La biodiversité est essentielle au fonctionnement des écosystèmes – celui des forêts, des eaux fraîches, des récifs de coraux, des sols et même de l’atmosphère – garants de toute vie sur terre. L’affaiblissement constant et progressif de cette diversité menace la société de manière infinie. L’un des impacts souvent ignoré concerne les sciences médicales.
Depuis des millénaires, les médecins ont appris à maitriser les substances naturelles pour développer des traitements et des remèdes : l’aspirine provient du saule et plus récemment le TaxolÔ– la dernière innovation en matière de traitement contre le cancer – est obtenu de l’écorce de l’if du Pacifique. Certaines des innovations les plus importantes sont encore à venir. Mais cela n’arrivera que si la corne d’abondance que constitue la nature est préservée de manière à ce que les générations actuelles et futures de chercheurs puissent faire de nouvelles découvertes au profit de patients partout dans le monde.
Prenons le cas de l’ours polaire, menacé d’extinction par le changement climatique. Ce mammifère passe jusqu’à sept mois par an en hibernation ; une période durant laquelle il est pour ainsi dire immobile. Soumis à de telles conditions, un être humain perdrait un tiers ou plus de sa masse osseuse.
Ce qui est étonnant chez l’ours en hibernation, c’est que son organisme développe de nouveaux os en libérant une substance qui désamorce les cellules qui brisent les os et encourage celles qui produisent de la matière osseuse et du cartilage. L’étude des ours polaires en hibernation dans leur milieu naturel pourrait permettre d’éviter des millions de fractures de la hanche dues à l’ostéoporose – une maladie qui coûte 18 milliards de dollars et tue 70 000 personnes par an, rien qu’aux Etats-Unis.
Si l’ours en hibernation peut survivre sept mois ou plus sans uriner, cette accumulation de substances toxiques dans l’organisme d’un être humain lui serait fatale en quelques jours. Comprendre comment les ours parviennent à ce miracle constituerait un espoir extraordinaire pour le million et demi de personnes environ à travers le monde en traitement pour insuffisance rénale.
Les ours polaires, qui puisent leurs ressources pendant l’hibernation dans la graisse emmagasinée et qui pourtant ne deviennent pas diabétiques, sont aussi susceptibles d’offrir des solutions pour le traitement du diabète de type 2, une maladie associée à l’obésité dont sont affligées plus de 190 millions de personnes dans le monde, atteignant même des proportions de l’ordre de l’épidémie dans de nombreux pays.
Mais les ours en hibernation ne sont que le début de l’histoire. La grenouille des bois peut survivre à de longues périodes de gel sans qu’aucune de ses cellules ne soit détruite. Constituerait-elle la clé pour une meilleure conservation des organes prélevés en vue d’une transplantation ?
Les pumiliotoxines, comme celles secrétées par la grenouille venimeuse du Panama, pourraient permettre le développement de médicaments visant à renforcer le rythme cardiaque – important dans le traitement de maladies cardiaques. Et les 700 espèces de cônes évoluant sur les barrières de corail pourraient permettre de produire 140 000 toxines différentes, dont un grand nombre pourraient avoir une valeur médicinale. Mais seule une centaine d’entre elles a fait l’objet d’études.
On a découvert que l’une de ces toxines, commercialisée sous le nom de PrialtÔ, est 1000 fois plus puissante que la morphine, sans pour autant entrainer d’addiction ou d’intolérance, comme dans le cas des opiacées. Les essais cliniques indiquent un réel soulagement de la douleur sur les patients atteints de sida ou de cancer.
La perte de la biodiversité a déjà mis un terme à des recherches médicales prometteuses. La grenouille Rheobatrachus femelle, originaire d’Australie, avait comme particularité d’ingérer ses oufs pour les incuber dans son estomac, sans qu’ils soient digérés par les enzymes et les acides gastriques, comme c’est le cas chez n’importe quel autre vertébré. L’étude de ces batraciens aurait pu nous donner des éléments sur la manière de prévenir et de traiter les ulcères peptiques ; mais ces études n’ont pu être continuées car les deux espèces de Rheobatrachus ont désormais disparues.
En 2010, déclarée Année de la biodiversité par les Nations Unies, les gouvernements sont supposés agir pour limiter de manière conséquente l’amoindrissement des richesses en faune, flore et autres organismes de la planète. Mais rien n’a été fait. L’affaiblissement de la biodiversité s’est accéléré et nous allons tout droit vers ce que les scientifiques appellent « la sixième vague d’extinctions. »
Les gouvernements auront l’occasion de reconfirmer leurs engagements lors de la 65ème Assemblée Générale de l’ONU à New York en septembre, puis à la réunion de la Convention sur la diversité biologique (CDB) à Nagoya au Japon.
Il faut dès cette année trouver un traitement contre la dégradation de notre environnement et développer une gestion bien plus intelligente du monde naturel : cela constituerait une réelle avancée pour la richesse mais aussi pour la santé de l’humanité au 21ème siècle.
par Eric Chivian, Aaron Bernstein and Achim Steiner
Eric Chivian et Aaron Bernstein sont physiciens et chercheurs au Centre pour la Santé et l’environnement global à l’Ecole de médecine de l’université Harvard et ont dirigé l’ouvrage Sustaining Life: How Human Health Depends on Biodiversity (Préserver la vie : comment la santé humaine dépend de la biodiversité, ndt). Achim Steiner est sous-secrétaire des Nations Unies et Directeur exécutif du programme environnemental de l’ONU.
Copyright: Project Syndicate, 2010.
Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats
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