’on dit que vivent les plus belles femmes de Chine, celles-ci de déplacent munies d’ombrelles en dentelle dont les bords sont noircis du fait des retombées acides dans la région.

Perdues au milieu des nombreux problèmes environnementaux auxquels la Chine est confrontée, depuis les pénuries d’eau jusqu’aux émissions de CO2 en passant par la désertification, les pluies acides n’ont reçu que peu d’attention de la part des médias internationaux. Les mesures prises par le gouvernement pour combattre les émissions de SO2, longtemps restées sans effet mais récemment devenues efficaces, en disent pourtant long sur la situation.

Les États-Unis ont commencé à être touchés par un grave problème de pluies acides dans les années 70 et 80 lorsque de dangereuses retombées ont attaqué les forêts et empoisonné les lacs, un phénomène qui a tout particulièrement touché la partie supérieure et nord-est du Midwest. Grâce au Titre IV du Clean Air Act de 1990, le Congrès a alors créé un système d’échange de permis d’émission de SO2 qui prévoyait des incitations financières pour les usines qui mettraient en place des équipements destinés à supprimer le SO2 des fumées avant qu’elles ne s’échappent des cheminées, c’est-à-dire des installations de désulfuration des gaz de combustion plus connues sous le nom de filtres. Partout où c’était possible, les usines américaines ont alors opté pour le charbon à basse teneur en soufre.

En Chine, la pollution industrielle est arrivée plus tard, mais elle est rapidement devenue préoccupante. Le gouvernement s’est penché pour la première fois sur le problème du SO2 au milieu des années 90, infligeant des amendes à certains pollueurs. En 2001, Pékin a ajouté un objectif national de réduction des émissions de SO2 dans le 10e plan quinquennal qui allait de 2001 à 2005. Ces mesures officielles ont d’abord été suivies de résultats catastrophiques : Pékin s’était engagé, à l’horizon 2005, à réduire les émissions de dioxyde de soufre de 10 % par rapport à leur niveau de 2000, au lieu de quoi elles ont augmenté de 28 %.

Pour certains observateurs, un tel échec était la preuve que la Chine n’avait pas la volonté ou, pire, n’était pas en mesure de contrôler ses problèmes de pollution qui empiraient rapidement. Aujourd’hui encore, il y a de nombreux objectifs que Pékin ne remplit pas en matière d’écologie, comme l’a montré le New York Times en juillet dernier, s’appuyant sur des chiffres en provenance directe du Ministère chinois de la Protection de l’environnement.

Mais il y a une lueur d’espoir : entre 2006 et 2009, en effet, les émissions chinoises de dioxyde de soufre ont baissé de plus de 13 %, alors même que la construction de nouvelles centrales au charbon enregistrait une forte augmentation. Au vu des efforts que le gouvernement fait depuis 15 ans, ces récents signes de progrès sont donc significatifs.

Il reste maintenant à déterminer si ce relatif succès est un accident ou s’il est la preuve que la Chine prend tout doucement le contrôle de sa pollution industrielle et que l’on peut attendre d’elle qu’elle parvienne à l’avenir à mieux respecter ses engagements en matière de réduction d’émissions (le SO2 n’est qu’un des deux grands responsables des pluies acides ; l’autre, les NOX, ne fait pas encore l’objet de programmes gouvernementaux, même si certains scientifiques chinois demandent aujourd’hui qu’il soit inclus dans les efforts à venir).

À proximité de grandes villes comme Pékin et Shanghai, les émissions de dioxyde de soufre restent élevées, mais baissent lentement. L’une des raisons à cela est que le gouvernement a fermé des centaines de petites centrales au charbon non productives qui n’avaient pas assez d’argent pour s’équiper de la technologie adéquate et étaient difficiles à contrôler. Les usines de plus grande taille qui ont été conçues sans filtres sont quant à elles tenues de se moderniser depuis le milieu des années 2000. Et depuis 2007, toutes les grandes usines et centrales au charbon détenues par l’État et équipées de filtres à SO2 doivent se pourvoir d’un matériel de suivi des émissions pour s’assurer que les filtres fonctionnent correctement.

Dans un pays où l’on a toujours cherché à réduire les coûts et à contourner les normes, « C’est très important », déclare Zhang Zhongxiang, vacataire à l’Académie chinoise des Sciences et à l’université de Pékin et membre de l’East-West Center. « Sinon, le gouvernement vous donne de l’argent pour que vous installiez l’équipement nécessaire, mais allez-vous pour autant vous en servir ? Car il ne faut pas oublier que [faire fonctionner des filtres] augmente les coûts de production d’environ 10 %. »

Aujourd’hui, les usines et centrales électriques de grande taille sont équipées de salles de contrôle où les opérateurs peuvent consulter sur écran des données détaillées et en temps réel sur la marche de la chaudière, la consommation de combustible, la vitesse de l’air, la température et autres paramètres.

Depuis peu, grâce à un écran supplémentaire, les émissions de dioxyde de soufre peuvent être suivies en temps réel. Il est intéressant de noter que les systèmes de suivi des émissions des plus grandes centrales et usines chinoises sont désormais rattachés à un centre de surveillance central ; un bureau d’enregistrement national a également été créé pour recenser les usines qui ont déclaré être équipées de filtres.

« L’équipement de surveillance est absolument essentiel pour que les règles soient respectées », affirme Deborah Seligsohn, conseillère principale à Pékin pour le Programme Climat et Énergie de la Chine du World Ressources Institute. « Le but n’est pas d’identifier les plus gros contrevenants, mais de faire en sorte qu’il y en ait moins. Maintenant, ils savent qu’ils sont surveillés, donc ils se servent de leurs équipements comme ils sont censés le faire. »

En soutien à sa politique de réduction des émissions de SO2, le gouvernement chinois a bénéficié de prêts de la Banque asiatique de développement et d’une assistance technique de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) qui a tiré les leçons de l’expérience étatsunienne relative aux émissions de SO2. « Ils en sont aujourd’hui là où nous en étions à la fin des années 80 et au début des années 90 », confie Jeremy Schreifels, analyste politique à l’EPA et agent de liaison avec la Chine pour le SO2. Depuis 2006, son équipe fournit des conseils en matière de contrôle du SO2, d’installation et de maintenance des équipements et de formation du personnel au suivi et à la gestion des données.

Le tableau de la situation actuelle révèle des avancées partielles, 220 grandes agglomérations chinoises souffrant toujours de pluies acides. « C’est tout un apprentissage », déclare Zhang Xuehua, consultante auprès de l’EPA et ancienne employée du Bureau de Chengdu pour la protection de l’environnement, et qui sait donc mieux que quiconque quels pièges ont miné les efforts faits en Chine par le passé pour contrôler la pollution.

Comme le dit Zhang Zhongxiang : « Si on se place du point de vue des entreprises, elles n’ont aucune raison de se plier aux règles. Elles essaient en permanence de réduire les coûts et arrêtent donc les systèmes [de contrôle de la pollution]. Maintenant, au moins, le gouvernement peut mieux vérifier qu’elles utilisent bien ces systèmes. »

Ce système de suivi des émissions de SO2, le premier du genre en Chine, est le signe que le pays commence à mettre en place une culture de la surveillance et du contrôle. La technologie n’est certes pas infaillible – il reste une grande place pour les erreurs humaines et la corruption – mais il s’agit incontestablement d’un pas en direction du respect de la réglementation. Des systèmes de suivi du même type pourraient-ils un jour être utilisés pour réduire les émissions de CO2 si la technologie de séquestration du carbone devenait abordable et son usage, largement répandu ? « Oui », répond Qi Ye, directeur de l’Institut de politique climatique de l’université Tsinghua à Pékin. « Tout ce travail [sur le SO2] jette les bases nécessaires pour la suite. »

Ou, comme le dit Deborah Seligsohn : « La leçon qu’il faut retenir, c’est que la Chine l’a fait. Elle a décidé de le faire et s’y est attelée sans pression extérieure particulière. »

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